Sous une grande tente blanche dans la poussière du désert jordanien, une
centaine d’enfants, réfugiés de Syrie aux vies marquées par la guerre
et l’exil, répètent "Le roi Lear", l’une des grandes tragédies de
Shakespeare.
Depuis plus de deux mois, l’acteur syrien Nawwar Bulbul s’est fait
metteur en scène dans le camp de Zaatari, dans le nord de la Jordanie,
pour tenter d’attirer l’attention du monde sur le sort de ces enfants.
"J’essaie de raviver les rires et la joie chez les enfants pour les
aider à s’exprimer", explique M. Bulbul, qui a joué dans plusieurs
séries à l’eau de rose à succès en Syrie avant de devoir quitter le pays
pour avoir participé à des manifestations contre le régime de Bashar
al-Assad.
"J’essaie de recréer leur enfance, qui a été détruite par la guerre",
ajoute-t-il.
La Jordanie accueille un demi-million de réfugiés de la Syrie voisine,
dont 100 000 (avec une moitié d’enfants) vivent dans l’immense camp de
Zaatari.
Les rires, la joie et l’innocence de l’enfance ne sont pourtant pas des
thèmes très présents dans l’histoire du roi Lear, un monarque
vieillissant trahi par deux de ses trois filles.
Majd Ammari, un adolescent aux yeux verts, arrivé l’année dernière avec
sa famille de Deraa, point de départ des protestations syriennes en
2011, de l’autre côté de la frontière, est ravi d’avoir été choisi pour
jouer le vieux roi malgré ses treize ans.
"Au début c’était difficile, mais maintenant je m’amuse bien et je ris
avec mes amis. J’ai l’impression d’être rentré à la maison", indique le
garçon, qui a fui sa ville l’an dernier.
Le texte, une traduction de l’anglais en arabe littéraire, a été adapté
pour ces enfants et n’a "rien à voir avec la politique et la révolte
syrienne", assure M. Bulbul, originaire de Homs.
"J’ai seulement gardé les racines de l’histoire, sur un roi mourant qui
veut diviser son royaume entre ses trois filles. Deux d’entre elles sont
des menteuses et la troisième est honnête. Je me suis concentré sur la
différence entre le mensonge et la vérité, c’est tout", dit-il.
L’acteur explique avoir choisi Lear car une pièce "sur les bombes qui
tombent sur la tête des gens en Syrie" n’intéresserait pas les enfants
traumatisés par la destruction et la mort dont ils ont été témoins.
Nawwar Bulbul dit ne pas recevoir beaucoup de soutien des autorités du
camp. C’est grâce à des amis qu’il a pu acheter la tente et réunir le
matériel nécessaire.
Sous la tente blanche, à même le sol poussiéreux, les garçons sont
alignés à droite et les filles, pour la plupart voilées, à gauche,
tandis que le roi Lear, un sceptre de bois à la main, écoute ses filles
exprimer leur loyauté.
Tous ont moins de 15 ans, et la plupart viennent de Deraa et des
banlieues de Damas.
"Les enfants devraient être occupés à jouer, apprendre les sciences, les
arts et la musique, mais ils se sont retrouvés piégés par la guerre et
les violences sectaires", regrette M. Bulbul.
"La première fois que je suis venu au camp, les enfants parlaient avec
les mots de la guerre. Chars, balles et bombes. Mais cela a changé, et
pour moi c’est une réussite", ajoute-t-il.
Pour la représentation prévue le 27 mars, à l’occasion de la journée
mondiale du théâtre, les enfants ont lancé des invitations au patron de
l’ONU Ban Ki-moon, à l’actrice Angelina Jolie et la star du foot
Zinédine Zidane.
"Pour moi, ces enfants sont les vrais révolutionnaires. Jouer une pièce
de Shakespeare au coeur de Zaatari est une forme de révolution contre la
politique et la société", insiste M. Bulbul.
Pour Weam Ammari, 12 ans, qui joue la fille répudiée Cordelia, il s’agit plus prosaïquement de tromper l’ennui.
"Mon rôle n’était pas facile au début parce que je devais parler l’arabe
littéraire. Mais maintenant, tout coule et je me suis fait beaucoup
d’amis. Je ne me sens plus toute seule ici".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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