La guerre au Yémen est entrée dans une nouvelle phase, depuis la
prise d’Aden à la mi-juillet par les forces loyalistes, et le
débarquement de renforts terrestres de la coalition arabe menée par
l’Arabie saoudite. Il s’agit de la première victoire de la coalition
après quatre mois d’une guerre qui ne paraît pas approcher de sa fin, et
qui a fait déjà plus de 4 000 morts, en grande partie des civils.
Le pays compte 1,2 million de déplacés internes, selon le
Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et près de 100
000 personnes ont fui depuis le début du conflit, notamment en Somalie
et à Djibouti. Selon l’institution, environ 80 % de la population a
besoin d’aide humanitaire.
La situation militaire
A la mi-juillet, les forces fidèles à l’ex-président Abd Rabo Mansour
Hadi ont chassé les milices houtistes d’Aden, le grand port du Sud. Ces
dernières, originaires du nord du pays, issues de la minorité zaïdite
(une branche du chiisme) et proches de l’Iran, s’étaient emparées,
depuis l’automne, de la capitale Sanaa, avant de chasser le président et
de prendre pied à Aden.
Les forces loyalistes étaient appuyées par des bombardements de la
coalition, des éléments des forces spéciales saoudiennes et émiraties
ainsi que par des exilés yéménites, entraînés et équipés en Arabie
saoudite. Elles ont également établi une alliance de circonstance avec
des séparatistes sudistes, des milices tribales et des militants
islamistes sunnites.
Depuis, les loyalistes reçoivent des renforts en hommes (1 500 soldats
de la coalition arabe, en majorité venus des Emirats, seraient présents
dans le pays) et en équipement lourd, notamment des chars français
Leclerc, expédiés par l’armée émiratie qui en possède plus de 300. Ces
forces remontent vers le nord et ont pris lundi 3 août la base militaire
d’Al-Anad, ancien centre de l’opération antiterroriste américaine au
Yémen.
De là, elles pourraient remonter vers la région de Taëz, un terrain
montagneux plus difficile que la plaine côtière. Des combats ont déjà
lieu dans deux provinces contiguës à la région d’Aden, celles de Lahj et
d’Abyane.
Aden reste la zone la plus en difficulté, malgré le repli des houthistes
et des forces loyales envers l’ex-président Ali Abdallah Saleh. « La
ville est complètement détruite. Il n’y a plus de services publics,
c’est un dépotoir à ciel ouvert », dit Thierry Goffeau, coordinateur de
Médecins sans frontières (MSF) à Aden, sorti récemment de la ville.
L’équipe de MSF y vit pour une large part cloîtrée dans un hôpital aux
fenêtres protégées par des plaques de métal – des balles perdues
sifflent encore quotidiennement. Cependant, « la population souffle un
peu » aujourd’hui, avec l’arrêt des bombardements. Certains tentent de
revenir chez eux, inspectent les dégâts, déblaient.
Plusieurs ONG espèrent reprendre pied dans Aden à la faveur de sa «
libération » par les forces loyalistes. Elles comptent sur
l’installation d’une forme de gouvernement (le premier ministre yéménite
en exil, Khaled Bahah, est venu marquer la reprise de la ville, le 1er
août) et sur la réouverture progressive de l’aéroport. Déjà, quelques
avions saoudiens se sont posés à Aden, qui ont acheminé de l’aide
humanitaire.
De graves pénuries d’essence, d’eau, d’électricité
La ville manque de tout, comme une large part du pays. Les violences,
les difficultés d’approvisionnement dues aux combats et au blocage des
ports mis en place par l’Arabie saoudite, et renforcées après la
résolution de l’ONU du 14 avril imposant un embargo sur les armes
destinées aux milices houthistes, ont créé en quatre mois l’une des
pires crises humanitaires actuelles.
La pénurie de fuel est peut-être la plus grave. L’essence alimente les
générateurs pour l’électricité, les pompes à eau et les transports. On
manque donc d’eau, d’électricité et les routes sont désertes. L’accès
aux secours, aux soins, rares, est encore compliqué par les points de
contrôle de toutes les forces en présence et les bombardements de la
coalition menée par l’Arabie saoudite, qui touchent la plupart des axes
du pays. « Des femmes enceintes meurent en route parce qu’elles ne
peuvent rejoindre les cliniques », dit Thierry Goffeau.
Un point rassurant : dans cette société tribale, la plupart des
habitants qui ont dû fuir leur quartier, leur village ont trouvé à se
loger chez des proches. Les camps de déplacés sont rares.
Depuis lundi, des sources proches du gouvernement en exil ont affirmé à
plusieurs médias que l’embargo qui frappe le port d’Hodeïda, ouverture
des houthistes sur la mer Rouge, serait renforcé. « Mercredi matin, on
ne trouvait déjà plus de fuel en ville sur le marché noir, dit Arnaud
Phipps, directeur des programmes d’Action contre la faim (ACF) au Yémen,
qui maintient une équipe dans cette ville. Les vendeurs attendent une
pénurie renforcée pour relâcher leur stock. On en trouvait à moins de
deux dollars le litre, ces derniers jours. On s’attend à ce que cela
monte à cinq dollars, et le prix de toutes les marchandises augmentera
avec. »
Le port, déjà, ne fonctionne qu’à 5 % à 15 % de ses capacités. Du fait
des autorisations difficiles à obtenir auprès de la coalition, du
danger, mais également du coût des assurances, de la manutention au
port, du dédouanement et du transport. ACF a ainsi dû récemment
débourser 50 000 dollars (45 808 euros) pour acheminer 100 tonnes de
matériel sanitaire et de nourriture à Hodeïda. « A ce prix, nous
commençons à nous demander s’il ne faut pas arrêter », dit M. Phipps.
MSF estime que l’embargo sur les armes mis en place par l’Arabie
saoudite constitue un blocus de fait : une arme de guerre contre les
houthistes. Elle affirme que l’Arabie saoudite, chargée par le comité
des sanctions de l’ONU d’assurer l’embargo, profite de l’absence de
mécanismes clairs d’inspection des cargaisons pour détruire des bateaux
et asphyxier les zones houthistes. MSF assure que ses bateaux ont essuyé
deux tirs, des coups de semonce venus des deux camps. « Ils ont voulu
nous faire peur », dit Mégo Terzian, président de l’organisation.
Julien Harneis représentant de l’Unicef au Yémen, nuance cette analyse
en rappelant que ses livraisons par bateaux passent tous les dix jours à
Aden depuis le début du conflit. Les livraisons par avions restent plus
difficiles, les aéroports ayant été visés par des bombardements de la
coalition.
(06-08-2015
- Louis Imbert, Le Monde)
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