L'odeur insupportable de la décharge se dissipe quelques instants
lorsque Moussa Tarabine chauffe du café fraîchement moulu dans un
récipient rempli d'eau sur les charbons à même le sol.
"La puanteur nous réveille au milieu de la nuit", explique ce père de 52
ans. Avec ses sept enfants et quelque centaines de bédouins d'une
quarantaine de familles, il vit au pied d'une immense décharge dans le
désert du Néguev, dans le sud d'Israël.
Le village est un ensemble de constructions éparses pour les hommes et
les bêtes, souvent faites de bric et de broc. Certaines habitations se
dressent à quelques mètres de la clôture ceignant la décharge.
Ces conditions de vie misérables reflètent à elles seules le vieux et
souvent silencieux conflit pour la terre qui oppose l'Etat d'Israël et
les Bédouins, descendants de langue arabe des nomades du désert.
Les membres de la tribu des Tarabine affirment qu'Israël les a déplacés
en 1956 de la frontière avec l'Egypte, plus au sud, pour les installer
ici. Au début des années 1990, ils ont vu s'ouvrir la décharge de
Dudaim. Depuis, leur village donne sur des montagnes d'ordures au dessus
desquelles rôdent les charognards.
"Avant c'était bien de vivre ici. Israël doit trouver une solution", lance Musa Tarabine.
La confrontation entre le mode de vie des Bédouins et les autorités est
pour ainsi dire aussi vieille que l'Etat d'Israël, créé en 1948.
La grande majorité des Bédouins d'Israël (estimés à plus ou moins
300.000) vivent dans le Néguev. Certains ont conservé une existence
semi-nomade, d'autres l'ont abandonnée tout en restant attachés à leurs
traditions.
Nombre d'entre eux habitent dans des villages non reconnus par l'Etat,
souvent dans une grande pauvreté, sans raccordement aux réseaux d'eau et
d'électricité.
Selon des chiffres officiels, sur les 230.000 Bédouins du Néguev,
140.000 vivent dans des communautés reconnues, 90.000 dans des villages
qui ne le sont pas.
Adalah, une ONG de défense de la minorité arabe, chiffre les Bédouins du Néguev à 300 ou 330.000.
Ils se plaignent des démolitions répétées de leurs villages par les
autorités, de relocations forcées et de spoliation de leurs terres.
Les autorités israéliennes dénoncent pour leur part des constructions
anarchiques, l'absence de titres de propriété et le souci d'améliorer
les conditions de vie des Bédouins.
Une porte-parole pour l'agence gouvernementale chargée des Bédouins du
Néguev reconnaît que les Tarabine étaient installés les premiers sur le
site de Dudaim.
Mais elle invoque plusieurs décisions de justice pour dire que leur
présence est illégale et qu'ils sont des "intrus sur les terres de
l'Etat".
L'agence est chargée de former de nouvelles communautés bédouines et de
développer celles existantes pour les Bédouins qui acceptent de bouger.
Les Tarabine ont reçu plusieurs propositions de déménagement avec
compensations financières, mais "malheureusement tous ne coopèrent pas
avec les autorités", a dit la porte-parole.
Pour Juma Qadi, un autre membre de la tribu, les querelles intestines et "les jalousies" expliquent ces résistances.
"Nous devons d'abord régler les choses entre nous", dit-il.
La tribu des Tarabine souffre d'un fort taux de cancer du poumon que Musa et ses proches attribuent à l'amiante de la décharge.
Le ministère de la protection de l'Environnement répond que "l'amiante
qui est déchargée sur le site est traitée de telle façon que ses fibres
ne peuvent pas se disperser aux alentours,il n'y a donc pas de
restrictions relatives aux distances entre ces dépôts d'amiante et les
habitations".
Aucune matière dangereuse ne se trouve dans la décharge, assure son
directeur, Ido Rubinstein. Cependant, concède-t-il, personne ne devrait
souffrir de la pestilence qui s'y dégage.
Nous pensons que des solutions raisonnables devraient être trouvées. Il
n'y a aucune raison que des gens habitent aussi près d'une décharge",
dit-il.
Sur une colline près de la barrière qui entoure la décharge, Salem
Tarabine, âgé d'une vingtaine d'années, construit une maison avec l'aide
de son cousin Ouda.
Ouda Tarabine est une célébrité locale après avoir passé 15 ans en
prison en Egypte, où il s'était rendu en 2000 pour voir ses soeurs.
Accusé d'espionnage au profit d'Israël, il a été libéré en décembre et
accueilli à son retour par le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
"Quand je suis parti, il n'y avait rien. Maintenant il y a une montagne", constate-t-il, le regard tourné vers la décharge.
(17-03-2016 - Assawra avec les
agences de presse)
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