De la région libanaise d’Aarsal, Mohammad contemple, résigné, les
montagnes de Qalamoun en Syrie voisine : ce commandant rebelle syrien de
26 ans sait qu’il ne reverra pas de sitôt sa région natale presque
entièrement reconquise par le régime.
Blessé à la jambe, le jeune homme aux épais cheveux noir est soigné à
Aarsal, une localité frontalière partisane de la rébellion syrienne qui
s’est transformée en refuge pour quelque 100.000 Syriens ayant fui les
violences, mais aussi en hôpital de fortune pour les blessés.
Depuis le début du conflit il y a trois ans, cette région à majorité
sunnite, comme les rebelles, a été happée par les violences :
bombardement de l’aviation syrienne pourchassant les rebelles, heurts
meurtriers entre soldats et extrémistes libanais et syriens
pro-rébellion et, samedi encore, un kamikaze a tué trois soldats
libanais à un barrage.
Mohammad se souvient des raids de l’armée du président Bashar al-Assad
sur sa ville, Yabroud, principal fief rebelle du Qalamoun tombé aux
mains du régime et de son allié libanais le Hezbollah à la mi-mars.
"Durant les derniers de jours de la bataille de Yabroud, le bombardement
était inouï. Douze hommes sont morts autour de moi, seul un a survécu",
raconte-t-il en boitant dans un champ à la périphérie d’Aarsal, d’où on
peut voir clairement les montagnes de Qalamoun.
C’est à travers une route serpentant ces montagnes qu’il a entrepris sa traversée de l’enfer, jusqu’à Aarsal.
"On m’a transporté dans un véhicule qui a circulé la nuit pendant deux
heures avec les phares éteints alors qu’un hélicoptère survolait la
zone", dit-il se rappelant une "douleur atroce" à la jambe.
Des ONG font souvent état de frappes aériennes des routes montagneuses
empruntées par les Syriens fuyant Qalamoun, tuant civils et rebelles.
"Quand j’ai entendu que Yabroud est tombée, j’ai pleuré pendant deux
jours", se souvient cet ancien vendeur qui a rejoint la rébellion, en
égrenant lentement son chapelet noir.
Pour lui et d’autres rescapés, Aarsal était le seul échappatoire à une mort certaine.
"C’est le seul lieu vers où les blessés de Qalamoun peuvent être
évacués", explique Qassem al-Zein, un médecin syrien à la tête d’une
équipe chargée de soigner les réfugiés.
Mais avec 100.000 réfugiés, soit presque le triple de la population de
la ville, les deux hôpitaux de fortune peinent à tenir le coup.
Dans l’une des cliniques improvisées, le docteur Zein tente de soigner
la jambe droite de Marwan, un rebelle de 23 ans qui a perdu l’autre
jambe dans un bombardement.
Dans la chambre, aucun équipement médical, juste quatre lits et une
"soubia", réchaud typique des zones rurales moyen-orientales.
"Si Dieu le veut, tu apprendras à marcher de nouveau grâce à une prothèse", lui dit le médecin pour tenter de le réconforter.
Mais dans son bureau, le docteur ne cache pas son désarroi face au manque de matériel.
"Nous avons en tout 20 lits", affirme cet homme qui fut avant la guerre
directeur de l’hôpital national de Qousseir, autre ex-bastion rebelle
reconquis par l’armée et le Hezbollah en 2013.
Or "durant la bataille de Yabroud, nous avons reçu 60 blessés en un jour", dit-il.
Sans scanner ou autre équipement spécialisé, "nous ne pouvons offrir que
très peu aux blessés au crâne par exemple", regrette le médecin.
"Durant les dernières semaines, huit personnes sont mortes car nous
n’avons pas pu les transférer à temps" vers des hôpitaux libanais.
Le transfert des blessés syriens d’Aarsal requiert une coordination avec
les autorités libanaises, la Croix Rouge libanaise et la Croix Rouge
internationale.
Le docteur Zein rappelle que "selon les Conventions de Genève, tout
blessé de guerre, combattant ou pas, a droit à un traitement".
Alors que l’armée renforce son emprise sur Qalamoun, la fuite vers Aarsal devient de plus en plus périlleuse.
Le médecin et Mohammad, le rebelle, craignent que de nombreuses
personnes soient prises au piège en essayant de s’enfuir en raison des
bombardements intensifs des routes.
"Ce sera très difficile, voire impossible pour eux de faire le voyage maintenant", dit l’insurgé.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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