Assaad Assaad est aujourd’hui un homme brisé. Il avait vendu sa
maison, sa voiture, sa terre et sa vache pour fuir la misère au Liban
avec sa femme et ses trois enfants. Mais sa famille a péri lors du
naufrage d’une embarcation de migrants.
Cet homme de 36 ans, qui paraît aujourd’hui en avoir 50, est l’un des 18
survivants du naufrage au large de l’Indonésie survenu la semaine
dernière, un drame qui illustre les problèmes du Liban, aggravés par
l’afflux de réfugiés de la Syrie voisine.
"On était prêts à tout pour partir, on avait l’espoir d’une vie
meilleure, car ici il n y a rien à faire", dit lentement Assaad,
amaigri, le regard vide.
"J’ai tout perdu : mon épouse, mes enfants, ma maison", ajoute-t-il dans
la modeste maison de ses parents où se pressent les villageois venus
présenter leurs condoléances dans un silence écrasant.
Son village, Kabiit, dans la région de Akkar (nord), une des plus
pauvres du Liban, a tout d’un bourg bucolique, mais on y tente de
survivre, comme Assaad, avec une dizaine de dollars par jour.
"Je ne voulais pas être très riche, je voulais juste vivre décemment",
dit-il pour expliquer sa décision de se rendre en Australie, où de
nombreux villageois sont déjà partis.
Des réseaux mafieux profitant du malheur des réfugiés syriens organisent
depuis plusieurs mois ces voyages illégaux en passant par l’Indonésie.
Tentés, des Libanais pauvres ont voulu saisir cette chance.
"Beaucoup de ceux qui sont partis vivent une bonne vie maintenant, nous
n’avons pas eu la même chance", dit Assaad, qui avait payé 70.000
dollars aux trafiquants.
La suite, il ne veut pas trop s’en souvenir : "C’était comme une
explosion, l’embarcation s’est désintégrée, c’était une scène
indescriptible", dit-il avant d’ajouter "j’aurais préféré mourir avec ma
famille".
Aujourd’hui, il voudrait que l’Etat "ouvre les yeux" sur la situation
des villages comme le sien. Les habitants y travaillent la terre ou,
comme Assaad, coupent les arbres pour en faire du charbon.
Très peu d’échoppes bordent la route, crevassée, où des enfants en
haillons remplissent des bidons de l’eau d’un robinet posé au milieu de
la rue.
Mais malgré le drame, certains sont encore tentés par l’immigration. Ils
veulent fuir les conditions économiques et les menaces qui pèsent sur
leurs emplois depuis l’afflux de réfugiés syriens, expliquent-ils.
"Je fais le trajet chaque semaine de Kabiit à Beyrouth (trois heures de
route), où je travaille dans une usine de métallurgie pour près de 800
dollars par mois. Je n’arrive pas à finir le mois’", indique Fahed
Kassem, 36 ans.
"Aujourd’hui, mon patron me dit qu’il peut avoir 4 ouvriers syriens à ma
place", lâche-t-il. Alors, "si l’occasion se présente, j’immigrerai
aussi".
Le Liban, pays de quatre millions d’habitants, accueille plus de 770.000
réfugiés. Sans gouvernement depuis six mois, le pays doit faire face
aux répercussions du conflit syrien.
Les tensions se sont traduites en violences à plusieurs reprises depuis
le début du conflit en Syrie en mars 2011 : affrontements armés entre
groupes rivaux, attentats à la voiture piégée et roquettes s’abattant
sur les régions frontalières.
C’est cette insécurité qui a dégoûté Afrah Hassan, une jeune femme de 22 ans qui a survécu au naufrage, du pays.
"J’étudiais le droit à l’université à Tripoli", la capitale du nord du
Liban à 30 km de Kabiit, raconte cette jeune brune frêle au voile noir.
"Il y avait des tirs tout le temps, parfois on se cachait sous les
chaises en classe", dit-elle. "Après il y a eu les attentats à Tripoli
(en août), c’en était trop, je voulais tout quitter".
Mais son ambition s’est brisée en plein océan indien : elle se souvient
des cafards dans l’embarcation, des cinq jours où elle n’a vu que le
ciel et l’eau, puis soudain, des vagues de 10 mètres qui ont tout
emporté, des petits enfants qui flottaient sur l’eau, sans vie, et cette
île vers laquelle par miracle elle a été projetée.
"Il n’y a pas d’horizon au Liban, c’est vrai. Mais maintenant je me dis, je n’aurais jamais dû partir".
(06-10-2013 - Assawra avec les agences de presse)
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