Quand le corps d’Ahmed Boulboul arrive aux urgences du grand hôpital
Chifa à Gaza, une jambe déchiquetée par un éclat d’obus, un homme met la
main sur les yeux de son jeune fils pour l’épargner.
Ahmed Boulboul est mort, même si son jeune frère en larmes hurle à
côté de lui que c’est impossible. Tout ce que les médecins peuvent faire
est de placer la dépouille dans un sac couleur crème et écrire son nom,
son âge et son quartier au marqueur rouge.
Depuis le début le 8 juillet de la guerre entre l’armée israélienne
et le mouvement islamiste Hamas qui contrôle Gaza, beaucoup des 830
morts et 5.200 blessés palestiniens sont passés par Chifa, le principal
complexe hospitalier de la métropole de Gaza.
Jour et nuit, les urgences voient affluer les victimes en vagues
successives, transportées par ambulances ou dans des voitures
particulières.
A l’extérieur, une poignée de policiers nerveux en uniforme bleu
essaient de maintenir à distance les proches désespérés comme les
curieux, et de regrouper photographes et cameramen derrière une
barrière.
Une fois passées les portes bleues, plusieurs lits attendent les
patients dans la salle de triage. Même si beaucoup, comme Ahmed
Boulboul, ne peuvent plus rien obtenir d’autre qu’un certificat de décès
avant d’être transportés jusqu’à la morgue.
Le rythme est épuisant pour Mohammed Abou Haibar, 24 ans, jeune
docteur diplômé depuis deux mois à peine et qui se retrouve interne à
Chifa en pleine guerre, la troisième en six ans à Gaza.
"On m’a parlé des deux autres guerres, mais je n’étais pas ici à l’hôpital, alors c’est ma première expérience", raconte-t-il.
"Sur le plan émotionnel, c’est vraiment dur. On voit des gens qui ne
cessent de pleurer, des blessés, des familles traumatisées",
témoigne-t-il, alors que la tragédie s’invite à chaque étage de
l’hôpital.
Au service pédiatrique, la petite Shahed al-Araeer, 10 ans, attend
que les médecins lui disent ce qu’il faut faire de l’éclat d’obus qui a
laissé une petite croûte près de son oreille gauche et s’est planté sous
le crâne.
"Ils disent que c’est près de son cerveau et que si l’éclat bouge,
cela peut affecter son audition ou ses mouvements", explique sa mère.
"Mais ils ne savent pas quoi faire, ils ont peur de laisser le bout de
métal et ils ont peur de le retirer".
La famille a fui la banlieue de Chajaya en plein bombardement pour porter la fillette au plus vite à l’hôpital.
"Nous nous sommes collés aux murs des bâtiments, les obus pleuvaient
de toutes parts, et Shahed saignait du nez et des oreilles", se souvient
la mère, encore sous le choc.
Un peu plus loin, Manal veille sa soeur Rahma, 30 ans, blessée trois
jours auparavant. Doucement, elle s’éloigne du lit et murmure : "Notre
mère et sa fille sont mortes, mais nous avons peur de le lui annoncer".
"Nous lui avons dit que notre mère était toujours soignée à l’étage
d’en-dessous, et quand elle téléphone à la maison, on lui dit que sa
fille dort", ajoute-t-elle.
Pour le personnel médical de l’hôpital Chifa, le stress incroyable
provoqué par cette marée de douleurs est accentué par l’angoisse de
savoir que leurs proches aussi ne sont pas à l’abri.
Le docteur Adel Ghouti, urgentiste à Chifa, rêvait depuis des années
d’avoir un enfant. Mais aujourd’hui que son épouse est enceinte de sept
mois, il a des cauchemars à l’idée que quelque chose puisse lui arriver.
"Je veux la protéger, mais je ne sais pas comment. Je ne sais pas si
elle ira bien quand je vais rentrer à la maison", s’inquiète-t-il.
Pour l’instant, il espère surtout que l’accouchement se déroulera en
toute sécurité. Mais pour la première fois de sa vie, il commence aussi à
envisager d’émigrer, peut-être pour rejoindre des proches au Canada.
"Il faut faire ce qu’on peut pour son pays, mais parfois il faut
aussi se reposer", se convainc le médecin. "Je crois que les choses vont
rester en l’état pour toujours ici, et je ne veux pas élever mon enfant
là-dedans".
(25-07-2014 - Assawra )
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