À
Tripoli, en avril 2016, sur la place des Martyrs, lors d'un
rassemblement, deux manifestants se prennent en photo en affichant leur
soutien au nouveau gouvernement.
On reparle d'une intervention militaire en Libye... C'est lors d'une
rencontre, le 21 avril dernier, avec le ministre britannique des
Affaires étrangères, Michael Fallon, que Jean-Yves Le Drian annonçait
l'accord des deux capitales sur la constitution d'une force conjointe
franco-britannique en vue d'une éventuelle intervention en Libye. Voilà
qui rappelle 2011, lorsque Paris et Londres avaient donné le coup
d'envoi de l'intervention militaire qui allait renverser le colonel
Kadhafi. On sait quelles furent les suites de cette guerre, dont on paie
encore les conséquences catastrophiques.
Cette fois, il s'agit de combattre les djihadistes de l'État islamique.
Profitant du morcellement du pays où des milices se sont constituées en
fiefs rivaux, l'aile libyenne de Daesh, renforcée d'étrangers, s'est
s'installée dans la région de Syrte. Elle y applique, comme à Raqqa en
Syrie, une interprétation rétrograde de la charia et pousse ses pions en
direction des zones pétrolières. Le 11 avril, Daesh a obligé les
Libyens à évacuer des champs pétroliers à 800 km au sud-est de Tripoli.
Une situation qui inquiète les Européens et les voisins de la Libye. Ce
fief libyen de Daesh pourrait servir de base arrière à l'envoi de
terroristes en Europe, tandis que l'absence d'État facilite le
renforcement d'une « route libyenne » pour les migrants qui veulent
rejoindre le sud de l'Europe alors que la route des Balkans est fermée.
Les Nations unies et l'Europe (France, Italie, Grande-Bretagne,
Allemagne) ont donc un objectif : obliger la Libye à retrouver un
gouvernement central légitime qui remettrait de l'ordre dans le pays et
pourrait faire appel à une communauté internationale prête à l'y aider.
Concrètement, rarement les Nations unies et les capitales européennes
ont mis autant de volontarisme pour imposer une solution politique à un
pays en chaos. Reprenons le scénario de cette incroyable histoire qui se
déroule depuis ces derniers mois entre les deux rives de la
Méditerranée.
C'est en décembre dernier, à Skhirat au Maroc, que se joue le premier
acte de la pièce libyenne. Les Nations unies, appuyées par les
Européens, ont rassemblé des députés des deux parlements rivaux libyens
(celui de Tripoli, pro-islamiste, et celui de Tobrouk, plus libéral)
pour former ensemble un « gouvernement d'union nationale ». Cette
troisième entité doit réconcilier la Libye avec elle-même et disposer de
la légalité politique. Un homme d'affaires, Fayez el-Sarraj, est choisi
par les parlementaires des deux camps présents à Skhirat comme Premier
ministre de la nouvelle entité politique en devenir. Un processus
contesté par les députés des deux bords restés en Libye, à commencer par
les présidents des deux parlements.
Le deuxième acte du scénario se déroule le 30 mars. Fayez el-Sarraj et
son équipe, installés entre la Tunisie et le Maroc, tentent un coup de
force. Poussés par l'ONU et les Européens, ils débarquent à Tripoli, par
la mer, en provenance de Sfax (Tunisie) et s'installent sur la base de
la marine qui leur a prêté allégeance. Leur sécurité est assurée par des
membres du ministère de l'Intérieur qui ont fait défection et une
poignée de combattants berbères. Le Premier ministre du gouvernement de
Tripoli qualifie el-Sarraj d'« intrus » ; le grand mufti appelle au
djihad. Apparemment sans conséquence.
Depuis, Nations unies, Européens, pays arabes multiplient les pressions
pour faire accepter la nouvelle équipe. Avec un certain succès.
Rapidement, après un véritable ultimatum, le gouverneur de la Banque
centrale et le patron de la compagnie pétrolière se rallient au nouveau
pouvoir. Deux « prises » de choix. Une dizaine de villes de l'Ouest,
dont Sabratha, annoncent leur soutien à Sarraj, imitées par quelques
milices armées, tandis que les autres proclament leur neutralité.
Parallèlement, la France et la Tunisie déclarent rouvrir leurs
ambassades à Tripoli, le représentant de l'ONU pour la Libye, Martin
Kobler, et son équipe reviennent s'installer dans la capitale libyenne
quittée en 2014. Une quarantaine de pays arabes et occidentaux réunis à
Tunis annoncent le déblocage de fonds pour remettre sur pied les
infrastructures. Dernière scène – pour l'instant – du scénario : des
ministres européens, dont Jean-Marc Ayrault, le chef de la diplomatie
française et son homologue allemand, viennent, le 17 avril, rencontrer
el-Sarraj lors une visite éclair à Tripoli. Il faut montrer que les
Occidentaux voient en lui le représentant de la légalité internationale,
même s'il est toujours reclus sur la base de la marine…
Rien n'est totalement gagné. Il reste deux étapes essentielles pour
faire reconnaître la légitimité de la nouvelle équipe. La première est
d'ordre pratique. Ils doivent avoir l'accord des politiques et des
milices de Tripoli qui tiennent la ville, y compris l'aéroport, s'ils
veulent quitter la base de la marine et rejoindre leurs bureaux.
La seconde étape est d'ordre politique. L'accord inter-libyen signé
après la conférence de Skhirat prévoit que c'est au Parlement de
Tobrouk, dont la légitimité a été reconnue par la communauté
internationale, qu'il revient de voter en faveur du gouvernement d'union
nationale. Dans l'immédiat, il s'y refuse. A l'origine du désaccord, la
place qui sera accordée dans le nouvel exécutif au général Khalifa
Haftar, actuel chef de la Défense du gouvernement de Tobrouk. Cet
ex-proche de Kadhafi qui avait fait défection, anti-islamiste soutenu
financièrement et militairement par l'Égypte et les Émirats arabes,
entend conserver son poste de chef de l'armée. Il est rejeté par Tripoli
qui voit en lui le retour des kadhafistes très anti-islamistes. Dans un
premier temps, les Occidentaux semblaient prêts à le sacrifier. Ils
veulent aujourd'hui lui trouver un autre poste.
Les pressions s'accentuent sur les parlementaires réticents au vote. Ils
sont menacés de se voir privés de visas pour l'Europe et du gel de
leurs avoirs. Des arguments de poids pour certains. Restera ensuite à
tenter de rebâtir une armée, avec l'aide de l'Otan, qui devra intégrer
les milices. Celles-ci se disent capables de battre et d'éliminer Daesh
si les Occidentaux leur en donnent les moyens financiers et militaires.
Mais la majorité d'entre eux refuse une intervention extérieure, qui,
disent-ils, relancerait la guerre civile. C'est la grande crainte des
Libyens.
(28-04-2016)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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