lundi 16 décembre 2013

Syrie : la débâcle de l’Armée syrienne libre (Quentin Raverdy)

Les forces du régime de Bachar el-Assad et leurs alliés ont enchaîné ces derniers mois les succès militaires. Notamment dans la région de Qalamoun au nord de Damas et dans les environs de la ville septentrionale d’Alep où l’armée régulière est parvenue à reprendre des quartiers aux mains de l’opposition syrienne modérée. Une opposition qui, elle, va de déconvenue en défaite et perd toujours plus d’influence au profit des forces islamistes sunnites et des djihadistes.
Dernier coup dur en date, l’annonce par Washington et Londres de la suspension de leur "aide non létale" (matériel de communication, transports) à l’Armée syrienne libre (ASL), principale force modérée d’opposition au régime. Cette annonce survient après que des dépôts d’armes à Atmeh (nord du pays) et qu’un point de contrôle à la frontière turco-syrienne, détenus par l’ASL, ont été capturés par des groupes d’islamistes radicaux. À la suite de ces annonces, plusieurs chefs de l’ASL auraient abandonné leurs postes, par peur des assauts islamistes.

"L’ASL, c’était du vent"
Une période critique donc pour l’Armée syrienne libre, que semble confirmer l’allié français, par la voix de Laurent Fabius : "Sur la Syrie, je suis malheureusement assez pessimiste. L’opposition modérée que nous soutenons est en grave difficulté." Un constat en deçà de la vérité, pour Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-II et directeur du Gremmo (Groupe de recherches et d’étude sur la Méditerranée et le Moyen-Orient) : "L’ASL n’a jamais vraiment existé. Il y a eu un état-major composé d’une cinquantaine de généraux déserteurs, majoritairement réfugiés en Turquie. On parlait d’armée organisée, ce n’était rien de tout cela, c’était du vent."
Plus modéré, Thomas Pierret, maître de conférences à l’université d’Édimbourg, estime que cette prise de recul anglo-américain "reflète l’affaiblissement inquiétant de l’ASL ces derniers mois". En effet, outre les revers militaires et un manque criant d’organisation, l’ASL accuse aujourd’hui une profonde dissension dans ses rangs. En novembre dernier, la création du Front islamique (FI) - alliance de factions radicales d’influence salafiste (interprétation ancienne de l’islam) qui compte près de 50 000 combattants - a engendré la défection de nombreux rebelles de l’ASL.

L’islamisation des combattants
L’effacement progressif du rebelle, dit "modéré", au profit d’un combattant radical islamiste (vision politisée de l’islam) s’explique en partie pour Ziad Majed, politologue libanais et enseignant à l’Université américaine de Paris, par "l’important sentiment d’abandon ressenti par les révolutionnaires syriens". Principal responsable : Washington. Tout d’abord, les États-Unis ont toujours opposé leur veto à la livraison d’armes lourdes à l’ASL - craignant de les voir tomber dans les mains de forces radicales -, mais c’est en septembre 2013 que le principal forfait a été commis. À la suite de l’utilisation - avérée, selon l’ONU - d’armes chimiques par les forces pro-Assad contre des civils, Barack Obama avait envisagé, avec le soutien de la France, le recours à des attaques contre le régime syrien. C’était avant que Washington ne se ravise et accepte le démantèlement de l’arsenal chimique syrien et le maintien de Bachar el-Assad.
"Après ce revers, se sentant trahis, beaucoup de combattants modérés ont décidé de poursuivre le combat dans le camp islamiste, mieux approvisionné en armes par les pays - et réseaux salafistes - du Golfe (Arabie saoudite, Qatar, Koweït, NDLR)", estime Ziad Majed. Autre facteur de l’islamisation des belligérants : le temps. "Après 130 000 morts, les horreurs des combats, la misère, beaucoup trouvent un refuge dans la religion, dans la solidarité communautaire", rappelle le politologue.

Quelle alternative aux modérés ?
Si l’Armée syrienne libre comptait aujourd’hui encore près de 50 000 hommes, la fragilisation et l’éparpillement de ses forces ne permettent plus de voir l’ASL comme un opposant majeur au régime de Bachar el-Assad. Il en est de même sur le plan politique. Le Conseil national syrien (CNS), autorité politique dite modérée et principal interlocuteur des Occidentaux, peine à s’imposer. "Constitué en grande partie d’exilés de longue date, et loin du terrain, le CNS ne peut pas représenter les Syriens et n’apparaît donc pas comme une force politique viable", estime Fabrice Balanche. "Face à ce vide politique, seule une idéologie forte et organisée prospère : l’islamisme." Équipés et structurés, les groupes islamistes - à l’instar du FI - comptent désormais parmi les principales forces d’influence en Syrie.
De quoi inquiéter le régime de Bachar el-Assad qui agite le spectre de cet islam sunnite ultra-radical, menaçant les minorités confessionnelles, dont les alaouites (secte chiite) au pouvoir. Une omnipotence des islamistes qui inquiète également jusque dans les chancelleries occidentales où l’on craint l’asphyxie de l’opposition "modérée", principale partenaire de l’Europe et des États-Unis, sous le poids des forces radicales, appuyées par les nations du Golfe.

L’ombre djihadiste
Autre nébuleuse en plein essor sur le sol syrien : les djihadistes. Relevant d’une branche radicale du salafisme et combattant aussi bien le régime que les rebelles modérés, ils seraient environ 20 000, principalement répartis dans deux organisations, liées à Al-Qaida : le Front Al Nosra et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Si la première est essentiellement composée de Syriens, l’EIIL, lui, compterait dans ses rangs entre 7 000 et 10 000 étrangers (Irakiens, Turcs, Européens).
Contrairement à l’ASL et à une partie des islamistes, les djihadistes n’ont pas de projet politique pour la Syrie ou l’après-Assad. "C’est une force non concernée par les causes nationales et territoriales. Ils ne cherchent qu’à imposer leur vision de l’islam, extrêmement conservatrice et réactionnaire", explique Ziad Majed. "L’EIIL cherche notamment à instaurer un califat - une terre régie par la loi de l’islam - en Irak et dans la région du Levant (Liban, de la Syrie, de la Palestine)."
À un peu plus d’un mois de la Conférence internationale Genève 2 (à Montreux) sur la question du conflit syrien, les incertitudes demeurent. Si Damas a annoncé l’envoi d’une délégation sur place, du côté de l’opposition, les cartes semblent brouillées. Islamistes et modérés affirment ne pas vouloir prendre part aux discussions et seul le CNS, minoritaire, sera présent. Difficile donc pour l’instant d’envisager de quelconques avancées. Pourtant, la situation humanitaire semble l’exiger. 2,2 millions de personnes ont déjà fui la Syrie et s’entassent dans des camps de fortune dans les pays voisins où l’arrivée de l’hiver fait craindre le pire.

(16-12-2013 - Par Quentin Raverdy)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire