Au lendemain de la visite du secrétaire général de l'ONU à Tunis, le
chef du gouvernement et président du Conseil présidentiel libyen Fayyez
al-Sarraj a pris un bateau, quitté la Tunisie où il patientait pour
débarquer sur la base navale de Tripoli. On lui interdisait les airs, à
lui, ses ministres, ainsi que le haut-représentant de l'ONU Martin
Kobler. Il aura donc utilisé la voie maritime. Une arrivée en apparence
rocambolesque mais coordonnée avec la base d'Abusita avec l'accord de
plusieurs milices locales. Sarraj y « gouvernera » le temps que la
situation s'apaise à Tripoli. C'est peu de dire que ses dirigeants ont
pris cette nouvelle avec colère. Le Premier ministre Khalifa Ghwen, non
reconnu par la communauté internationale, a menacé lors d'une
déclaration télévisée : il ne reconnaît pas Sarraj, il lui demande de
quitter la Libye ou de se rendre : "Ceux qui sont entrés illégalement et
clandestinement doivent se rendre ou revenir sur leurs pas." Quelques
heures plus tard, les locaux de la chaîne de télévision al-Naba étaient
investis par un groupe armé. La chaîne est désormais close et son
personnel sommé de ne plus s'y rendre. Des rumeurs tenaces font
d'Abdelhakim Belhadj un de ses principaux actionnaires. Ce vétéran du
djihad, passé par l'Afghanistan, le Pakistan, est l'homme fort de cette
région. Il a toujours estimé que la situation libyenne se réglerait
entre Libyens et non via une solution imposée par la communauté
internationale.
Objectif : disloquer Fajr Libya
Un concert de satisfecit a accueilli l'installation rocambolesque de
Fayyez al-Sarraj sur le sol libyen. Les ministres des Affaires
étrangères français, italien, britannique… se réjouissent qu'enfin ce
gouvernement pose un début de chaussure sur le territoire qu'il est
censé diriger. Pour autant, les écueils sont nombreux. La coalition Fajr
Libya (« L'Aube de la Libye »), qui domine la Tripolitaine, va-t-elle
se lancer dans une guerre contre ce « traitre », selon la terminologie
utilisée hier par Awad Abdelsadeq, vice-président du CGN (Congrès
général national) ? Un début de dislocation semble apparaître dans ses
rangs. Son ministre de l'Intérieur a accueilli Sarraj sur la base
navale. La branche libyenne des Frères musulmans, le Parti justice &
construction, a communiqué qu'elle soutiendra Sarraj. Reste l'épineuse
question des milices, brigades révolutionnaires et autres factions qui
pullulent sous l'ombrelle « Fajr Libya » ? Tensions et escarmouches sont
à prévoir dans les jours qui viennent.
La sourde menace du TPI
Confronté à l'immobilisme des autorités légitimes de Tobrouk, incapables
de réunir le quorum nécessaire pour voter l'approbation du gouvernement
d'union nationale, à l'attitude hostile des dirigeants de Tripoli,
plusieurs ministres européens avaient évoqué à mots couverts des
comportements pouvant relever du Tribunal pénal international. Désormais
installé en Libye, la sécurité de Sarraj fait figure de test. Si les
autorités de Tripoli s'en prennent à lui, elles seront tenues pour
responsables par la communauté internationale.
Une population libyenne paupérisée
Le véritable enjeu est humanitaire. Près de 2,4 millions de Libyens ont
besoin d'une aide humanitaire, selon la Banque mondiale. Et deux
millions d'enfants, dans un pays de six millions, sont déscolarisés. La
majeure partie de la population est prise en otage entre les deux
gouvernements qui se partagent le pays depuis 2014. L'État islamique a
prospéré sur les décombres politiques. Au point que les États-Unis ont
mené un raid en février contre un camp d'entraînement de Daech, tuant
une quarantaine de djihadistes. Le statu quo ne pouvant plus
politiquement, sécuritairement et socialement durer, le tempo est passé
en mode allegro mercredi matin. Sarraj bénéficie du soutien des
Occidentaux, des Algériens. Un atout politique et militaire. Du ciel,
drones, satellites et avions peuvent surveiller les groupes les plus
hostiles à ce gouvernement d'union nationale. Les objectifs sont
multiples : stabiliser le pays, lutter contre les groupes terroristes
(Daech, Ansar al-Sharia…), endiguer la propagation djihadiste aux pays
voisins (Tunisie, Algérie, Tchad, Niger, Soudan, Égypte), tarir le flot
de migrants, calmer les ardeurs de certaines tribus… La Libye est un
chantier à ciel ouvert. La Banque mondiale chiffre à cent milliards de
dollars le coût de la reconstruction du pays. Les quelques jours qui
vont suivre seront un test crucial pour le devenir du gouvernement
Sarraj. Tout dépendra de l'attitude de Fajr Libya. Jeudi 31 mars 2016,
la Libye compte trois gouvernements.
(31-03-2016 - Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire