En 2009, le département d’État américain, soucieux de connaître le
rôle de Saïd Bouteflika auprès de son président de frère, avait demandé à
ses ambassadeurs dans la région de chercher à décrypter ce mystère,
avait-on appris à la lecture des télégrammes diplomatiques publiés par
WikiLeaks. Cinq ans plus tard, l’énigme reste entière. Beaucoup
d’Algériens considèrent Saïd Bouteflika comme le civil le plus puissant
du pays après le président.
Ces derniers mois, la candidature
d’Abdelaziz Bouteflika et sa maladie les incitent à s’interroger. Saïd
Bouteflika sera-t-il le vrai patron de l’Algérie si le chef de l’État
sortant emporte la présidentielle, ce dont personne ne semble douter ?
Quel est vraiment le rôle du benjamin de la famille ?
"Mister mystère", tel est le titre de l’article consacré, l’été dernier,
par le magazine Jeune Afrique, à Saïd Bouteflika. Le mystère sied en
effet à cet homme de 57 ans, de petite taille, fluet de carrure et
d’apparence effacée.
Manifestement, il ne faut pas s’y fier.
Conseiller spécial à la présidence, Saïd Bouteflika veille sur le
président, le suit comme son ombre, commande à sa place aux ministres et
autres hauts fonctionnaires.
N’est-il que le porte-voix du chef de l’État ou se complaît-il à jouer
les présidents bis ? Lors des 80 jours d’hospitalisation d’Abdelaziz
Bouteflika à Paris pour un accident vasculaire cérébral (AVC), d’avril à
juillet 2013, nul ne pouvait accéder au président, ni même lui faire
remettre un message, sans passer par son frère. Saïd Bouteflika filtrait
tout et décidait des heureux élus admis à voir le chef de l’État. Le
Premier ministre et le chef d’état-major durent attendre 46 jours pour
lui rendre visite, après que les responsables militaires ont fait part
de leur irritation. Ils soupçonnaient le benjamin de la famille de
cacher la gravité de la maladie présidentielle.
Enfance sans histoire
Depuis sa plus tendre enfance, Saïd Bouteflika voue une admiration sans
bornes à son frère aîné. Vingt ans les séparent. Saïd avait un an, en
1958, lorsque le père, Ahmed Bouteflika, meurt de maladie à Oujda, ville
marocaine de résidence de la famille, proche de la frontière
algérienne. Il est le dernier d’une fratrie de neuf. On est en pleine
guerre d’Algérie et Abdelaziz, le numéro 2, s’est engagé dans l’ALN
(armée de libération nationale). Il prend l’orphelin sous son aile et
s’en occupe comme s’il était son propre fils.
Enfance sans histoire à Alger, scolarité chez les Pères blancs puis les
Jésuites, les deux bonnes écoles privées de la capitale algérienne. Son
frère aîné est alors ministre des Affaires étrangères de Boumediene,
mais Saïd n’en fait jamais état, disent ceux qui le connaissent à
l’époque. Il suit ensuite les cours de la faculté de sciences d’Alger,
puis s’inscrit en doctorat d’informatique à Paris.
En 1987, les deux frères rentrent en même temps à Alger. L’un, Saïd,
devient enseignant, s’investit dans le syndicalisme universitaire et
épouse une biologiste. L’autre, Abdelaziz, rentre en grâce après six ans
de traversée du désert vécus entre Paris, Genève et les Émirats. Il
avait été écarté du pouvoir par l’armée, qui avait entrepris la
"déboumedienisation" du pays après la mort de Houari Boumediène en 1978.
En 1987, le futur président réintègre le comité central du FLN.
En 1999, la vie des Bouteflika bascule
Les Bouteflika sont une famille nombreuse et unie. Le futur président et
son jeune frère obtiennent des appartements dans un immeuble d’El Biar,
un quartier résidentiel sur les hauteurs d’Alger, l’un au 6e étage,
l’autre au 5e.
