La condamnation à la prison en Egypte de trois figures de la révolte
qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir fait redouter un retour à un Etat
policier et érode les espoirs de démocratie suscités par la fin d’un
régime autoritaire.
Reconnus coupables de "manifestation illégale", Ahmed Maher, Ahmed Douma
et Mohamed Adel sont devenus dimanche les premiers manifestants non
islamistes condamnés depuis que l’armée a destitué le président
islamiste Mohamed Morsi le 3 juillet et que le nouveau pouvoir dirigé de
facto par les militaires réprime implacablement ses partisans.
Un autre militant, Alaa Abdel Fattah, inquiété sous Moubarak puis sous
la junte militaire qui lui a succédé avant l’élection de Morsi, attend
son jugement dans une affaire similaire.
Pour les experts, ces affaires menacent les progrès réalisés ou promis depuis la chute de Moubarak.
Pour 14 ONG égyptiennes, dont l’influente Initiative égyptienne pour les
droits de l’Homme, elles signifient le retour d’un "Etat policier plus
brutal que jamais".
Sarah Leah Whitson, directrice de Human Rights Watch pour le
Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, près de trois ans après la chute de
Moubarak, "les forces de sécurité se sentent plus fortes que jamais et
sont toujours déterminées à écraser le droit des Egyptiens à manifester
contre les actions de leur gouvernement".
Les nouvelles autorités se sont récemment attiré les foudres de nombreux
militants, dont certains leur avaient pourtant apporté un temps leur
soutien lorsqu’il s’agissait d’obtenir le départ de M. Morsi.
Le 3 juillet, l’armée avait affirmé exaucer le désir de millions de
manifestants descendus fin juin pour réclamer le départ du premier
président élu démocratiquement d’Egypte. Mais moins de cinq mois plus
tard, les autorités intérimaires promulguaient une loi interdisant toute
manifestation n’ayant pas obtenu l’aval du ministère de l’Intérieur,
une mesure jugée "liberticide" à l’étranger.
De plus, ce jugement sévère intervient quelques jours à peine après
l’acquittement dans une affaire de corruption des deux fils Moubarak et
d’Ahmad Chafiq, dernier Premier ministre de Moubarak et candidat
malheureux au second tour de la présidentielle contre Morsi.
Aujourd’hui, le tour de vis sécuritaire ne vise plus seulement les
Frères musulmans -la confrérie de M. Morsi qui avait remporté toutes les
élections depuis la révolte de 2011 décimée par une répression qui a
fait plus de 1.000 morts et l’emprisonnement de ses chefs- mais aussi
les militants pro-démocratie.
"L’emprisonnement de militants est un vrai retour en arrière dans le
processus engagé à la chute de Moubarak", estime James Dorsey,
spécialiste du Moyen-Orient, évoquant une "atmosphère de peur voire
d’intimidation".
La transition en question
Alaa Abdel Fattah a été arrêté à son domicile un soir et son épouse a
dit avoir été "frappée" lors de cette interpellation. Mohamed Adel a été
arrêté dans les locaux d’une ONG mise à sac par des dizaines de
policiers en civil. Pendant ce temps, Chafiq et les deux fils de
Moubarak étaient acquittés. Pour les militants, les méthodes comme les
accusations n’ont pas changé par rapport à l’avant-"révolution".
"Il est clair que le pouvoir laisse désormais la responsabilité
exclusive du dossier de l’activisme politique et public à l’appareil
sécuritaire, comme cela était le cas" du temps de Moubarak, accuse ainsi
le communiqué des 14 ONG égyptiennes.
"Dans les faits, (le régime) conserve un pouvoir autocratique. Si l’on
ajoute à cela la loi sur les manifestations, il n’y a plus qu’un espace
extrêmement réduit pour la contestation", note M. Dorsey, chercheur à
l’Ecole d’études internationales S. Rajaratnam de Singapour.
Les experts s’interrogent sur les réelles intentions des autorités quant
à la "feuille de route" annoncée par l’armée et qui promet une
transition démocratique, dont la première étape sera un référendum sur
la nouvelle Constitution les 14 et 15 janvier, avant des élections
législatives et présidentielle mi-2014.
Pour Hassan Nafaa, professeur de Sciences politiques à l’Université du
Caire, le jugement de dimanche "est une opération de sabotage contre le
front qui soutenait la feuille de route" et qui incluait notamment le
mouvement du 6-Avril, fondé par M. Maher. Le groupe, fer de lance de la
révolte de 2011, a soutenu la transition mais lui a retiré son soutien
dimanche soir.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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