De rares coups de fil et l'écho des bombes: voilà tout ce qui relie
encore les Druzes du côté israélien du Golan à la Syrie depuis que la
guerre civile flirte avec la ligne de démarcation.
Accrochée au pied du Mont Hermon et collée aux barbelés, Majdal Shams
est une ville d'environ 10 000 âmes à l'allure de station de ski,
blanchie par la neige l'hiver et cernée par les vergers fruitiers l'été.
Tout près de là, mais côté syrien, les combattants d'al-Nosra, branche
d'al-Qaïda, et d'autres rebelles affrontent les soldats de l'armée
régulière. Des projectiles perdus retombent régulièrement côté
israélien.
Les rebelles ont pris le point de passage de Qouneitra. L'armée
régulière syrienne a perdu la zone fin août. Faute d'interlocuteurs pour
organiser le transit, la barrière ne devrait pas s'ouvrir cette année
pour laisser passer les cagettes de pommes druzes produites côté
israélien.
A raison de 80.000 tonnes par an, la pomme est la principale source de
revenus des Druzes du Golan. C'est aussi l'un de leurs liens avec la
Syrie vers laquelle est exportée chaque année un quart de la production.
Le manque à gagner est un coup dur pour Salman Ibrahim, un producteur de
pommes de 56 ans. Mais ce qui l'atteint surtout, c'est le symbole d'une
frontière devenue totalement étanche.
"J'espère que la situation va se débloquer en Syrie, et que nous
pourrons y retourner un jour. J'espère d'ailleurs que nos pommes ne
seront pas les seules autorisées à y aller", ironise t-il.
Au cas par cas, l'armée israélienne autorisait depuis les années 1980
les résidents de Majdal Shams à se rendre en Syrie pour visiter leurs
proches, se marier ou étudier à Damas, à quelques dizaines de kilomètres
de là. Depuis 2011 et le début de la guerre civile en Syrie, ces
laissez-passer ne sont quasiment plus accordés.
Juste au bout de son verger se trouve la ligne de démarcation. Les
hostilités entre Israël et la Syrie en 1967 et 1973 ont fait fuir des
dizaines de milliers de Syriens. Seuls restent aujourd'hui quelque
18.000 Druzes, apatrides, qui ont perdu leur nationalité syrienne et
refusé la carte d'identité israélienne.
Salman
Fakher el-Din est une figure locale de la lutte des Druzes contre
l'occupation israélienne. Dans l'air frais de la montagne, ce chantre de
la "non-violence" marche le long des barbelés et prête l'oreille aux
explosions qui résonnent dans la montagne.
"Ici, la guerre, on n'en perçoit que la voix. Vous entendez ces
explosions? Pour nous, ce n'est pas juste un bruit, c'est l'un des
nôtres qui est mort", philosophe le militant.
"Les organisations terroristes qui se battent là-bas parviennent à
brouiller toute vision du futur. Notre peur, c'est qu'après quatre
années de conflit, la Syrie se désintègre".
Les Druzes syriens passent pour majoritairement pro-Assad. Mais à
Majdal Shams, une minorité de "réformistes" a lâché le président syrien
et quelques manifestations contre lui ont eu lieu.
Le terrain gagné en Syrie par les jihadistes de l'Etat islamique a
rétabli un certain consensus sur la place centrale de Majdal Shams.
"Il y a eu des divergences d'opinion, mais nous sommes désormais unis
dans le même espoir que cette guerre finisse et que ces terroristes sans
état d'âme s'en aillent", explique Nagha Abd El-Wali, une habitante de
Majdal Shams.
La veuve, qui coiffe ses cheveux du traditionnel foulard blanc que
portent les Druzes religieuses, est d'autant plus pressée qu'Assad
reprenne le contrôle du pays que sa soeur vit de l'autre côté de la
ligne de démarcation, là où se déploient les islamistes qui considèrent
les Druzes comme des "infidèles".
Répartis principalement entre la Syrie, le Liban et Israël, les Druzes
pratiquent une religion musulmane propre dérivée originellement du
chiisme.
Nagha
Abd El-Wali et sa soeur se parlent chaque jour au téléphone à 17H30
précise. La conversation est brève mais elle rassure Nagha dont le
visage s'illumine à entendre la voix de sa soeur.
"Ils vivent dans la peur, sur le qui-vive. Ils ne savent jamais d'où le coup va partir", résume t-elle en raccrochant.
Nagha Abd El-Wali n'a plus revu sa soeur ni la Syrie, où elle était autorisée à se rendre quelque jours par an, depuis 2011.
"Je vous assure que c'est un coin de paradis là-bas", dit Nagha qui refuse de parler de la Syrie au passé.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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