La chambre basse du parlement égyptien issue des premières élections libres de l’après-Moubarak a tenu lundi sa séance inaugurale dans une ambiance rendue parfois houleuse par la forte domination des islamistes.
Bien qu’ils détiennent près de la moitié des sièges via leur parti Liberté et Justice (PLJ), les Frères musulmans se sont engagés à coopérer avec l’ensemble des forces politiques mais aussi avec les généraux assurant l’intérim à la tête du pays depuis le renversement d’Hosni Moubarak, le 11 février 2011, par un soulèvement populaire.
Quasiment un an jour pour jour après la première grande manifestation du 25 janvier 2011 contre l’ancien "raïs", plusieurs milliers d’activistes se sont rassemblés près du parlement, derrière un cordon de police, pour exprimer leur crainte d’une confiscation du pouvoir par une alliance de circonstance entre islamistes et militaires. "A bas le gouvernement militaire", ont-ils scandé.
La première séance plénière de l’Assemblée du peuple a été ouverte par Mahmud al Saka, 81 ans, membre du parti Wafd, officiant comme président provisoire en sa qualité de doyen des députés.
"J’invite l’honorable assemblée à se lever et à réciter la fatiha (ndlr, la prière musulmane) en mémoire des martyrs de la révolution du 25 janvier (...) parce que c’est le sang des martyrs qui nous a conduits à ce jour", a-t-il déclaré.
Après avoir prié en silence, les élus ont prêté serment, certains arborant des écharpes jaunes en signe de protestation contre les procès militaires visant des milliers de civils.
C’est alors que l’ambiance consensuelle de recueillement s’est évaporée. L’élu islamiste chargé de lire le serment des élus envers la nation et ses lois, Mamduh Ismaïl, a ajouté ses propres mots ("tant que cela ne contrevient pas à la loi divine"), ce qui a conduit le président à lui demander de réciter à nouveau le serment sans ajout personnel.
Un vif échange a ensuite éclaté lorsque les députés se sont attelés à leur première tâche : élire le président de l’assemblée.
Un élu opposé à la désignation de Mohamed Saad al Katatni, candidat choisi par les Frères musulmans, a tenté de s’adresser à la chambre pour présenter sa candidature, ce que les députés islamistes ont empêché par un vote rapide. Secrétaire général du PLJ, Katatni a été élu président de l’Assemblée du peuple.
Les adversaires des Frères musulmans comparent la domination de la confrérie sur l’assemblée à celle exercée avant la révolution par le Parti national démocratique (PND) d’Hosni Moubarak, systématiquement vainqueur d’élections manifestement truquées.
Contrairement au PND, le PLJ ne dispose cependant pas d’une majorité absolue, ce qui va le contraindre à chercher des alliances.
"Aujourd’hui, nous reprenons la révolution. Nous avons perdu un an. Il nous reste du travail", affirme ainsi Kamal Abou Etta, figure du milieu syndical et membre du parti laïque Karama.
Parmi les manifestants rassemblés devant le parlement, Rasha Adel a crié sa désillusion : "Ce parlement est mort, c’est un fiasco. Comment pouvons-nous avoir un parlement avec une vieille constitution ?"
Avec la chambre haute (choura), qui sera élue en plusieurs phases de fin janvier au 22 février, l’Assemblée du peuple doit constituer une commission de 100 membres chargée de rédiger une nouvelle Constitution définissant les pouvoirs du président et du parlement dans la nouvelle Egypte.
Interdits mais tolérés pendant plusieurs décennies, les Frères musulmans ont remporté 38% des voix et disent contrôler quasiment la moitié des 498 sièges de l’assemblée, quelques scrutins partiels devant être ré-organisés. Ils ont devancé les salafistes d’Al Nour, avec lesquels ils contrôlent plus des deux tiers des sièges attribués au scrutin de liste au sein de la chambre basse du parlement.
Le parti laïque Wafd et le Bloc égyptien sont arrivés aux troisième et quatrième places. La coalition "La Révolution continue", dominée par les organisations de jeunes, a obtenu moins d’un million de voix et seulement sept sièges à la chambre basse.
Les Frères musulmans se sont cependant engagés à n’exclure personne des travaux de l’assemblée.
"Nous allons coopérer avec tout le monde : avec les forces politiques à l’intérieur et à l’extérieur du parlement, avec le gouvernement intérimaire et avec le conseil militaire jusqu’à ce que nous parvenions à la sécurité avec une élection présidentielle", a promis Essam el Erian, l’un des dirigeants du PLJ.
L’armée qui assure l’intérim via un Conseil suprême des forces armées (CSFA) a promis de restituer le pouvoir aux civils à l’issue de l’élection présidentielle prévue au mois de juin, mais certains soupçonnent les militaires de vouloir conserver les leviers dont ils se sont emparés.
La session parlementaire de lundi a ressuscité une assemblée qui, au début du XXe siècle, était un forum plein de vie au sein duquel s’exprimaient les aspirations nationales de députés contestant le pouvoir du monarque et le protectorat britannique.
Cette voix indépendante s’est éteinte en 1952 avec le coup d’Etat de Gamal Abdel Nasser, ouvrant l’ère d’un pouvoir assumé par les militaires.
Selon certains observateurs, les généraux du CSFA n’abandonneront le pouvoir qu’après avoir obtenu l’assurance des Frères musulmans et des autres partis politiques qu’ils ne seront pas jugés pour la mort de manifestants.
Le ministère public a requis la peine de mort début janvier contre Hosni Moubarak, poursuivi pour sa responsabilité présumée dans la mort de 850 personnes tuées lors de la révolution.
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