La Cour suprême a ordonné la libération de 1 178 migrants détenus
depuis plus d’un an. Ils ont été lâchés dans la nature, sans
savoir où aller. Certaines villes leur interdisent l'entrée. Des
habitants demandent leur expulsion.
«Ça te plairait, toi, qu’un Noir vienne chier tous les matins
devant ta porte ?» Avec sa voix éraillée de grosse fumeuse, son
langage cru et son poitrail d’haltérophile soviétique gonflé aux
hormones, Orna Zakaï, 59 ans, a ce qu’il faut pour défendre sa
cause. A savoir, «l’expulsion immédiate» des dizaines de milliers
de migrants sub-sahariens (Erythréens, Soudanais) installés depuis
une dizaine d’années dans les quartiers Sud de Tel-Aviv. Dans la
zone la plus pauvre de la ville, où les habitants, telle Orna
Zakaï, les accusent «d’apporter des maladies et de violer les
filles dans la rue».
Officiellement, quelque 35 000 migrants et demandeurs d’asile
originaires d’Afrique sont entrés illégalement en Israël depuis le
début des années 2000. Mais l’ONU cite le chiffre de 53 000 et les
ONG de défense des droits humains estiment qu’ils sont au moins le
double.
La plupart ont pénétré en Israël en passant par le désert du
Sinaï, jusqu’à ce que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou
autorise, en 2012, la construction d’une «barrière de sécurité» de
240 kilomètres le long de la frontière avec l’Egypte. Depuis, le
flux de clandestins a dégringolé de plusieurs milliers par an à 71
en 2014. Mais ceux qui se trouvent déjà sur place refusent de s’en
aller et le gouvernement ne sait qu’en faire.
Après en avoir enfermé quelques centaines dans une prison
«classique», il a ordonné la construction, dans le désert du
Néguev, du camp de détention de Holot, susceptible de contenir 3
000 personnes. Or, en septembre 2014, la Cour suprême a ordonné la
fermeture immédiate de ce camp ainsi que l’abolition de la loi
anti-infiltration qui autorisait l’Etat à y enfermer les migrants
durant un an sans jugement. Dans la foulée, Holot s’est transformé
en centre semi-ouvert que les migrants pouvaient quitter pendant
la journée mais devaient réintégrer pour y passer la nuit.
Au terme d’un long bras de fer politico-juridique entre les ONG et
le gouvernement, la Cour suprême a ordonné le 11 août la
libération de 1 178 migrants détenus depuis plus d’un an à Holot.
600 d’entre eux ont été lâchés dans la nature le 26 août, et le
reste le lendemain. Sans savoir où aller, puisque rien n’a été
prévu pour les accueillir et que six familles israéliennes à peine
ont répondu à l’appel à l’aide d’associations caritatives…
Désemparés, les ex-pensionnaires de Holot campent dans les parcs
publics de Beer Sheva, d’Ashkelon, ou de Natanya. Ceux-là peuvent
cependant s’estimer chanceux car d’autres villes, telles Arad et
Hadera, interdisent l’accès des migrants à leur territoire
municipal. Et pour que le message soit clair, elles font contrôler
les passagers des autobus par des policiers.
Certes, les anciens de Holot peuvent errer le long des routes de
l’Etat hébreu mais il leur est interdit de s’installer à Tel-Aviv
et à Eilat, deux villes où ils ont le plus de chance de trouver un
emploi mais qui sont déjà surchargées de milliers clandestins.
Cette instruction n’est évidemment pas respectée et c’est parce
qu’ils s’attendent à voir déferler une «nouvelle vague noire» sur
leur quartier proche de la gare centrale des autobus de Tel-Aviv
qu’Orna Zakaï et ses voisins ont décidé de descendre dans la rue.
«Tu penses qu’on est racistes ? On s’en fiche, lâche-t-elle. Si tu
aimes tant les migrants, accueille-les chez toi.»
(27-08-2015 - Nissim Behar, Libération)
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