Le corps suspendu horizontalement à un mètre du sol, à la seule
force de ses bras agrippés à une barre verticale, Bakr Maqadma
-visage tendu et muscles saillants- s'entraîne au "street
workout", la "musculation du ghetto" qui fait une entrée remarquée
à Gaza.
Sous le regard de badauds venus profiter de la fraîcheur toute
relative de la fin de journée sur la plage de Gaza, ce Palestinien
de 23 ans aux yeux vert d'eau et ses amis enchaînent avec aisance
des figures dont ils égrènent les noms en anglais: "Human flag",
"Back lever " et "Front lever", "Full planche" et "Muscle up".
"Ces mouvements, tu ne les apprends pas en une journée", dit Bakr
Maqadma. "Rien que celui-là, il m'a fallu six mois pour le
réussir."
Il saute alors de la barre bricolée -trois tiges de métal
assemblées en forme de but de football et soutenues par des sacs
de sable estampillés Unrwa, l'agence de l'ONU en charge des
réfugiés palestiniens-, tombe à plat au sol en se réceptionnant
sur les mains et enchaîne aussitôt sur une série de pompes.
Tous les jours, ce Gazaoui travaille de 08h00 à 20h00 dans un
magasin de pièces détachées pour motocyclettes, "mais un jour sur
deux, on arrive à se réunir le soir pour deux heures de street
workout", raconte-t-il à l'AFP.
Depuis près d'un an, il s'entraîne avec d'autres jeunes à ce sport
inspiré de la gym suédoise qu'il a découvert grâce à YouTube et
aux vidéos des adeptes de ces exercices exigeant force, souplesse
et équilibre.
Eté comme hiver, c'est sur le front de mer que leur "team", "Bar
Palestine", se retrouve. "La plupart des gens qui passent sont
contents de nous voir, ils apprécient et des jeunes demandent même
comment nous rejoindre", raconte Iyad Ayad, étudiant de 21 ans.
Mais attention, la maîtrise du street workout n'est pas donnée à
tout le monde, préviennent-ils.
Slimane Taleb, 21 ans et qui se destine à devenir instituteur, a
persévéré. Il faut dire qu'il avait déjà de l'entraînement: passé
par le "parkour" -qui conjugue figures acrobatiques et sauts pour
se déplacer en milieu urbain- son corps était "prêt à soutenir
l'effort".
C'est en véritable gymnaste qu'il s'élance sur la barre
improvisée, réalise des rotations et des tractions avant de la
quitter sur un salto arrière. Tout fier, il explique: "On est la
première équipe de street workout en Palestine." Selon lui, ce
sport, né en Europe il y a quelques années, n'a fait jusqu'ici
qu'une poignée d'adeptes dans le monde arabe, quelques uns en
Egypte et d'autres au Maroc, pas plus.
"A Gaza, malgré le blocus, malgré les guerres et tout ce qu'on a
traversé, on arrive à vivre comme tout le monde et à innover",
enchaîne-t-il.
Il rejoint ensuite Iyad et Mahmoud, déjà en équilibre sur la
barre. A l'aide de bandeaux enroulés autour de leur torse, les
trois jeunes se lient pour former une pyramide humaine en l'air.
Une fois redescendus, ils montrent leurs mains parsemées
d'ampoules, dont certaines à vif, et leurs paumes devenues
"complètement insensibles". Car ils pratiquent leur sport avec les
moyens du bord: leur barre, branlante et rouillée, vacille
régulièrement alors qu'ils sont en l'air et faute de magnésie, ils
se frottent les mains avec un peu de sable pris sous leurs pieds.
Le street workout est, comme son nom l'indique, une activité
d'extérieur. Mais à Gaza, la rue reste un espace encore très
contrôlé.
"On a contacté la municipalité, les autorités en charge de la
Jeunesse et des Sports, mais personne ne nous répond", déplore
Slimane. "Et quand on a installé des équipements payés de notre
poche dans un parc, on les a retrouvés démontés quelques jours
plus tard", renchérit Mahmoud Nasmane, 21 ans lui aussi.
Un manque de soutien que les quatre amis, dont trois vivent dans
le camp de réfugiés de Chati, ont du mal à comprendre dans un
territoire où 70% de la population a moins de 30 ans et où le
chômage touche deux jeunes sur trois. "On a plein de talents ici,
des artistes, des sportifs, des chanteurs, mais très peu ont pu
aller jusqu'au bout et faire connaître leur don à l'extérieur",
lâche, les yeux baissés, Slimane.
Ils rêvent de participer un jour à des compétitions
internationales et de rencontrer enfin ceux dont ils ont
inlassablement visionné les figures sur internet.
Mais à Gaza, les rêves de la jeunesse se heurtent tous à un mur:
celui des frontières fermées par l'Egypte et Israël, qui maintient
la petite enclave palestinienne sous blocus.
(18-08-2015
- Assawra)
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