jeudi 12 janvier 2012

L’archevêque d’Alep : « Il faut donner sa chance à Assad »

Mgr Jeanbart, l’archevêque d’Alep en Syrie redoute l’arrivée au pouvoir des islamistes et déplore l’attitude de Paris vis-à-vis du régime.
Au nom des minorités inquiètes de l’après-Bashar el-Assad, l’archevêque d’Alep plaide pour une transition démocratique qui épargnerait les violences.

Quel est le moral des chrétiens, après dix mois de révolte contre le régime syrien ?
Nous sommes très préoccupés par les conséquences d’un renversement du régime, qui pousserait beaucoup de nos fidèles à émigrer, comme en Irak depuis la chute de Saddam Hussein. Les chrétiens n’ont pas confiance dans un pouvoir sunnite extrémiste. Nous redoutons la domination de Frères musulmans dogmatiques.

Mais que pèsent-ils : 15 % à l’intérieur ?
Même pas. Mais c’est précisément parce qu’ils ne pèsent pas lourd que les islamistes veulent aller vite pour renverser le régime. C’est également pour cette raison qu’ils sont aussi actifs dans les rangs de l’opposition à l’extérieur du pays et qu’ils refusent tout dialogue avec le pouvoir. Les Frères musulmans ne peuvent renaître que dans le cadre d’un renversement brutal auquel ils prétendront avoir participé depuis l’étranger, grâce à leurs appuis turcs et des monarchies du Golfe. Comme en Libye.

Comment éviter ce scénario ?
Il faut une transition démocratique dans le cadre de réformes que le pouvoir doit engager. C’est encore possible. Bachar el-Assad est en train de persuader le parti Baas d’accepter les réformes. Des avancées ont été enregistrées. On le perçoit à travers les médias officiels, qui encouragent ces progrès et qui contrairement au passé disent maintenant que le parti est contaminé et peuplé d’arrivistes. Une nouvelle Constitution sera annoncée le mois prochain, avec des points intéressants en matière de maintien de la laïcité, par exemple. Il sera stipulé qu’aucun parti ne pourra être fondé sur une base confessionnelle. Le président ne pourra pas non plus être élu plus de deux fois, et l’article 8, qui garantissait l’hégémonie du Baas, sera supprimé. Malgré les violences, il faut encore donner sa chance à Assad. Nous devons absolument nous donner le temps de créer des partis non confessionnels pour absorber le vote sunnite, et le détourner des Frères musulmans.

Mais trop de sang a coulé pour qu’une majorité de Syriens accepte de lui faire encore confiance.
Qui vous le dit ? Le régime bénéfice de l’appui des minorités. Les alaouites sont environ 12-13 % et ils soutiennent intégralement le président, car les menaces proférées par les Frères musulmans ont uni la communauté dans la peur des règlements de comptes. Les chrétiens sont 10 % environ, avec 90 % d’entre eux derrière le régime ; les Kurdes, les druzes et les ismaéliens dans la même proportion. Et il ne faut pas oublier les 2,5 millions de baasistes qui ont, eux aussi, un intérêt à ce que le régime survive. Si vous y ajoutez les commerçants sunnites de Damas et d’Alep, vous dépassez probablement les 50 % derrière Bachar. Et les attentats terroristes sont en train de regrouper d’autres Syriens autour du pouvoir. Nous avons peur. Nous avons toujours vécu dans un pays sûr. On ne veut pas ressembler à l’Irak. Et puis l’évolution des transitions en Libye et en Égypte ne nous rassure pas. Tout cela renforce le pouvoir, même s’il réprime beaucoup trop.

Que pensez-vous de l’opposition à l’étranger ?
Je l’aurais soutenue si ses responsables n’avaient pas approuvé une intervention étrangère contre mon pays. Mais depuis le début de la révolte, ils refusent tout dialogue. Ils ont le droit de critiquer, mais sans aller jusqu’à vouloir détruire la Syrie. D’autre part, leur représentativité auprès du peuple est faible. Nous n’avions jamais entendu parler de Buhran Ghalioun ou de Bassma Kodmani avant ces événements. Les seuls dont on connaissait le nom sont ceux liés aux Frères musulmans, qui avaient des relais anciens en Syrie.

Que pensez-vous de la position française dans le conflit ?
Je ne vous cache pas qu’il y a une équivoque que je ne comprends pas. La position française ne va ni dans le sens de votre pensée républicaine, ni dans le sens de ses intérêts. Jamais la France n’a eu autant de faveurs en Syrie que ces dernières années. À Alep, j’ai réussi par exemple à ouvrir quatre écoles en partenariat avec la France. Pourquoi être aussi en pointe contre la Syrie ? On n’aurait jamais imaginé cela de la France, en particulier nous autres les chrétiens.

(Propos recueillis par Georges Malbrunot - Le Figaro du 11 janvier 2012)

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