En juin dernier, le think tank Notre Algérie bâtie sur de
nouvelles idées (Nabni) tirait la sonnette d'alarme. Le collectif,
qui se déclare non partisan, publiait un plan d'urgence 2016-2018
élaboré autour d'une dizaine de mesures. L'objectif : fixer un cap
qui permette d'éviter cet « iceberg » qui menace de couler
l'économie algérienne. Nabni estime en effet que d'ici à 2020 les
finances publiques pourraient ne plus soutenir le rythme des
dépenses. Alors que le projet de révision constitutionnelle, qui
prévoit de rétablir à deux le nombre de mandats présidentiels,
vient d'être adopté par le Parlement et laisse entrevoir une
possible transition politique, Abdelkrim Boudra, porte-parole de
Nabni en Algérie, livre ses propositions pour une nouvelle
gouvernance. (Propos recueillis par Laurène Rimondi)
Quel bilan faites-vous de la présidence d'Abdelaziz
Bouteflika, au pouvoir depuis 17 ans ?
Nous avons réalisé une analyse documentée de l'ensemble des
politiques publiques mises en œuvre depuis 1962. En ce qui
concerne les 15 dernières années, nous constatons des points
positifs dans la répartition des richesses, l'augmentation du
niveau de vie moyen des Algériens et l'accès au logement. Des
améliorations qui ne masquent pas de graves dysfonctionnements,
liés à une absence totale de cohérence économique et qui se
manifestent à travers une dépendance à la rente pétrolière ainsi
que d'importantes inégalités au niveau régional, le tout dans un
contexte d'affaiblissement des compétences institutionnelles.
J'ajoute que nous n'avons pas constaté de rupture avec la
présidence actuelle, mais une continuité dans la conduite des
politiques publiques menées depuis les années 60.
Entrevoyez-vous une transition politique ?
Nous entendons un discours qui annonce des réformes, mais dans la
réalité, il existe un grand gap avec les actions menées. Nous
considérons que la capacité d'action de l'État algérien est
considérablement affaiblie, notamment dans sa capacité à penser
les politiques publiques et à les conduire. L'État manque de
compétences, voilà pourquoi nous avons proposé la mise en place
d'une unité de coordination des actions publiques au niveau du
premier ministère. Un groupe de travail composé d'experts, capable
de mener des réformes et de recruter des personnes compétentes,
sur le modèle d'une task force. Il s'agit d'une réponse à la
faiblesse des institutions algériennes. Alors que la dépendance du
pays aux hydrocarbures n'a pas diminué, le prix du baril est au
plus bas.
Considérez-vous que le gouvernement n'a pas pris la mesure
de la gravité de la situation ?
Nous ne voyons pas de politique à hauteur des enjeux, alors que le
malaise est évident. De toute évidence, le gouvernement n'a pas
conscience de l'approche de ce que nous appelons l'« iceberg »,
conséquence de la chute des prix du baril du pétrole sur notre
économie. La diversification de l'économie constitue l'enjeu
central de nos propositions. Nous y parviendrons grâce à
l'amélioration du climat des affaires, la détermination d'une
politique industrielle et des secteurs à promouvoir, et bien sûr,
la nécessaire réforme fiscale. Il est important de noter que ces
réformes de moyen terme n'auraient aucun sens si les chantiers
urgents n'étaient pas lancés en priorité.
Quelles sont les réformes les plus urgentes, selon vous ?
Nous affirmons la nécessité de fixer un cap, celui d'éviter les
gaspillages. Les réformes difficiles doivent être démarrées sans
plus attendre en s'attaquant aux niches fiscales dont bénéficient
certains acteurs et qui n'ont aucune efficacité économique, ainsi
que par la mise en place de partenariats public-privé, qui
permettraient de rationaliser les dépenses. Il existe un plan de
renforcement des entreprises publiques à hauteur de 13 milliards
de dollars pour des structures qui n'ont pas de visibilité, tandis
que certains projets d'autoroute, financés par l'État, sont loin
d'être indispensables. Nous n'avons plus les moyens de ces
dépenses inutiles.
Par la remise en cause de la politique de subvention, vous
promettez de « la sueur et des larmes ». Au vu du contexte actuel,
les Algériens sont-ils prêts à accepter des réformes difficiles ?
La véritable question est plutôt de savoir si nous avons le choix
de ne pas réformer.
Sommes-nous en situation d'entretenir l'illusion et de vivre
au-dessus de nos moyens ?
La réponse est non. Les Algériens sont sages, dès lors qu'on leur
explique la situation. Pour que cela fonctionne, il faut un État
exemplaire, sans quoi, cela n'a aucun sens de demander à la
population de faire des efforts. Il faudrait demander aux citoyens
de contribuer à l'effort de manière graduelle, tout en maintenant
les transferts monétaires à ceux qui en besoin. Au niveau du
développement numérique, l'Algérie accuse un retard puisque le
pays a été l'un des derniers à migrer vers la 3G en 2013.
Quelles sont vos propositions pour enclencher la révolution
numérique dont le pays a besoin ?
Nous avons mené un travail, « Digit-Algérie », sur plusieurs mois,
en étroite collaboration avec les acteurs du secteur. Nous
proposons de faire du numérique un impératif national afin
d'assurer le développement économique. Parmi les mesures, la mise
en place du paiement électronique et les services de
e-gouvernement. Jusqu'à aujourd'hui, les télécoms ont été abordées
sous l'angle de l'équipement, avec une préoccupation
essentiellement sécuritaire. Il est nécessaire d'offrir à
l'Algérie une gouvernance et des infrastructures destinées à
promouvoir les innovations dans ce secteur porteur. Une nouvelle
approche est donc indispensable. Nous avons reçu de très bons
échos de la part des acteurs mais aussi de la part de la ministre
de la Poste et des TIC (Houda Imane Faraoun, NDLR) qui nous a
reçus à deux reprises.
Vous affirmez que vous êtes non partisans, quels sont les
groupes au sein de la société civile auprès desquels vous
rencontrez un écho particulier ?
Nabni a été fondé en 2011, car, comme tous les citoyens à cette
époque, nous étions inquiets et souhaitions que notre destin reste
entre nos mains. Nous avions constaté un angle mort sur le terrain
des propositions documentées et techniques. Lorsque nous nous
sommes engagés sur cette voie, nous avons rencontré de très bons
échos de la part des pouvoirs publics et avons été reçus par les
partis politiques, les députés, les chancelleries ou les
universitaires. Nous avons acquis le respect des acteurs algériens
par notre sérieux. Il serait faux de dire que nous sommes
apolitiques, mais nous n'abordons pas les questions sous un angle
purement polémique et restons non partisans. Beaucoup de membres
du collectif Nabni appartiennent d'ailleurs à des bords politiques
différents. Ce qui nous réunit est notre inquiétude pour notre
pays : nous perdons un temps précieux, il est donc de notre devoir
d'apporter notre contribution.
(Nabni - 25-03-2016)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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