Il ne lui aura pas fallu longtemps pour dégainer ses premières
flèches. À peine la campagne présidentielle algérienne a-t-elle commencé
qu’Ali Benflis s’en est pris directement à son ex-mentor, Abdelaziz
Bouteflika, dont il a vivement critiqué le bilan. "Celui qui ne peut pas
gérer ne doit pas faire de reproches aux autres", s’est-il exclamé
devant quelque 800 personnes rassemblées dans la ville de Blida. "Quinze
ans n’ont pas suffi aux réformes, et aujourd’hui ils réclament cinq
autres années", a-t-il ajouté.
Sans conteste, Ali Benflis se positionne comme le principal obstacle à
la réélection annoncée du président sortant. C’est que l’homme a une
revanche à prendre. Le match Bouteflika-Benflis a déjà eu lieu. C’était
il y a dix ans, jour pour jour. En 2004, l’ancien Premier ministre avait
le vent en poupe et s’opposait déjà à la réélection du président. Bien
mal lui en avait pris. Ali Benflis avait subi une humiliante défaite en
ne parvenant à recueillir que 6,42 % des voix, contre 85 % au président
sortant. Un camouflet qui a mis un coup d’arrêt à sa jeune carrière, le
plongeant dans une interminable traversée du désert. Dix ans plus tard,
le voilà qui réapparaît comme la voie du changement dans un pays
ankylosé par les 15 ans de pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika. Pourtant,
l’ancien chef du gouvernement reste avant tout un homme du sérail.
Fulgurante ascension
Avocat de formation, le natif de Batna, issu d’une grande famille de
l’Est algérien, gravit tour à tour tous les échelons de la magistrature
avant d’être nommé en 1988 ministre de la Justice. Exerçant sous trois
gouvernements différents, Ali Benflis marque les esprits par ses
profondes réformes, garantissant pour la première fois l’indépendance de
la justice. Fondateur en 1987 de la Ligue algérienne des droits de
l’homme, le plus haut magistrat du pays est à l’origine de plusieurs
lois renforçant les droits des accusés. Il introduit la possibilité
d’interjeter appel et interdit l’exil forcé.
Mais son mandat prend subitement fin en 1991. Opposé à l’interruption
par l’armée du processus électoral remporté par les islamistes, Ali
Benflis est démis de ses fonctions. Le magistrat disparaît de la scène
politique pendant six années. L’année 1997 signe son retour au premier
plan en tant que député du puissant Front de libération nationale (FLN),
le parti au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962.
Homme de confiance de Bouteflika
Le choix est gagnant. Homme de confiance d’Abdelaziz Bouteflika, le
voilà nommé directeur de campagne du futur président, candidat pour la
première fois à la fonction suprême. Bonne pioche. En un temps record,
Ali Benflis gravit les marches du pouvoir. Tout d’abord secrétaire
général de la présidence, l’avocat est nommé directeur du cabinet
présidentiel fin 1999. Dès l’année suivante, le président Bouteflika le
désigne Premier ministre. Un an plus tard, Ali Benflis est promu à la
tête du FLN. Il a alors 57 ans.
À la tête du gouvernement, Ali Benflis se démarque de ses prédécesseurs
par un style moderne. Apôtre du dialogue, cet "homme de tolérance" mène
de nombreuses réformes économiques et sociales. Son expertise et ses
résultats probants lui font engranger de nombreux soutiens au sein du
FLN, de l’armée, mais aussi des élites. Trop, sans doute, aux yeux de
son mentor, Abdelaziz Bouteflika, qui voit désormais en lui un potentiel
rival.
Crime de lèse-majesté
En 2003, le Premier ministre est subitement écarté du pouvoir. Ali
Benflis n’en démord pas. Convaincu de ses chances au sommet de l’État,
l’avocat ose se porter candidat à la présidentielle de 2004, où il
compte bien "tuer le père". Crime de lèse-majesté. La défaite est
cuisante. Ali Benflis a beau crier à la fraude, rien n’y fait. L’homme
disparaît à nouveau, cette fois pendant une décennie entière. Absent du
scrutin de 2009, pour lequel il refuse d’endosser le rôle de "caution
démocratique", Bouteflika ayant modifié la Constitution (qui limitait à
deux le nombre de mandats présidentiels) pour mieux être réélu, Ali
Benflis est cette fois de retour avec d’autres ambitions.
Face à un président malade (Abdelaziz Bouteflika a subi un AVC en 2013),
dont la candidature à un quatrième mandat a outré beaucoup d’Algériens,
l’ancien Premier ministre, aujourd’hui âgé de 69 ans, compte bien tirer
son épingle du jeu. Surtout que, au contraire des quatre autres
candidats retenus, lui a déjà occupé des fonctions de premier plan.
Conscient du ras-le-bol d’une grande partie de la société algérienne,
matérialisée par le mouvement "barakat" ("Ça suffit"), le "Réformateur"
promet une "nouvelle Constitution" négociée entre toutes les forces
politiques.
Chantre de la lutte contre la corruption, l’ex-lieutenant de Bouteflika
promet plus de libertés politiques et syndicales, une plus grande
indépendance de la justice, un renforcement des pouvoirs du Parlement
sur l’exécutif, ainsi que la formation d’un gouvernement d’union
nationale. Pour ce faire, Ali Benflis sillonne le pays en quête de
soutiens et en profite pour réactiver son vaste réseau, en Algérie comme
à l’étranger. Mais sera-ce suffisant face à tout un appareil d’État
mobilisé pour la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, peu importe si ce
dernier est absent de la campagne électorale ?
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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