vendredi 18 octobre 2013

Israël/Palestine : La guerre israélo-palestinienne, des prémices à nos jours (Pierre Stambul)

Exposé organisé par « Emancipation syndicale et pédagogique » fait à l’occasion des journées de Blois (11-12 octobre 2013)

Partie 2

Après avoir examiné l’historicité du discours biblique, l’histoire croisée des Juifs et des Palestiniens, l’antisémitisme, le sionisme et la colonisation de la Palestine, nous abordons ici la période moderne : le génocide nazi, la création d’Israël, la guerre des 6 jours, les accords d’Oslo et leur échec.

Du génocide nazi à la création de l’État d’Israël
Annoncé de longue date par Hitler, le génocide des Juifs commence en 1941 avec l’attaque contre l’URSS. Il y aura une résistance juive au nazisme (la MOI qui est communiste, l’insurrection du ghetto de Varsovie). Les sionistes n’y joueront qu’un faible rôle. Leur préoccupation essentielle reste la construction de leur État. Le groupe Stern continuera ses attentats contre les Britanniques jusqu’au début 1943. Les soldats de la Haganah s’engageront dans les troupes britanniques quand l’armée allemande menacera l’Égypte. Chez les Palestiniens, un dirigeant, le mufti Amin al-Husseini (nommé mufti par les Britanniques) fera le choix des Nazis et organisera des milices musulmanes dans les Balkans. D’après Gilbert Achkar dans « les Arabes et la Shoah », ce choix est resté très minoritaire.
En plein génocide, les sionistes se réunissent en congrès à l’hôtel Bitmore (Etats-Unis, 1942) et revendiquent un État juif sur la totalité de la Palestine. Le bilan de la deuxième guerre mondiale est terrible pour les Juifs : 6 millions de morts. Le yiddishland a disparu. Le pogrom de Kielce (Pologne 1946) et le renouveau de l’antisémitisme en Europe de l’Est achèvent de convaincre les survivants qu’il n’y a plus de place pour eux. Ceux qui passent dans des camps de transit sont envoyés en Palestine et les frontières restent fermées pour une autre destination.
En 1946, les élections dans le Yichouv donnent une forte minorité aux partisans d’un État binational. L’Irgoun et le groupe Stern mènent une lutte très meurtrière contre les Britanniques (attentat contre l’hôtel King David).
Malgré cela, l’ONU vote le partage de la Palestine le 29 novembre 1947. L’URSS a voté pour et du coup le parti communiste palestinien change de position et s’y rallie. Le plan donne 54% du territoire au futur État juif alors que les Juifs forment 40% de la population. Jérusalem est « internationalisé ». Ce plan a un autre effet : il y a près de 400000 Palestiniens dans le futur État juif et seulement 10000 Juifs dans le futur État palestinien. Les dirigeants palestiniens refusent la partition. Dans l’État juif, l’expulsion des Palestiniens et les massacres commencent (375000 expulsés avant mai 1948 d’après Dominique Vidal, le massacre emblématique étant commis par l’Irgoun de Menahem Begin le 9 avril 1948 à Deir Yassin).
Le 14 mai 1948, l’ONU reconnaît l’État d’Israël qui est proclamé. Les États arabes entrent aussitôt en guerre. Sur cette guerre, les versions divergent. Les Israéliens parlent d’un combat de David contre Goliath alors que les Palestiniens parlent de la Naqba (la catastrophe).
L’ouverture des archives en 1998 et le travail fait par les nouveaux historiens israéliens (Ilan Pappé, Avi Shlaïm, Tom Segev, Benny Morris …) a permis d’écrire cette histoire. Il y avait un déséquilibre évident des forces en présence en faveur des Israéliens tant en armement (les Israéliens recevront des armes de partout, y compris du bloc de l’Est) qu’en nombre de soldats.
Il y a eu des crimes de guerre commis dans les villages palestiniens conquis et d’autres crimes impunis comme l’assassinat de Folke Bernadotte (l’envoyé de l’ONU) par le groupe Stern. L’expulsion des Palestiniens n’est pas le résultat d’un départ spontané, mais d’un plan prémédité (le plan Dalet, lire Ilan Pappé et Sandrine Mansour-Mérien). Les armées arabes se sont battues pour leur propre intérêt, mais jamais de façon coordonnée et pas pour qu’il y ait une Palestine. L’armée la plus puissante (la légion jordanienne) ne s’est battue qu’autour de Jérusalem car il existait un accord de partage de la Palestine.
Quand l’armistice est signée, les Israéliens ont conquis 78% de la Palestine historique. La Jordanie annexe Jérusalem Est et la Cisjordanie alors que l’Égypte annexe Gaza. 800000 Palestiniens chassés de chez eux deviennent des réfugiés.
Sans le génocide nazi, l’État d’Israël n’aurait pas existé.

