Les forces du régime de Bachar el-Assad et leurs alliés ont enchaîné
ces derniers mois les succès militaires. Notamment dans la région de
Qalamoun au nord de Damas et dans les environs de la ville
septentrionale d’Alep où l’armée régulière est parvenue à reprendre des
quartiers aux mains de l’opposition syrienne modérée. Une opposition
qui, elle, va de déconvenue en défaite et perd toujours plus d’influence
au profit des forces islamistes sunnites et des djihadistes.
Dernier coup dur en date, l’annonce par Washington et Londres de la
suspension de leur "aide non létale" (matériel de communication,
transports) à l’Armée syrienne libre (ASL), principale force modérée
d’opposition au régime. Cette annonce survient après que des dépôts
d’armes à Atmeh (nord du pays) et qu’un point de contrôle à la frontière
turco-syrienne, détenus par l’ASL, ont été capturés par des groupes
d’islamistes radicaux. À la suite de ces annonces, plusieurs chefs de
l’ASL auraient abandonné leurs postes, par peur des assauts islamistes.
"L’ASL, c’était du vent"
Une période critique donc pour l’Armée syrienne libre, que semble
confirmer l’allié français, par la voix de Laurent Fabius : "Sur la
Syrie, je suis malheureusement assez pessimiste. L’opposition modérée
que nous soutenons est en grave difficulté." Un constat en deçà de la
vérité, pour Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université
Lyon-II et directeur du Gremmo (Groupe de recherches et d’étude sur la
Méditerranée et le Moyen-Orient) : "L’ASL n’a jamais vraiment existé. Il
y a eu un état-major composé d’une cinquantaine de généraux déserteurs,
majoritairement réfugiés en Turquie. On parlait d’armée organisée, ce
n’était rien de tout cela, c’était du vent."
Plus modéré, Thomas Pierret, maître de conférences à l’université
d’Édimbourg, estime que cette prise de recul anglo-américain "reflète
l’affaiblissement inquiétant de l’ASL ces derniers mois". En effet,
outre les revers militaires et un manque criant d’organisation, l’ASL
accuse aujourd’hui une profonde dissension dans ses rangs. En novembre
dernier, la création du Front islamique (FI) - alliance de factions
radicales d’influence salafiste (interprétation ancienne de l’islam) qui
compte près de 50 000 combattants - a engendré la défection de nombreux
rebelles de l’ASL.
L’islamisation des combattants
L’effacement progressif du rebelle, dit "modéré", au profit d’un
combattant radical islamiste (vision politisée de l’islam) s’explique en
partie pour Ziad Majed, politologue libanais et enseignant à
l’Université américaine de Paris, par "l’important sentiment d’abandon
ressenti par les révolutionnaires syriens". Principal responsable :
Washington. Tout d’abord, les États-Unis ont toujours opposé leur veto à
la livraison d’armes lourdes à l’ASL - craignant de les voir tomber
dans les mains de forces radicales -, mais c’est en septembre 2013 que
le principal forfait a été commis. À la suite de l’utilisation - avérée,
selon l’ONU - d’armes chimiques par les forces pro-Assad contre des
civils, Barack Obama avait envisagé, avec le soutien de la France, le
recours à des attaques contre le régime syrien. C’était avant que
Washington ne se ravise et accepte le démantèlement de l’arsenal
chimique syrien et le maintien de Bachar el-Assad.
"Après ce revers, se sentant trahis, beaucoup de combattants modérés ont
décidé de poursuivre le combat dans le camp islamiste, mieux
approvisionné en armes par les pays - et réseaux salafistes - du Golfe
(Arabie saoudite, Qatar, Koweït, NDLR)", estime Ziad Majed. Autre
facteur de l’islamisation des belligérants : le temps. "Après 130 000
morts, les horreurs des combats, la misère, beaucoup trouvent un refuge
dans la religion, dans la solidarité communautaire", rappelle le
politologue.
Quelle alternative aux modérés ?
Si l’Armée syrienne libre comptait aujourd’hui encore près de 50 000
hommes, la fragilisation et l’éparpillement de ses forces ne permettent
plus de voir l’ASL comme un opposant majeur au régime de Bachar
el-Assad. Il en est de même sur le plan politique. Le Conseil national
syrien (CNS), autorité politique dite modérée et principal interlocuteur
des Occidentaux, peine à s’imposer. "Constitué en grande partie
d’exilés de longue date, et loin du terrain, le CNS ne peut pas
représenter les Syriens et n’apparaît donc pas comme une force politique
viable", estime Fabrice Balanche. "Face à ce vide politique, seule une
idéologie forte et organisée prospère : l’islamisme." Équipés et
structurés, les groupes islamistes - à l’instar du FI - comptent
désormais parmi les principales forces d’influence en Syrie.
De quoi inquiéter le régime de Bachar el-Assad qui agite le spectre de
cet islam sunnite ultra-radical, menaçant les minorités
confessionnelles, dont les alaouites (secte chiite) au pouvoir. Une
omnipotence des islamistes qui inquiète également jusque dans les
chancelleries occidentales où l’on craint l’asphyxie de l’opposition
"modérée", principale partenaire de l’Europe et des États-Unis, sous le
poids des forces radicales, appuyées par les nations du Golfe.
L’ombre djihadiste
Autre nébuleuse en plein essor sur le sol syrien : les djihadistes.
Relevant d’une branche radicale du salafisme et combattant aussi bien le
régime que les rebelles modérés, ils seraient environ 20 000,
principalement répartis dans deux organisations, liées à Al-Qaida : le
Front Al Nosra et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Si la
première est essentiellement composée de Syriens, l’EIIL, lui,
compterait dans ses rangs entre 7 000 et 10 000 étrangers (Irakiens,
Turcs, Européens).
Contrairement à l’ASL et à une partie des islamistes, les djihadistes
n’ont pas de projet politique pour la Syrie ou l’après-Assad. "C’est une
force non concernée par les causes nationales et territoriales. Ils ne
cherchent qu’à imposer leur vision de l’islam, extrêmement conservatrice
et réactionnaire", explique Ziad Majed. "L’EIIL cherche notamment à
instaurer un califat - une terre régie par la loi de l’islam - en Irak
et dans la région du Levant (Liban, de la Syrie, de la Palestine)."
À un peu plus d’un mois de la Conférence internationale Genève 2 (à
Montreux) sur la question du conflit syrien, les incertitudes demeurent.
Si Damas a annoncé l’envoi d’une délégation sur place, du côté de
l’opposition, les cartes semblent brouillées. Islamistes et modérés
affirment ne pas vouloir prendre part aux discussions et seul le CNS,
minoritaire, sera présent. Difficile donc pour l’instant d’envisager de
quelconques avancées. Pourtant, la situation humanitaire semble
l’exiger. 2,2 millions de personnes ont déjà fui la Syrie et s’entassent
dans des camps de fortune dans les pays voisins où l’arrivée de l’hiver
fait craindre le pire.
(16-12-2013 - Par Quentin Raverdy)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire