« Je n’ai pu fermer l’œil de la nuit. Sur mon lit, un fusil à mes côtés,
j’imaginais les gens de ce village, qui ont fui par peur et qui sont
probablement juste à côté, attendant la première occasion pour retourner
à leurs villages, à leurs maisons…. Qu’allons-nous faire si ces jeunes
rassemblent leur courage et viennent ici la nuit, pour se venger ? » (un
colon membre d’une colonie moshav, implantée dans le centre de la
Palestine occupée).
Quelques années après avoir envahi la Palestine, massacré et expulsé son
peuple, les colons installés dans les maisons des Palestiniens, ou dans
leurs villages démolis, continuent à craindre leur retour, malgré la
destruction systématique des villages, ordonnée par les autorités
coloniales, pour empêcher ce retour. Pour ces colons, les Palestiniens
qui ont tenté leur retour au village sont non seulement des « infiltrés »
indésirables, mais aussi des « voleurs » bien qu’ils soient revenus
pour récupérer leurs propres biens.
« Il y avait beaucoup d’infiltrés… Ils venaient la nuit pour voler les
citrons avant de retourner à Gaza… Nous faisions la garde du kibbutz
contre eux, nous en avions arrêté certains et amenés au kibbutz. Puis
l’armée venait les récupérer au matin et nous payait pour cela. Il y
avait une sorte de « prison » dans le kibbutz, nous y gardions les
captifs jusqu’à ce que l’armée les récupère ».
Non seulement les « infiltrés » palestiniens étaient arrêtés, mais ils
étaient souvent tués par les colons, qui les pourchassaient « presque
toutes les nuits », au cours d’expéditions menées du côté de la mer, «
pour arrêter les contrebandiers et les voleurs ». Pour justifier leurs
crimes, un colon écrit : « tu y vas avec ton arme et tu tires, et si tu
ne le fais pas, ils le feront. Plus d’une fois, les contrebandiers ont
été tués. »
Les colons qui ont envahi la Palestine, avec l’aide de la
Grande-Bretagne, ne se sont pas installés sur une terre non peuplée et
non cultivée, où ils auraient construit leurs maisons, planté leurs
jardins ou leurs « désert », comme le proclame leur propagande, relayée
par les gouvernements occidentaux. Les souvenirs rapportés par ces
colons, au cours des dix premières années après l’occupation de la
Palestine et l’expulsion de plusieurs centaines de milliers de
Palestiniens de leur pays et de leurs terres (1948), témoignent au
contraire que ces terres étaient cultivées et que les maisons non
démolies furent razziées et vidées de leur contenu.
Les colons qui furent installés par l’armée sioniste, ou qui se sont
installés par eux-mêmes, sur les terres des villages démolis, ont
pleinement profité des vergers, des oliveraies et des champs cultivés
par les Palestiniens, comme le décrit un colon :
« Kerem ben Zimra (la colonie implantée dans le village de Ras al-Ahmar,
dans le Haut-Jalil) … fut, dans un passé proche, riche de vergers
cultivés par les Arabes qui y vivaient, où poussaient les figues, les
raisins, les grenades, les mûres, les noix, les amandes et une
oliveraie. Ces arbres continuent à pousser partout dans le moshav, bien
qu’ils ne soient pas soignés et cultivés comme par le passé. Néanmoins,
au cours des semaines d’été, les résidents profitaient des fruits et des
arbres ». Les colons ont non seulement utilisé le matériel « abandonné »
par les villageois palestiniens, comme le four, par exemple : « Nous
avons commencé à cuire le pain dans un four abandonné par ses précédents
propriétaires », écrit un colon, mais les maisons à moitié démolies
furent razziées : « Ici et là, nous avons vu des tabourets et différents
équipements ménagers. Nous n’avons pas du tout hésité, nous les avons
pris pour les utiliser dans nos tentes et cabanes.. Donc, peu à peu,
nous nous sommes équipés avec le minimum de confort. Quelques-uns sont
allés plus loin, et ont commencé à récupérer délibérément (des objets)
pour entreprendre des affaires, mais la plupart d’entre nous se sont
contentés du minimum d’objets. Plus tard, une recherche systématique des
objets a commencé et des membres se sont même arrangés pour prendre des
armoires, des tables et des chaises… » (les colons de Kabri, sur les
terres du village palestinien al-Kabri, dans al-Jalil). Cette «
appropriation » d’objets qui appartiennent aux Palestiniens devenus
réfugiés est rapidement légitimitée et même légalisée par les autorités
coloniales, qui agissent fermement pour que les réfugiés ne puissent pas
revenir à leur pays, en détruisant autant que possible les villages et
les maisons qui s’y trouvent.
