Mardi 25 août – au lendemain d’une série de drames à Palmyre, en Syrie,
avec la décapitation de Khaled Al-Asaad, ancien directeur du site
archéologique, et la destruction à l’explosif du temple de Baalshamin,
par les djihadistes de l’Etat islamique (EI) – François Hollande
réitérait la volonté de la France exprimée, six mois plus tôt au Louvre,
de « tout faire » pour « protéger les trésors » du patrimoine syrien et
irakien. « Comment agir ? [Que] pouvons-nous faire pour la sauvegarde
du patrimoine et de la culture ? », avait-il alors demandé à Jean-Luc
Martinez, président-directeur du musée parisien, en le chargeant d’une
mission d’expertise.
Aux ambassadeurs, réunis mardi pour leur rendez-vous annuel de fin
d’été, M. Hollande répétait l’engagement pris le 18 mars, après les
destructions des antiques cités de Nimroud et Hatra en Irak, l’ancienne
Mésopotamie. M. Hollande s’était aussi engagé à ce que « les jeunes
archéologues puissent poursuivre leur travail en étroite collaboration
avec les universités françaises. La France accueillera ainsi des
doctorants irakiens qui viendront compléter leur cursus et leurs travaux
de recherche ».
Cinq mois plus tard, ce sont les tracasseries administratives liées aux
permis de séjour des scientifiques accueillis en France, dans le cadre
de travaux de recherche ou de stages, qui freinent cette coopération.
Vincent Guichard, directeur général du Centre d’archéologie européenne
de Bibracte, dans le Morvan, s’en désole : « Aucune procédure n’est
organisée, on dépend de personnes de bonne volonté. » Sans anges
gardiens, les dossiers n’aboutissent pas. « L’afflux des collègues
scientifiques du Moyen-Orient est d’une telle ampleur que nos moyens ne
suffisent pas, et il n’y a pas assez de postes sur les budgets. On fait
du bricolage », reconnaît M. Guichard.
Le cas d’Houmam Saad, brillant archéologue syrien de 36 ans, auteur
d’une thèse intitulée « Représentation humaine dans les tombes de
Palmyre », est édifiant. En avril 2014, il est accueilli au Louvre au
sein du département des Antiquités orientales, pour un stage de six
mois, grâce à une bourse du ministère de la culture. L’archéologue a
ensuite poursuivi ses recherches, pendant neuf mois, au laboratoire
d’archéologie Aoroc de l’Ecole normale supérieure (ENS). Pour repousser
son retour en Syrie, il vient d’obtenir un nouveau contrat à
l’université de Paris-IV.
Mais le parcours du combattant de M. Saad n’est pas terminé. Malgré un
visa scientifique, qui l’autorise à travailler, et son contrat de
travail, il doit renouveler tous les deux mois les formalités de permis
de séjour. A chaque fois, les services de l’immigration le font revenir
pour des documents manquants.
Comme si les injonctions du président français étaient restées lettre
morte. Le caractère interministériel de la décision présidentielle
semble ignoré. Vincent Guichard le regrette : « Ces scientifiques sont à
notre disposition pour lutter contre le trafic illicite international
nourri par le pillage sauvage des sites archéologiques, ils connaissent
parfaitement les collections d’objets de l’Antiquité. » L’enjeu est
prioritaire pour M. Hollande.
Pour Béatrice André-Salvini, directrice honoraire du département des
antiquités orientales du Louvre, la collaboration entre les équipes
françaises, syriennes et irakiennes est un enrichissement pour les
scientifiques des trois pays. Cette spécialiste, qui a arpenté la région
pendant plus de trente ans, rappelle que les liens noués entre les
personnels scientifiques des deux pays avec la France ne datent pas
d’hier.
« En 2009-2010, un très gros programme de coopération avec la Syrie a
été signé au niveau des musées et de la recherche, rappelle-t-elle. Au
Louvre, les trois stagiaires accueillis en 2014 ont participé totalement
à la vie du musée. Il faut continuer à former les jeunes. Il est très
important qu’il ne manque pas toute une génération de spécialistes en
Syrie. Et cela permet de jeter les bases d’une collaboration encore plus
étroite. Le régime politique n’influe pas sur la culture. Le
patrimoine, c’est le patrimoine. »
L’archéologue francophone Maamoun Abdulkarim, directeur général des
antiquités et des musées syriens, qui a fait sa thèse en France sur «
Les Villes mortes de la Syrie du Nord », est aujourd’hui salué par la
communauté scientifique internationale pour son courage et son travail
de mise à l’abri des collections des musées syriens. « Il reste debout
et il continue à défendre corps et âme le patrimoine culturel de son
pays », clame Mounir Bouchenaki, directeur du Centre régional arabe pour
le Patrimoine mondial de l’Unesco.
Dans la lettre de mission d’expertise adressée à M. Martinez, M.
Hollande précise : « Les conflits qui ravagent aujourd’hui la Syrie ou
l’Irak ont des conséquences irrémédiables sur des patrimoines parfois
millénaires (…) des biens communs de l’humanité. La France est déjà
mobilisée. (…) Mais il faut aller plus loin (…), je souhaite (…) des
recommandations concrètes et opérationnelles sur les initiatives et
actions que la France devrait, selon vous, engager. »
Le rapport de M. Martinez et ses propositions sont attendus en octobre.
D’ores et déjà, le patron du Louvre a lancé un projet de numérisation du
patrimoine antique en danger de la Syrie et de l’Irak, financé par le
ministère de la culture, sous la direction de Francis Johannès,
directeur de recherche au CNRS. Deux doctorants, Louise Quillien et
Mustapha Djabellaoui, ont été chargés de numériser les œuvres majeures
des collections mésopotamiennes du Louvre, dont le Code d’Hammourabi,
l’un des tout premiers codes législatifs de l’Histoire. La même
opération pourrait être réalisée au Musée national irakien de Bagdad.
Ce travail, commencé par les Allemands, constituerait un premier pas
vers la numérisation de toutes les archives de fouilles et trésors de
l’ancienne Mésopotamie, dispersés dans le monde entier. Reste à protéger
les sites eux-mêmes de la destruction, un objectif qui ne mobilise pas
la coalition internationale qui lutte contre l’EI.
(28-08-2015
- Florence Evin - Le Monde)
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