mercredi 30 juillet 2014

Israël/Palestine : Agir plus que condamner (Samah Jabr)













À tous ceux qui déplorent l’usage de la violence par les Palestiniens et qui soupirent, « Mais où est le Gandhi palestinien ? », voici la réponse : Israël délégitime l’ensemble des outils de la résistance, et notamment la non-violence. En 2011, par exemple, le parlement israélien a voté une loi punissant tout appel public à un boycott économique, culturel ou universitaire en réponse à l’occupation israélienne et ses colonies.

Un boycott est un outil très légitime de résistance, celui qui a été utilisé dans le passé par nombre de peuples opprimés – les Irlandais, les Indiens, les Juifs – contre leurs tyrans respectifs. À l’exception notable de l’État d’Israël, lequel persistait à fournir en armes le régime d’apartheid d’Afrique du Sud, l’imposition d’un boycott a même été une politique internationale largement soutenue à une époque. Au niveau des personnes, assurément chacune et chacun est en droit de choisir si elle ou il apporte, ou n’apporte pas, son soutien à une entité qui va à l’encontre de ses valeurs personnelles.

Si la loi anti-boycott d’Israël est censée laisser libre cours à son occupation et à ses colons, et faire pression sur le mouvement international de solidarité avec les Palestiniens, la loi stimule également beaucoup de réflexions à propos des réactions palestiniennes au boycott. Après tout, il y a des Palestiniens qui ont une relation complexe et emmêlée avec les Israéliens.

Pour ma part, j’ai étudié avec des Israéliens. Je viens récemment de terminer un programme de formation de trois ans à la Société psychanalytique israélienne. À Jérusalem-Est, où je vis, de nombreux Palestiniens travaillent en différentes institutions israéliennes et quand ils sont malades, ils sont soignés dans des hôpitaux israéliens. Beaucoup de Palestiniens de Cisjordanie ne peuvent trouver du travail que dans les colonies israéliennes. Et n’oublions pas la tragique réalité que le tristement célèbre mur de séparation a été construit par des mains palestiniennes.

Conséquemment à ces interrelations, il paraît curieux pour de nombreux Palestiniens de faire une distinction subtile entre nécessité de survivre et nécessité de normaliser les relations avec l’occupant. Les Palestiniens partagent une situation de détresse et un rêve de justice ; mais en l’absence actuelle d’une politique palestinienne nationale, on ne peut qu’ « agir en indépendant » et improviser dans l’espoir de réaliser ce rêve. Tout en maintenant un lien solide avec un petit groupe d’Israéliens avec lesquels je partage des valeurs communes, je m’oppose fermement à une normalisation des relations avec l’occupation et ses institutions. Un Palestinien doit avoir assez de bon sens pour faire une chose sans saper l’autre.
Bien sûr, il ne peut y avoir de résultat gagnant à tous les coups entre la nation palestinienne occupée et l’occupation israélienne. Plus l’occupation étend ses colonies illégales et plus elle développe sa politique raciste, plus nous étouffons sur la terre occupée. Un boycott de l’occupation israélienne est la forme la plus modérée de la résistance que les Palestiniens et ceux qui les soutiennent peuvent exercer. Un boycott est un signe de force, individuel et collectif ; sa principale valeur est l’effet psychologique et moral d’une confrontation avec l’État d’Israël et de son isolement potentiel.

Je connais certains Israéliens qui encore aujourd’hui refusent d’acheter des voitures allemandes, alors que les voitures leur plaisent, parce qu’ils ne veulent pas contribuer à la santé de l’économie allemande. Alors vous imaginez, nous les Palestiniens dont les blessures par les Israéliens sont toujours ouvertes et sanglantes !
Les Juifs qui approuvent le boycott sont considérés comme porteurs d’une maladie auto-immune par les Juifs qui s’y opposent ; ceux qui les critiquent ne parviennent pas à voir le moindre signe de santé dans ces quelques bons anticorps qui luttent pour protéger la conscience israélienne contaminée. Mais la législation contre les boycotts n’a servi qu’à exhiber davantage la fausse démocratie de la puissance occupante. Cette législation délégitime encore plus Israël aux yeux du monde, causant plus d’indignation que le boycott lui-même. « Maladie auto-immune » n’est juste qu’une nomenclature de plus qui allonge la liste des calomnies telles « juif ayant la haine de soi », et « antisémite » ; des termes qui veulent réduire au silence et intimider.

En neutralisant la résistance militaire, et en interdisant le boycott, l’occupation révèle sa satisfaction avec le statu quo. Pourquoi prendre des mesures pour aller vers la paix ? Pourquoi renoncer à des idéologies et des pratiques racistes usées ? Les Palestiniens sont allés à la table de négociations et ils n’ont rien obtenu ; notre combat pour la liberté est appelé terrorisme et il est rejeté par le monde. La condamnation des horreurs perpétrées par l’État d’Israël est ressenti comme vaine contre un régime qui reste indifférent à la souffrance et à la mort du peuple palestinien.

Le gouvernement des États-Unis et ses partisans sont réticents à prendre toute action décisive contre Israël, mais dans les pays en Europe, en Amérique latine, et en Afrique, de plus en plus de personnes reconnaissent la véritable situation : l’occupation de la Palestine par une force militaire puissante et le nettoyage ethnique du peuple palestinien de sa patrie. Les Palestiniens ont besoin d’aide pour voir au-delà de la douleur, de la souffrance et de la mort qui leur sont infligés. Ils ont besoin que soit reconnu leur vécu et que soient admis les torts qui leur sont causés depuis de nombreuses années, une lueur d’espoir et un sens de la justice. Il ne suffit pas d’exiger la fin des attaques contre les Palestiniens qui sont massacrés dans leurs maisons car cela tombe dans l’oreille de sourds, il est important de mobiliser l’énorme majorité consentante des Israéliens – et cela peut se faire effectivement si Israël découvre le goût de l’isolement, de cet isolement qu’il impose aux Palestiniens. Partout où les gens ordinaires profitent de la démocratie, il est possible de lancer une vaste campagne internationale de boycott contre l’occupation israélienne. Les Israéliens, en tant qu’individus, peuvent encourager leur gouvernement à avancer vers la paix seulement en soutenant un boycott. S’ils n’y parviennent pas, Israël persistera sur sa voie qui le conduit à un effondrement moral qui n’apportera que honte et humiliation à tous ses partisans.

Samah Jabr,
30 juillet 2014

Samah Jabr est Jérusalémite, psychiatre et psychothérapeute, dévouée au bien-être de sa communauté, au-delà des questions de la maladie mentale.

Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous

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