mercredi 18 décembre 2013

Soudan du Sud : les vieux démons resurgissent

Les intenses combats qui opposent depuis dimanche soir des factions rivales de l'armée du Soudan du Sud dans la capitale Juba mettent en lumière les anciennes et profondes rivalités au sein du régime issu de la rébellion contre Khartoum et la fragilité du jeune État indépendant. Ces tensions au sein du jeune régime plongent leurs racines des années en arrière pendant les décennies de rébellion sudiste, désormais au pouvoir à Juba depuis l'accord de paix ayant mis fin à la guerre civile soudanaise en 2005 et débouché sur l'indépendance du Soudan du Sud en juillet 2011.
Ces très anciennes dissensions ont violemment explosé dimanche soir à Juba en combats se prolongeant une partie de la nuit puis quelques heures dans la matinée de lundi. Les combats ont repris mardi. Selon une source sécuritaire sud-soudanaise haut placée, proche de la présidence, les camps rivaux au sein du SPLM - Mouvement populaire de libération du Soudan, l'ex-branche politique de la rébellion, désormais parti au pouvoir - s'affrontent via des unités de l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA, ex-rébellion devenue armée nationale) qui leur sont loyales.

Trahison

"Qui a tiré le premier et pourquoi, ce n'est clair pour personne, mais cela a ouvert une très dangereuse boîte de Pandore", a déclaré cette source. "Les dissensions au sein du SPLM ne sont pas un secret, mais le retour en arrière ne sera pas facile pour ceux impliqués dans les combats, les ponts étant en train d'être brûlés", a-t-il ajouté. Dès lundi, le président Salva Kiir accusait de tentative de coup d'État son ancien vice-président Riek Machar, son rival au sein du SPLM, qualifié de "prophète de malheur (qui) persiste à poursuivre ses actions du passé".
Riek Machar, limogé de la vice-présidence du pays en juillet par Salva Kiir, est une figure controversée au Soudan du Sud pour avoir durant la guerre civile tenté de renverser la direction historique de la SPLA, avant de faire défection et de s'allier un temps à Khartoum, avant de réintégrer les rangs rebelles au début des années 2000. Son sort était inconnu mardi, ni lui ni ses proches n'étant joignables depuis dimanche soir. Lundi, le président Kiir avait assuré avoir le contrôle de la situation, mais les combats ont repris mardi, laissant désormais craindre une contagion au reste du pays.
"Une réaction irraisonnée des militaires pro-Kiir contre les cadres pro-Riek (Machar) va aggraver la situation", a estimé Andrews Atta-Asamoah, chercheur à l'Institut des études de sécurité (ISS). Plusieurs observateurs ont mis en doute la réalité du coup d'État. "La question-clé à prendre en compte est : À qui cela profite de faire apparaître Riek sous un jour négatif et de rappeler son passé au Soudan du Sud et à la communauté internationale ?", écrit sur son blog Lesley Anne Warner, chercheuse à l'université américaine de la Défense nationale. "La réponse est : au président Kiir, qui a besoin de renforcer son image en tant que chef du Soudan du Sud après son remaniement et en vue des élections de 2015", auxquelles Riek Machar avait ouvertement annoncé son intention de se présenter contre lui.

Comptes à régler

Quelle que soit l'origine des affrontements, il est à craindre qu'ils se prolongent désormais en large purge : "De vieux comptes sont en train de se régler", a expliqué un journaliste sud-soudanais ayant requis l'anonymat, "maintenant que la lutte politique a tourné au bain de sang, le gouvernement va vouloir y mettre une fois pour toutes". Cependant, les divisions - et les ressentiments - ne sont pas seulement politiques, mais aussi ethniques. Salva Kiir est un Dinka, ethnie majoritaire, qui monopolise les postes de commandement au sein de la SPLA, tandis que Riek Machar est issu d'une branche la tribu Nuer, qui constitue une part importante de la troupe.
Or, en 1991, alors qu'il venait de faire sécession, les troupes de Riek Machar ont massacré environ 2 000 Dinkas dans la localité de Bor. Même si divers responsables martèlent que le conflit n'est que politique, l'ONU a mis en garde mardi contre de possibles affrontements ethniques, tandis que des sources humanitaires faisaient état de violences contre la communauté Nuer à Juba. Quelque 10 000 personnes se sont réfugiées dans les bases des Nations unies à Juba. Car, estiment certains Soudanais du Sud, le pire reste à venir. "Il ne s'agit pas juste d'arrêter les responsables" des violences, a estimé Majak Deng, homme d'affaires sud-soudanais installé au Kenya, "il s'agit d'en terminer avec des problèmes vieux de nombreuses années".

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