D’une guerre à l’autre
L’ONU supervise les accords d’armistice de 1949 entre Israël et ses voisins. Ceux-ci prévoient explicitement le retour des réfugiés dans leurs foyers. Dans les mois qui suivent, le retour des réfugiés est interdit et plusieurs centaines de villages palestiniens sont détruits.
En une dizaine d’années, environ un million de Juifs des pays musulmans émigrent en Israël. Ce mouvement de population est présenté comme un échange. Dans plusieurs pays (Maroc, Yémen), il n’y avait jamais eu d’actes antijuifs de masse. Dans le cas de l’Irak, l’émigration est consécutive à des attentats dont l’origine semble venir d’Israël. Pour l’Égypte, l’émigration est la conséquence de la guerre de 1956. Les nouveaux immigrants subiront en Israël des discriminations sociales.
La Palestine est rayée de la carte et les dirigeants israéliens (qui n’utilisent pas le mot « palestinien ») espèrent qu’ils s’intègreront dans les pays voisins. L’ONU crée l’UNRWA, l’office chargé des réfugiés et de leurs descendants dont le nombre va croître sans interruption.
En Israël, 20% de la population est palestinienne, ils ont échappé à l’expulsion. L’État d’Israël se définit comme État juif et ils n’ont pas les mêmes droits que les Juifs. La terre qui était à 92% palestinienne avant 1948 a été presque entièrement confisquée par le KKL et donnée aux nouveaux immigrants. Les Palestiniens d’Israël seront soumis pendant des années au couvre-feu et c’est une « violation » de ce couvre-feu qui sera le prétexte du massacre de Kafr Kassem (47 villageois tués en 1956).
Le mémorial de Yad Vashem est créé en 1953 sur le territoire de l’ancien village de Deir Yassin. La mémoire de la Shoah devient centrale en Israël. Cette évolution sera accentuée quelques années plus tard par le procès et l’exécution du criminel de guerre Eichmann.
En 1956, Israël, alliée à la France et à la Grande-Bretagne occupe le Sinaï égyptien, mais sera obligée d’évacuer après un vote du conseil de sécurité. C’est à partir de cette période qu’Israël se lance dans la recherche nucléaire qui aboutira, des années plus tard, à la possession de l’arme atomique. L’OLP est créée en 1964 et la question palestinienne est à nouveau posée.
Les versions divergent sur les causes de la guerre des 6 jours en juin 1967.
Les Israéliens disent s’être défendus contre une tentative de blocus du président égyptien Nasser. Pour le camp arabe, l’attaque israélienne était délibérée et préparée de longue date. Grâce à une écrasante supériorité aérienne, la victoire israélienne est rapide et totale.
D’immenses nouveaux territoires sont conquis. La fin de la coopération militaire avec la France n’a pas d’incidence, les États-Unis vont instantanément remplacer l’aide française. Jérusalem Est est agrandie et annexée par un vote de la Knesset. Le Golan syrien sera plus tard également annexé.
Immédiatement, le gouvernement travailliste de Levy Eshkol avec le ministre Yigal Allon élabore un plan de colonisation de la Cisjordanie. Pour trouver des colons, il fait appel à un petit groupe de religieux sionistes qui vont créer les premières colonies.
1967 est un tournant. D’un côté, c’est le début d’une colonisation qui aboutit aujourd’hui à près de 600000 Israéliens vivant au-delà de la ligne verte (la frontière internationalement reconnue). De l’autre les religieux qui, jusque-là, avaient été indifférents au sionisme, vont rallier en masse le « courant national-religieux » (environ 1/4 de l’opinion israélienne) et jouer un rôle majeur dans une colonisation qui se veut irréversible.
En novembre 1967, l’ONU vote la résolution 242 demandant le retrait israélien des territoires occupés. La résolution n’est pas suivie d’effet et Israël n’est pas sanctionnée.

