Le mois de novembre annonce en Cisjordanie la fin de la récolte de
l’olive. Les arbres qui recouvrent le territoire se dégarnissent, et,
dans les 250 petites coopératives palestiniennes, on s’active pour
extraire l’huile, véritable or vert du pays. Une ressource qui fait
vivre 100 000 familles arabes et qui, à elle seule, couvre 25 % du PIB
agricole palestinien (100 millions de dollars). Une véritable aubaine
annuelle donc pour des milliers de personnes qui trouvent là "un revenu
d’appoint et un supplément alimentaire", analyse Arnaud Garcette,
doctorant à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et
musulman (CNRS-Aix-Marseille).
Mais novembre devait également apporter son lot de bonnes nouvelles pour
l’Autorité palestinienne. À Ramallah, on attendait avec impatience
l’intégration de la Palestine dans l’Opep de l’huile d’olive : le
Conseil oléicole international (COI). Une organisation qui rassemble les
18 principaux producteurs d’huile d’olive de la planète (98 % de la
production mondiale). C’était compter sans la délégation européenne au
COI, qui a préféré bloquer cette adhésion afin de ne pas "saboter les
discussions israélo-palestiniennes" sur un accord de paix, selon le
quotidien Haaretz. Un accord reposant sur des gages de bonne volonté de
part et d’autre : la libération par Israël de prisonniers arabes et la
promesse par l’Autorité palestinienne de "ne pas candidater pour des
organisations onusiennes". Manqué, le COI a été fondé en 1959 sous
l’égide de l’ONU, qui souhaitait favoriser la coopération technique
entre pays producteurs.
"Sans formation adéquate et sans réglementation sanitaire", la Palestine
ne peut espérer exporter son huile vers les marchés émergents (Europe,
Amérique du Nord ou Asie de l’Est), estime Arnaud Garcette. "Cette
annonce, si elle n’aggrave pas la situation des Palestiniens, va
cependant être un obstacle de plus pour le développement économique de
la région." D’autant que la question de l’olive soulève déjà de
nombreuses inquiétudes au sein même du territoire palestinien. Pour les
producteurs, cultiver le précieux fruit relève parfois du sacerdoce.
Depuis 2002, court sur près de 700 kilomètres un mur de séparation entre
la Cisjordanie et l’Israël, censé prémunir l’État hébreu contre les
infiltrations de terroristes arabes. Pour le construire, il aura fallu à
l’armée israélienne déraciner des milliers d’oliviers présents sur son
tracé. Depuis, des centaines d’agriculteurs palestiniens sont coupés de
leurs terres. Impossible de s’y rendre sans un laissez-passer, sésame
rarement accordé par les forces de sécurité israéliennes. Pis, les
vastes étendues d’oliviers sont les victimes quotidiennes d’attaques de
colons israéliens vivant en Cisjordanie à proximité des Palestiniens et
de leurs cultures. Des colons qui n’hésitent pas à déraciner et à brûler
des arbres centenaires. En reportage en Cisjordanie, Gideon Levy,
écrivain et journaliste israélien, se souvient : "Il y avait des
dizaines, peut-être des centaines d’oliviers tués par la chaleur des
flammes qui léchaient leur tronc. Des arbres calcinés, comme autant de
preuves carbonisées étendues dans le champ."
Un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha)
en Palestine estime que, en 2013, 9 400 arbres ont été déracinés ou
endommagés dans "des incidents avec les colons", 1 000 de plus qu’en
2012. "Depuis 1967, 800 000 oliviers ont été arrachés, dont 550 000 rien
qu’entre 2000 et 2008 [période de fortes tensions entre Palestiniens et
Israéliens, NDLR]", rappelle Arnaud Garcette.
Face à cela, les agriculteurs sont bien désarmés. La voie judiciaire ?
Autant ne pas y penser. L’ONG israélienne Yesh Din rappelle qu’entre
2005 et 2013 plus de 97 % des plaintes déposées pour dénoncer des
dommages sur des oliviers ont été rejetées par les autorités judiciaires
israéliennes. Reste alors pour certains la voie des armes et de la
vengeance.
Dépassant le simple enjeu économique, l’olivier revêt aujourd’hui dans
cette région du monde une symbolique toute particulière qu’Israéliens et
Palestiniens se disputent jalousement. Après avoir détrôné le figuier
de Barbarie et l’oranger dans le coeur des populations arabes,
l’olivier, robuste et millénaire, a ainsi été dressé au rang d’emblème
national chez les Palestiniens. Un symbole qui n’était pas du goût des
premiers Israéliens, qui lui ont préféré le pin, arbre résistant, à la
croissance rapide, à l’image de l’État hébreu naissant, rappelle Arnaud
Garcette. Il fallait alors faire disparaître l’olivier, trace d’une
civilisation sur une terre qui devait être "sans peuple". En un siècle,
des milliers d’oliviers sont déracinés, et à la place, "250 millions de
pins sont plantés par le Fonds national juif (gestionnaire de milliers
d’hectares de terre en Israël)".
Avant qu’Israël ne réalise que sa tentative est vaine et que, dans
l’imaginaire, l’arbre emblématique ne se laissera pas déraciner. Ils
décident alors, selon le doctorant, de se "l’approprier" : en 2002, une
"route de l’olivier" est créée : elle guide les touristes "sur les
traces des anciens pressoirs et hauts lieux de l’oléiculture, présentés
comme israéliens", tandis qu’un festival de l’olivier est organisé au
nord d’Israël. Surtout, le Fonds national juif change son fusil d’épaule
et finance la plantation d’oliveraies en Israël : l’arbre doit
redevenir le signe du lien indissoluble qui unit le jeune État et
l’histoire millénaire des Juifs sur cette terre.
(02-12-2013 - Par Quentin Raverdy)
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