Ayman Odeh, 41 ans, chef du Hadash, le Parti communiste juif et
arabe, est le leader de la Liste arabe unie, devenue la troisième
force politique du pays en obtenant 13 sièges aux dernières
élections législatives. Rencontre à Haïfa, sa ville natale, au pied
du mont Carmel, où vit sa famille depuis trois cents ans.
Quel est votre état d’esprit alors que les tensions sont de plus
en plus vives non seulement entre Palestiniens et Israéliens, mais
entre les deux communautés, juive et arabe, au sein d’Israël ?
Nous vivons à l’heure des fanatismes. Si on ose dire que ce pays est
celui de tous les citoyens, on vous regarde comme un extrémiste et
vous êtes harcelé très durement. Sans doute, il ne s’agit pas d’un
Etat qui pratique l’apartheid : les simples faits que je siège à la
Knesset avec les 12 autres membres de la Liste arabe unie et
l’existence de la Cour suprême en constituent des preuves tangibles.
Néanmoins, les Palestiniens d’Israël (20 % de la population) sont
confrontés au racisme et à la discrimination. Quel est le seul
facteur de lutte contre le racisme ? La démocratie. C’est un combat
commun. Les juifs et les Arabes doivent le mener ensemble, car je
crois fermement en un Etat moral. Il ne peut y avoir de combat
séparé. Je vis dans une ville mixte, Haïfa, où juifs et Arabes
mènent encore une existence commune. C’est la ville la plus saine
d’Israël. Personne, ici, ne peut dire que nos deux peuples ne
peuvent pas vivre ensemble. Le problème, ce n’est pas nos peuples,
mais le gouvernement qui alimente le feu de la haine.
L’islamisme, aussi, est vecteur de haine. Comment le
combattez-vous ?
Mais il s’est produit un phénomène extraordinairement positif !
Nous siégeons ensemble au sein d’une liste arabe unie. Com munistes,
islamistes, nationalistes, modérés, sont réunis autour des mêmes
objectifs. Il faut réaliser ce que cela signifie aujourd’hui, au
Moyen-Orient, où tout le monde se déchire. C’est en soi une victoire
formidable : nous, Arabes, avons été capables de dire stop aux
conflits internes. Je suis un Arabe palestinien, c’est mon identité
nationale. Et je suis aussi un citoyen d’Israël. Le lendemain des
élections qui ont fait de notre liste la troisième force politique
du pays, nous sommes allés voir tous les ministres et nous leur
avons demandé de nous donner nos droits. Nous avons été capables
d’influencer des décisions économiques sur le sous-développement des
zones où vit notre minorité. Nous nous battons pour qu’elles soient
mises en application au plus vite. Il s’agit notamment de réduire
les disparités dans les transports publics : 40 % des nouveaux
crédits alloués aux villes arabes y seront consacrés. C’est du
concret, pas de l’idéologie.
Je reviens sur la question de la violence qui reste présente :
l’idéologie extrémiste, l’influence de Daech, ne risquent-elles
pas de saper les bases de votre combat ?
Patience ! Aux Etats-Unis, il y avait Malcolm X mais aussi Martin
Luther King. La réalité, c’est que 88 % de la population arabe a
voté pour notre liste arabe unie. Qui essaie de nous pousser vers
l’extrémisme ? Le gouvernement ! Bien sûr, que nous sommes affectés
par la détérioration de la situation dans les Territoires. Au moment
des accords d’Oslo, en 1993, il y avait un mieux très sensible. Et
puis, allons au fond des choses, nous ne sommes pas seulement une
minorité nationale, c’est notre patrie ! Nous ne sommes pas venus
vers l’Etat d’Israël : c’est l’Etat d’Israël qui est venu à nous.
Et, à partir de 1967, l’Etat a occupé des territoires. Or,
l’occupation fait d’abord souffrir les Palestiniens et ensuite la
société israélienne. Elle la métamorphose en une société violente et
raciste. Je crois qu’un peuple qui en occupe un autre ne peut pas
être libre. Je préfère la résistance pacifique, mais je comprends
que les Palestiniens décident de leur façon de résister.
Avec les couteaux, les attentats ?
Je suis et je serai toujours contre le meurtre des civils innocents.
Tout mon parcours témoigne de la valorisation des idées pacifistes.
Et mon combat de député palestinien d’Israël, c’est de l’intérieur
de cette société que je le mène. Par exemple, pourquoi y a-t-il des
villes et des villages où nous ne pouvons pas nous installer ?
Pourquoi dans des villages qui existaient avant l’Etat – ceux qui
n’ont pas été détruits – n’y a-t-il ni eau ni électricité ? C’est le
cas d’Oum al-Hiram, dans le Néguev, dont la population refuse d’être
expulsée. Quarantedeux autres villages sont dans le même cas, on les
qualifie d’illégaux. Nous voulons les faire reconnaître. C’est ainsi
que l’on désamorce la tentation de la violence : par la réparation
et l’égalité. La paix, la démocratie et la justice sociale
constituent les objectifs communs aux deux peuples de cette terre.
Que pensez-vous de la campagne pour le boycott d’Israël ?
Boycotter les produits des colonies est une décision morale. Je la
soutiens. Mais pas question d’être contre les juifs et contre l’Etat
d’Israël. Je fais partie de cet Etat, je siège à la Knesset. Je ne
peux donc pas soutenir mon propre boycott. C’est l’occupation qu’il
faut combattre, pas l’Etat.
(Propos
recueillis par Martine Gozlan, de Marianne, du 29 avril au 05 mai
2016)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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