L’internationalisation de la guerre et les accords d’Oslo
Pendant la guerre des 6 jours, environ 250000 Palestiniens sont chassés des nouveaux territoires conquis. Mais la majorité juive qui était de l’ordre de 80% dans l’Israël d’avant 1967 baisse fortement dans le nouveau territoire contrôlé par Israël.
L’OLP et les groupes palestiniens d’extrême gauche essaient de s’installer dans les pays voisins et généralisent dans le monde entier les attentats antiisraéliens. En 1970 (c’est « septembre noir »), le roi Hussein de Jordanie (avec une aide discrète israélienne) écrase les Palestiniens. Il y aura des milliers de morts et l’OLP se réfugie au Liban.
En 1973, l’Égypte et la Syrie attaquent par surprise. Les deux armées seront repoussées, mais l’invulnérabilité d’Israël a été atteinte.
En 1975, la guerre civile du Liban éclate symboliquement avec le mitraillage d’un bus palestinien par les milices phalangistes. La gauche et l’OLP, alliées, semblent en mesure de l’emporter quand l’armée syrienne intervient au Liban contre eux.
En 1977, pour la première fois, la droite de Menahem Begin remporte les élections israéliennes. Ce n’est pas un accident mais un changement sociologique, la droite et ses alliés ayant durablement capté les votes des Juifs orientaux et des religieux.
En 1978, le président égyptien Sadate vient à Jérusalem. La paix entre Israël et l’Égypte est signée. Les colons du Sinaï sont évacués, la région est rendue à l’Égypte et les deux pays échangent des ambassadeurs. Cette paix ne sera suivie d’aucune autre. Sadate ne proteste pas quand l’armée israélienne envahit le Sud Liban et y installe une milice alliée (l’ALS, Armée du Liban Sud).
En 1982, l’armée israélienne envahit à nouveau le Sud Liban. Elle y restera 20 ans. Les Palestiniens du Liban subissent des massacres : Sabra et Chatila (les Phalangistes avec l’aide israélienne), Tell el Zaatar (les Phalangistes avec le soutien syrien). Le massacre de Sabra et Chatila provoque d’importantes manifestations en Israël et l’apparition du mouvement « La Paix maintenant ». Les Israéliens échouent dans leur tentative d’installer un régime « ami » à Beyrouth avec l’assassinat de leur allié Bachir Gémayel. En 1983, Arafat et l’OLP, encerclés dans le nord du Liban par les troupes syriennes d’un côté et les vedettes israéliennes de l’autre, quittent le Liban pour la Tunisie.
Pendant la guerre Iran-Irak, Israël aidera discrètement l’Iran.
En 1987 éclate l’Intifada ou révolte des pierres, mouvement spontané qui embrase tous les territoires occupés. Le ministre de la défense Yitzhak Rabin dirige une répression très dure : « s’il le faut, brisez-leur les bras et les jambes ». Conséquence de cette révolte : des centaines de milliers de travailleurs palestiniens sont licenciés et l’économie israélienne, déjà gravement touchée par le coût de l’immigration des Juifs soviétiques, subit une forte récession.
En 1988 à Alger, Yasser Arafat arrache à l’OLP la reconnaissance de l’État d’Israël dans ses frontières d’avant 1967 et la revendication d’un État palestinien limité aux territoires occupés (22% de la Palestine historique). Lors de la première guerre du Golfe, Israël est bombardée par des Scuds de l’armée irakienne. Il n’y a pas de riposte pour ne pas gêner l’intervention alliée.
En 1991, alors que l’URSS s’écroule, le président Bush (père) impose au gouvernement israélien des négociations dans le cadre de la conférence de Madrid. Le gouvernement Shamir traînant les pieds, les États-Unis refuseront de cautionner un prêt bancaire pour financer l’immigration des Juifs soviétiques. Le gouvernement Shamir tombera et Yitzhak Rabin deviendra Premier ministre.
Les accords d’Oslo sont signés le 13 septembre 1993. Les Etats-Unis ont servi d’intermédiaire. L’OLP et Israël se reconnaissent mutuellement.
L’essentiel des accords signés porte sur la « sécurité ». L’Autorité Palestinienne est créée, mais rien n’est signé sur un futur État palestinien ou sur ses frontières. Il y a l’espoir que les deux enclaves autonomes de Jéricho et Gaza seront l’embryon d’un futur État. Les dirigeants de l’OLP quittent Tunis pour rentrer en Palestine.
Le 25 février 1994, un colon massacre 29 Palestiniens dans le Caveau des Patriarches à Hébron. Rabin envoie l’armée dans le centre de cette ville pour protéger les colons. Entre la signature des accords et l’assassinat de Rabin (novembre 1995), 60000 nouveaux colons s’installent dans les territoires occupés. Par contre, les libérations de prisonniers palestiniens se font au compte-goutte.
Peu avant sa mort Rabin signe avec Arafat les accords intérimaires de Taba. La Palestine est divisée en trois zones dont l’une (la zone C) reste entièrement sous contrôle israélien.
Le Hamas, parti religieux de masse récemment apparu, refuse les accords. Il commettra dans cette période des attentats suicide alternant avec des trêves.

