Américains et étrangers sont inscrits secrètement sur la liste noire
américaine du terrorisme sur de simples "soupçons raisonnables" qu’il
n’est pas nécessaire d’étayer, et peuvent y rester au-delà de leur mort,
selon un document du gouvernement publié mercredi.
Ce texte non classifié de 166 pages, rédigé par le Centre national du
Contre-terrorisme (NCTC) et rendu public par le site internet The
Intercept, dissèque les instructions que les différentes autorités
américaines doivent suivre pour inscrire quelqu’un dans les principales
bases de données de surveillance terroriste.
Au fil des cinq chapitres du "Guide des listes de surveillance",
dressé en mars 2013 en collaboration avec les 19 agences militaires et
judiciaires du renseignement, on apprend que "les preuves irréfutables
et les faits concrets ne sont pas nécessaires" pour avoir "des soupçons
raisonnables" de l’implication terroriste d’un individu et qu’il suffit
d’avoir des "renseignements ou des informations que l’on peut
verbaliser".
Fustigeant le jargon du document, The Intercept y voit un
élargissement de l’autorité du gouvernement à "nommer" des suspects de
terrorisme sur la base de "vagues informations fragmentaires".
Le site, cofondé par le journaliste Glenn Greenwald, qui avait
dévoilé les fuites de l’ancien consultant de la NSA Edward Snowden,
souligne que le "guide" permet même aux morts de figurer parmi les
quelque 464.000 noms listés.
Le NCTC craint en effet que l’identité des morts ou leurs documents
de voyage ne soient réutilisés "de manière frauduleuse - une tactique
terroriste éprouvée", a expliqué à l’AFP un porte-parole de l’Agence
gouvernementale.
Il a souligné que les listes de surveillance continuaient à "mûrir
pour s’adapter à une menace diffuse en constante évolution" et qu’elles
avaient notamment été révisées après la tentative d’attentat du Nigérian
Umar Farouk Abdulmutallab, qui voulait faire détoner un explosif
dissimulé dans ses sous-vêtements à bord d’un avion à Noël 2009.
La liste des "terroristes connus ou suspects", identifiés sous le
sigle KST pour "Known or Suspected Terrorists", comprenait 16 noms avant
le 11 septembre 2001. Elle en comptait 463.834 en 2013 (après un taux
d’élimination d’1%) répartis sur différentes bases de données, dont la
fameuse "No Fly List" qui interdit à ses membres de prendre des vols au
départ ou à destination des Etats-Unis.
"Au lieu de limiter sa surveillance aux réels terroristes connus, le
gouvernement a bâti un vaste système fondé sur le postulat supposé et
imparfait que l’on peut prédire qu’une personne va commettre un acte
terroriste à l’avenir", a dénoncé Hina Shamsi, une responsable de la
puissante Union américaine de défense des libertés (ACLU).
"Selon cette théorie dangereuse, le gouvernement accuse secrètement"
des gens de terrorisme sans leur donner la possibilité de se défendre
"d’une menace qu’ils n’ont pas mise à exécution", a-t-elle ajouté,
estimant que les critères utilisés par le gouvernement "n’auraient
jamais dû rester secrets".
Le NCTC s’est défendu de surveiller des individus "sur la seule base
de leurs activités protégées par le Premier Amendement de la
Constitution", comme la race ou la religion. Son porte-parole a ajouté
que des "critères renforcés" étaient utilisés pour la "No Fly List".
D’après le document cité par The Intercept, les agents du
gouvernement utilisent des éléments "non prouvés" collectés sur Facebook
ou Twitter, réunissent des prescriptions médicales, des cartes de
supermarché ou des amendes pour excès de vitesse, et récupèrent des
informations sur votre chien, votre assurance santé, votre matériel de
plongée ou encore ce que contiennent vos poches.
Mais "la politique du gouvernement américain est de ne jamais
confirmer ni démentir qu’un individu est sur une liste de surveillance",
précise le document. Quand un Américain figure sur la "No Fly List", il
ne doit jamais en être informé.
Et si l’on y entre sur de simples "soupçons raisonnables", "la
difficulté d’être radié de la liste est soulignée" dans le document par
un passage précisant que l’on peut rester ou entrer sur la liste noire,
même après avoir été acquitté de terrorisme.
(24-07-2014 - )
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