dimanche 22 décembre 2013

Égypte : En Égypte, le complot n’est plus une théorie (Armin Arefi)

C’est le symbole d’une révolution qui déraille. Alors que l’ex-président déchu Hosni Moubarak demeure en liberté conditionnelle depuis août dernier, son successeur à la tête de l’État, l’islamiste Mohamed Morsi, risque, lui, la peine de mort. L’ancien président islamiste élu, renversé par l’armée en juillet et depuis détenu dans un lieu tenu secret, est désormais accusé d’espionnage par la justice égyptienne. À en croire le procureur, il s’agit même de "la plus grande conspiration de l’histoire de l’Égypte".
Une accusation de plus pour le Frère musulman, dont l’organisation a sombré en un temps record du sommet aux abîmes de l’État. Depuis le "coup de force populaire" du 30 juin dernier, l’organisation islamiste a vu plus d’un millier de ses partisans abattus, pendant que ses responsables étaient arrêtés un à un, sur des accusations d’incitation au meurtre. Les faits remontent au 5 décembre 2012. À l’époque, la décision de Mohamed Morsi d’élargir ses pouvoirs, à la faveur d’un décret présidentiel le plaçant au-dessus de la justice, provoque la colère des opposants laïques et de gauche.

Évasion
Des dizaines de milliers d’entre eux encerclent le palais présidentiel, exigeant l’annulation de la décision. En réponse, les Frères musulmans appellent leurs partisans à déloger par la force les contestataires. De graves heurts éclatent. Sept personnes périssent. "Mohamed Morsi n’avait pas confiance en la police, dont il redoutait qu’elle le lâche, ce qu’elle a fait six mois plus tard", explique Stéphane Lacroix*, professeur à l’École des affaires internationales de Sciences Po (PSIA). "Mais il est clair que les Frères musulmans ont appelé leurs membres en sachant qu’il y aurait des affrontements."
Or, cette fois-ci, les faits reprochés à Mohamed Morsi sont encore plus graves : ils touchent à la sécurité de l’État. L’ex-président est tout bonnement accusé d’avoir bénéficié de la complicité d’organisations terroristes - le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais - dans son évasion, début 2011, de la prison de Wadi Natroun (nord-ouest du Caire), où il était détenu, en compagnie d’une trentaine d’autres membres des Frères musulmans. À l’époque, l’opération avait été présentée comme une intervention des habitants de la région, qui avaient profité du chaos de la révolution pour libérer leurs proches, laissant s’échapper les islamistes.

CIA et Israël
Si le déroulé exact des événements reste inconnu, la justice est convaincue que l’évasion est le fruit d’un complot. L’acte d’accusation explique très sérieusement que les Frères musulmans ont fomenté avec le Hamas, le Hezbollah, la CIA et même Israël la révolution du 25 janvier 2011, qui a abouti à la chute du président Hosni Moubarak. "C’est une tentative très claire de discréditer la révolution du 25 janvier", estime Stéphane Lacroix. "On assiste à une sorte de révisionnisme de la part du nouveau régime, qui tente de propulser le mouvement du 30 juin au rang de véritable révolution".
Le 30 juin dernier, des millions d’Égyptiens, furieux de la dérive autoritaire du pouvoir et de la situation économique catastrophique, défilent dans la rue pour réclamer le départ de Mohamed Morsi. Problème : s’ils sont une majorité dans le pays à réclamer la tête du président islamiste, ils n’obtiennent sa destitution que grâce à l’intervention de l’armée du général Abdel Fattah al-Sissi. Nouvel homme fort du pays, celui-ci prend depuis un malin plaisir à présenter les Frères musulmans comme une "internationale terroriste" gouvernant pour ses seuls membres et trahissant de fait les intérêts de la nation.

Tunnels inondés
Pourtant, le chercheur Jean-François Legrain l’assure, "la gouvernance de Mohamed Morsi a été conforme aux intérêts de l’Égypte". Certes, "en tant que Frère musulman, il a bénéficié du soutien du Qatar et cultivé des liens avec l’organisation islamiste dans d’autres pays, mais davantage parce que la confrérie était au pouvoir à Gaza (avec le Hamas, NDLR) ou en Tunisie (avec le parti Ennahda)", souligne le spécialiste du Hamas au CNRS-Iremam (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman). "Mais la politique qu’il a menée vis-à-vis de Gaza a été à peine différente de celle de l’ère Moubarak."
En effet, si les Palestiniens ont pu davantage traverser le point de passage de Rafah vers l’Égypte, le blocus de Gaza n’a, lui, pas été touché. Des tunnels de contrebande entre l’Égypte et l’enclave palestinienne ont même été inondés sous Mohamed Morsi. En vertu du cessez-le-feu qu’il a négocié en novembre 2012 entre le Hamas et Israël, afin de mettre un terme à l’opération Pilier de défense, l’ex-président égyptien a même interdit la contrebande d’armes en direction du territoire palestinien.

Haute trahison
Mais la justice égyptienne n’en démord pas et accuse même l’ex-président de la plus haute des trahisons : avoir divulgué des informations classées secret-défense à un pays étranger, la République islamique d’Iran. Après 33 années de rupture diplomatique, les deux pays ont en effet affiché une volonté de rapprochement après l’élection de Mohamed Morsi. Mais leurs relations se sont ensuite à nouveau dégradées, notamment en raison de l’implication des chiites iraniens aux côtés du régime syrien alaouite (secte issue du chiisme).
En tant qu’islamiste sunnite, donc proche de la rébellion anti-Bachar el-Assad, Mohamed Morsi ne pouvait rester indifférent au conflit en cours en Syrie. En juin dernier, deux semaines avant d’être renversé du pouvoir, le président islamiste est allé jusqu’à rompre ses relations diplomatiques avec Damas et soutenir l’appel au djihad en Syrie. "La guerre en Syrie a rapidement renforcé la méfiance des Frères musulmans à l’encontre de l’Iran", explique Stéphane Lacroix. "De fait, les contacts entre Frères et Iraniens n’ont pas porté leurs fruits, rendant improbable l’hypothèse d’un échange de renseignements entre les deux parties."
Le spécialiste de l’Égypte voit donc dans cette accusation un "acte politique". "La justice joue sur le fait que l’Iran a toujours eu une mauvaise image en Égypte, et se sert de ce repoussoir pour discréditer les Frères musulmans." Le calendrier choisi ne trompe personne. En janvier prochain est organisé dans le pays un référendum sur une nouvelle constitution, renforçant le poids de l’armée dans la vie politique. Et le gouvernement de transition, mis sur pied par les militaires à la chute de Morsi, a besoin d’un "oui" clair et massif pour prouver sa légitimité démocratique. Et effacer définitivement les accusations de Coup d’État.

(20-12-2013 - Armin Arefi)

(*) Stéphane Lacroix, professeur à l’École des affaires internationales de Sciences Po (PSIA) et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri).

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