Abdelaziz Bouteflika, qui ne s’est jamais marié, voue
une grande admiration à sa mère, Mansouria Ghezlaoui, qui cuisine pour
lui (elle décèdera en 2009), alors que son fils aîné, devenu président, a
gardé le même appartement jusqu’à ce que ses problèmes de santé
l’obligent à déménager dans une villa. Sa soeur, Zhor, prend alors la
place de sa mère et veille sur lui. En 2010, l’avant-dernier des frères,
Mustapha, dont Abdelaziz Bouteflika avait fait son médecin personnel,
et dont il était très proche, meurt à son tour. Les deux autres membres
de la fratrie, Abdelghani, avocat en France, et Nacer, haut
fonctionnaire discret, sont moins connus.
C’est donc en 1999 que la vie de la famille Bouteflika bascule.
Sollicité une deuxième fois pour prendre la tête du pays, Abdelaziz
Bouteflika est élu en avril 1999. Son frère, Saïd, est nommé par décret
conseiller spécial à la présidence. Il est chargé du secteur
informatique, garde un profil bas et ne se mêle pas de politique.
Au moins officiellement. Car il semble que, dès le premier mandat de
Bouteflika (1999-2003), Saïd, qui est le seul à pouvoir entrer sans être
sollicité dans le bureau présidentiel, obtient la mise à l’écart du
Premier ministre, Ali Benflis (actuellement principal opposant au chef
de l’État). Il sera aussi, dit-on, à l’origine de la brouille entre le
président et son directeur de cabinet, le général à la retraite Larbi
Belkheir, au carnet d’adresses bien fourni de tous ceux qui comptent de
Paris à Riyad. Belkheir est "exilé" comme ambassadeur à Rabat en 2005.
République héréditaire
C’est l’année où Saïd Bouteflika semble sortir totalement de l’ombre.
Après sa première hospitalisation au Val-de-Grâce, à Paris, pour un
ulcère hémorragique, Abdelaziz Bouteflika doit diminuer son rythme de
travail. Son frère veille sur lui, donne des ordres aux ministres.
Certains l’appellent "l’oeil du prince".
C’est alors que les rumeurs vont commencer à courir dans Alger sur la
volonté d’Abdelaziz Bouteflika d’imposer son frère comme successeur.
Saïd se tait, laisse faire "radio trottoir" selon la formule consacrée à
Alger. Néanmoins, il semble qu’il ait songé un temps, en 2009, à créer
un parti. Ballon d’essai ? La société civile et la presse commencent à
critiquer ouvertement cette tentative - vraie ou fausse - du président
de vouloir mettre en place une république héréditaire. Elle va tourner
court.
Mais le conseiller spécial continuera à interférer de plus en plus dans
les nominations des ministres, des diplomates. Ses pressions sur les
hommes d’affaires pour qu’ils financent les campagnes électorales du
président sont connues. Comme ses interventions pour attribuer les
marchés publics à ses obligés. Ou convaincre son frère, en 2008, de
faire voter une modification de la Constitution pour supprimer la
limitation du nombre des mandats présidentiels. Assurer la réélection
d’Abdelaziz Bouteflika revient, pour son frère, à perpétuer son pouvoir
et son maintien aux affaires.
Scandales financiers ?
En 2013, on dit Saïd Bouteflika en disgrâce. A-t-il été trop
manipulateur ? Trop ambitieux en espérant assurer la succession
d’Abdelaziz, malade ? Les rumeurs d’Alger l’impliquent aussi dans
certains scandales financiers. Et il y aurait eu une bruyante
explication entre les deux frères.
Quoi qu’il en soit, lorsque le chef de l’État rentre à Alger, affaibli,
après son AVC, en juillet dernier, son frère s’emploie à préparer un
quatrième mandat. Il met un de ses proches à la tête du FLN, le parti au
pouvoir qui devra choisir le candidat à la présidentielle. C’est lui
aussi qui serait derrière le remaniement ministériel de septembre. Il
écarte et choisit les nouveaux ministres. Pour la première fois depuis
longtemps, le responsable du DRS, les services de renseignements, a été
tenu à l’écart du choix des ministres. On y voit encore la main de Saïd
Bouteflika.
La rumeur le fait-elle plus puissant qu’il ne l’est ? Sert-il de bouc
émissaire à son frère ? Difficile à dire. Mais le président parti, son
frère aura peut-être des soucis à se faire.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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