Les colons savaient qu’ils s’appropriaient des objets et des terres qui
ne leur appartenaient pas. Mais ils ont fermé les yeux et même justifié
leurs vols. Certains ont considéré que leur sort (« holocauste ») en
Europe pouvait tout excuser, alors qu’une partie des colons venue des
Etats-Unis ou de pays arabes (Yémen, Irak, Maroc) ne partage même pas
cet épisode vécu par les Juifs européens. D’autres, juifs américains,
ont considéré que le fait de promouvoir le sionisme « enchanteur » sur
terre pouvait excuser tous les crimes commis, car « le kibbutz que nous
avons construit à Sasa (village palestinien de Sa’sa’, où un massacre a
eu lieu en 1948) sera dédicacé non seulement à la renaissance de notre
peuple mais à l’humanité…y compris à nos voisins arabes ». Un cynisme
qui n’a rien à envier à celui de Netanyahu, Pérès, Ben Gourion ou
Sharon. Certains, comme les colons de Kabri, justifient leurs crimes par
le fait que les Palestiniens du village ont dignement résisté contre
les bandes sionistes armées par les Britanniques et en ont tué des
dizaines. Quant aux colons artistes installés dans le village
palestinien de Ayn Hod, au-dessus de Haïfa, ils justifient leurs vols
par une histoire mythique où des juifs y auraient vécu il y a des
millénaires, se considérant comme leurs descendants.
Le retour des réfugiés palestiniens à leurs villages et à leur terre
hante les colons et l’entité qui les a rassemblés. Depuis 1948, toutes
les mesures prises par l’entité coloniale vise à empêcher un quelconque
lien entre le réfugié (même interne, c’est-à-dire vivant en Palestine
occupée en 48 mais ailleurs que dans son village ou sa ville) et son
village et sa terre. Tous les colons, ou la plupart, refusent leur
retour. Et quand certains proclament « généreusement » le droit au
retour des réfugiés palestiniens, c’est en Cisjordanie ou à Gaza qu’ils
espèrent ce retour, et non à leurs propres villages, même détruits, et à
leurs propres terres. Lorsque des réfugiés palestiniens du village de
Dimra (où est implantée la colonie Erez) venus de la bande de Gaza après
son occupation en 1967 sont parvenus à rencontrer les colons qui vivent
sur leurs terres , ces derniers n’avaient eu qu’un seul désir, qu’ils
s’en aillent le plus tôt possible, ne pouvant supporter la vue de ces
Palestiniens parcourant les vergers et touchant aux fruits et aux
arbres, « comme s’ils leurs appartenaient » : « certains d’entre nous
ont ressenti de la culpabilité et une responsabilité envers eux. Mais
aussi un besoin urgent de les pousser ailleurs » (Les textes cités sont
pris de « Erased from space and consciousness » Noga Kadman, Indiana
University press, 2015).
De leur exil, les réfugiés se préparent cependant au retour. Non pas en
Cisjordanie ou à Gaza, où des réfugiés attendent également leur retour,
mais à leurs villages, même détruits, à leurs champs spoliés , à leurs
villes défigurées par le sionisme, de gauche ou de droite. Les
Palestiniens vivant encore dans le pays les attendent. Des liens sont
tissés entre les différentes communautés, que la Nakba a dispersées.
Malgré tous les malheurs qui se sont abattus sur eux, depuis 1948, les
réfugiés n’ont pas perdu l’orientation ni la boussole de leurs luttes :
revenir au pays et en chasser les envahisseurs. Des centaines
d’associations et de centres de recherches, financés par les pays
occidentaux, cherchent à les en détourner, notamment en ces périodes de
crise. Mais la mémoire des plus âgés, ceux qui ont survécu aux massacres
et qui ont été expulsés, est restée vive et saura vaincre toutes leurs
tentatives.
Fadwa Nassar
Vendredi, 15 avril 2016
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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