Un mikado diplomatique grandeur nature. C'est le mot. Retirer un élément
du jeu politique sans faire tressaillir son voisin. Puis recommencer
jusqu'à extinction des rivalités. Pour le placide al-Sarraj, la
situation exige patience et doigté. Sous la houlette bienveillante de
l'ONU et de son haut représentant Martin Kobler, le GNA compose avec les
forces en présence. Deux gouvernements existants, celui de Tobrouk -
légitime aux yeux de la communauté européenne - et l'illégitime de
Tripoli, un millefeuilles de milices, une poignée de tribus sans
lesquelles rien ne sera durable (Toubou, Touareg, Warfalla), la NOC (la
Compagnie nationale de pétrole), la Banque centrale... Un enchevêtrement
que démêle fil à fil le Premier ministre démineur. Son coup de force
politique mené le 30 mars, son arrivée sur la base navale de Tripoli par
bateau puisqu'on lui interdisait les airs, serait-il sur le point de
devenir un coup de maître ? Les risques d'affrontements qui planaient
suite aux menaces proférées à la télévision par Ghwell, Premier ministre
tripolitain, se sont cantonnés à quelques fusillades éparses. Le front
islamo-milicien qui régente la capitale libyenne se délite. De
nombreuses défections enregistrées. De nombreuses villes, encadrées par
des milices, ont fait allégeance au GNA. Le pied droit à peine posé sur
le sol libyen, al-Sarraj était salué par le ministre de l'Intérieur «
Fajr Libya ». Le GNA tel un aimant attire à lui des ralliés de la
dernière heure et des tacticiens de leurs intérêts particuliers. Plus
solides, Mustafa Sanalla (le tout puissant PDG de la NOC) et le
gouverneur de la Banque centrale, par laquelle il faut passer pour tout
commerce de pétrole, prenaient contact avec le nouveau venu. Quant à
ceux qui ont qualifié al-Sarraj de « traître », ils seront désormais
contraints de composer pour s'assurer un avenir qui ne soit pas que
judiciaire. L'heure est au rassemblement de toutes les forces, des
Frères musulmans aux nationalistes, afin que l'union soit parfaite. Si
les hommes forts de Tripoli résistent, ce qui était prévisible, un
épineux problème se situe plus à l'est.
Tobrouk fait de l'obstruction
Après douze jours de présence à Tripoli, le GNA attend toujours le vote
de soutien de la chambre des représentants de Beïda (Tobrouk). Qui joue
un jeu épuisant pour les nerfs onusiens en repoussant sans cesse ce
scrutin, une simple formalité puisque la majorité des députés y est
favorable. Choyé par la communauté internationale, les autorités de
Tobrouk sont aujourd'hui dans son collimateur. Les multiples prétextes
invoqués – quorum insuffisant & co – ont provoqué plusieurs tweets
de remontrance, une fessée en langage onusien, de la part de Martin
Kobler. Qui, sur Twitter, lançait : « I strongly urge the House of
Representatives to hold an immediate session to vote on the Govt of
National Accord. » L'inlassable diplomate a depuis rencontré les
représentants de Tobrouk au Caire. Qui promettent un vote d'investiture
d'ici le 18 avril. Peter Millett, l'ambassadeur britannique à Tripoli, a
élaboré sur son blog un parallèle entre la situation en Irlande du Nord
(30 ans de conflit, 3 500 morts, 47 000 blessés) et la Libye. Estimant
que « le compromis n'est pas un mot injurieux ni un signe de faiblesse
». Deux chantiers urgents sont suspendus à cette décision : la lutte
contre l'État islamique et la relance de l'économie.
« La Libye court à la faillite faute de compromis »
Sérieusement accrochées en Syrie et en Irak par des coalitions
hétéroclites (les Russes et le régime de Bachar el-Assad, les
Occidentaux ainsi que les pétromonarchies), les forces du Califat
auraient doublé selon plusieurs experts en contre-terrorisme. Entre six
et huit mille djihadistes seraient désormais sur le territoire libyen.
Une main-d'œuvre qui n'a aucun intérêt à ce que l'union politique
réussisse. Daech a profité du chaos et entend conserver la situation en
l'état. L'économie, qui repose essentiellement sur le pétrole et le gaz,
ne repartira que si la sécurité est assurée sur les champs
pétrolifères. Les nombreux incidents, attaques et assassinats, ont
divisé par quatre la production. Le pétrole, ce sont des devises qui
irriguent la Banque centrale, permettant l'importation de produits de
première nécessité pour un peuple ruiné par cinq années de luttes
intestines. Sur son blog, l'ambassadeur UK écrit que « la Libye court à
la banqueroute » si un compromis n'est pas signé entre toutes les
parties. Et de conclure son billet, au ton très direct, par un « Aux
Libyens de décider ». L'union ou Daech. Le compromis ou la mise à terre
de l'économie. Un choix qui ne repose pas sur les seules épaules
d'al-Sarraj.
(11-04-2016 - Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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