"Le climat est tendu et les gens sont fatigués": dans un café de
Tripoli, Abou Ehab exprime son inquiétude quant à la volonté du
gouvernement d'union nationale de s'installer dans la capitale libyenne.
Mais à quelques tables de lui, trois jeunes en rigolent.
Depuis que ce gouvernement d'union parrainé par l'ONU a dit son
intention de venir à Tripoli, malgré le refus catégorique du
gouvernement non reconnu par la communauté internationale qui y siège
depuis 2014, la capitale libyenne craint des affrontements armés mais
aiguise son sens de l'humour.
Sur les réseaux sociaux, à la télévision mais aussi aux terrasses de ses innombrables cafés, l'anticipation est palpable.
Sirotant son thé vert à la terrasse d'un établissement de la médina,
Abou Ehab, 71 ans, écoute les trois jeunes gens échafauder des scenarii
sur l'arrivée non confirmée du chef du gouvernement d'union Fayez
al-Sarraj, qui a inquiété les autorités de la capitale au point qu'elles
ont déclaré "l'état d'urgence maximal".
Ce gouvernement d'union est censé mettre fin au conflit qui oppose les
autorités de Tripoli -soutenues par Fajr Libya, une coalition de milices
dont certaines islamistes- et celles installées dans l'est, soutenues
par le Parlement élu siégeant à Tobrouk.
"La présence de trois gouvernements est la cause de gros problèmes",
explique M. Ehab, ancien professeur de biologie. "Si (le gouvernement
d'union) sentait qu'il était soutenu par les gens de Tripoli, il
viendrait et les choses iraient mieux".
Face à la volonté affichée de ce gouvernement de s'installer à Tripoli
"dans les tout prochains jours", les Tripolitains s'interrogent sur la
façon dont il pourrait entrer dans une ville qui ne compte qu'un seul
aéroport, contrôlé par des autorités qui ne veulent pas de lui.
Pour certains, Fayez al-Sarraj arrivera en fait en hélicoptère à
Janzour, dans la banlieue ouest de Tripoli, pour s'installer dans le
luxueux Palm City, un complexe balnéaire. D'autres l'imaginent arriver
par la mer, protégé par des "forces étrangères".
Une caricature sur Twitter le montre débarquant en Libye en parachute aux couleurs de l'ONU.
Sur le même mode humoristique, un "flash info" circule sur
l'installation par des milices de Tripoli d'immenses ventilateurs pour
provoquer une tempête de sable et empêcher l'avion de M. Sarraj
d'atterrir.
Même si le gouvernement d'union dit avoir le soutien de certains des
groupes armés quadrillant Tripoli, les habitants de la capitale n'en
sont pas si sûrs et craignent des affrontements si M. Sarraj s'obstine à
venir s'installer sans l'assentiment des autorités locales.
Le spectre des combats meurtriers qui avaient permis en août 2014 à Fajr
Libya de chasser les autorités reconnues alors par la communauté
internationale plane encore sur Tripoli.
Par habitude, les familles ont fait des provisions avant que des
affrontements ne les immobilisent chez eux. Craignant des ruptures de
stocks, certains commerçants refusent par exemple l'achat de plus de 10
boîtes de thon par personne, selon des clients.
Malgré tout, les habitants de Tripoli espèrent les autorités rivales
rassemblées au sein d'un Exécutif central pour freiner l'effondrement de
l'économie qui affecte leur quotidien et améliorer la situation
sécuritaire.
Depuis plusieurs semaines, les files d'attente s'allongent devant les
banques qui sont en pénurie d'argent liquide. Le prix des marchandises
augmente du fait de la crise politique, de l'insécurité, des
importations ralenties et du taux des devises.
En outre, l'apparition de la mendicité dans ce riche pays pétrolier peu peuplé est un phénomène choquant pour les Libyens.
Alors que la crise politique des "trois gouvernements" bat son plein et
que l'économie s'enfonce, un courant partisan du rétablissement de la
monarchie a fait son apparition.
Des tags sur les murs de Tripoli appellent au retour de cette "monarchie
qui nous unit". Une centaine de personnes se sont rassemblées vendredi
au coeur de la capitale pour réclamer le retour de la monarchie,
renversée en 1969 par Muammar Kadhafi, lui même renversé en 2011 par
une révolte armée.
"Avec un retour de la monarchie, il n'y aurait ni gagnant, ni perdant",
affirme Nouri el-Chafi, l'un de ces manifestants nostalgiques.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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