Une guerre sans fin ?
L’assassinat de Rabin a lieu à un moment où une moitié de la société israélienne refuse clairement le « processus de paix ». Pendant les quelques mois où il est au pouvoir, Shimon Pérès relance la tension en faisant assassiner un dirigeant du Hamas à Gaza et en faisant bombarder la ville de Cana au Liban. Il s’aliène l’électorat des Palestiniens d’Israël et est battu par Nétanyahou aux élections de 1996.
Celui-ci est un opposant acharné des accords d’Oslo qui vont petit à petit être vidés de tout contenu.
Les travaillistes reviennent brièvement au pouvoir avec Ehud Barak. En 2000, le Sud Liban est évacué après 18 ans d’occupation et le Hezbollah apparaît aux yeux des Libanais comme le grand triomphateur.
Alors que Barak est donné perdant dans tous les sondages, il négocie avec Arafat à Camp David et Taba. Il affirmera qu’il a fait des offres généreuses à Arafat, que celui-ci les a refusées et qu’Israël n’a pas « de partenaire pour la paix ». L’opinion israélienne est convaincue. En septembre 2000, Ariel Sharon, candidat de la droite, défile sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem. La Palestine s’embrase, il y a de nombreux morts et les grandes villes palestiniennes sont occupées par l’armée israélienne. Arafat est assiégé dans la Mouqata’a de Ramallah. Il mourra en 2004 et les Palestiniens sont persuadés qu’il a été empoisonné.
Régulièrement les États-Unis empêchent toute condamnation d’Israël à l’ONU et garantissent l’impunité de ses dirigeants.
Sharon est élu avec une grosse majorité. En 2004, il décide à la surprise générale l’évacuation des colons de la Bande de Gaza. Son parti, le Likoud, éclate. Sharon crée le parti Kadima que Shimon Pérès rejoint. Ce parti gagnera les élections alors que Sharon, victime d’une attaque cérébrale a quitté la vie politique.
En Palestine, si l’ancien n°2 de l’OLP Mahmoud Abbas a gagné sans grande opposition les élections présidentielles de janvier 2005, c’est le Hamas qui gagne les élections municipales et législatives qui suivent. Il y aura de grandes tensions entre le président et son Premier ministre Ismael Haniyeh jusqu’à ce que, à la suite de combats sanglants (probablement initiés par le Fatah), le Hamas prenne le pouvoir à Gaza (2007). La Palestine n’a pas d’État, mais elle se retrouve avec deux "gouvernements" rivaux. En réponse à cette prise de pouvoir, le gouvernement israélien, avec l’accord et l’appui du président égyptien Moubarak, entreprend le blocus de Gaza.
Pendant l’été 2006, l’armée israélienne attaque le Sud Liban et finit par se retirer après de grandes destructions. Pendant l’hiver 2008-2009, dans le cadre de « l’opération Plomb durci », l’armée israélienne envahit la bande de Gaza. Il y aura 1400 mort-e-s et là encore, rien ne change vraiment : le Hamas conserve son pouvoir et le blocus se poursuit.
En épilogue, la situation actuelle est très paradoxale. L’équilibre des forces est totalement en faveur d’Israël, d’autant que les affrontements en Égypte et en Syrie affaiblissent la Palestine. Les accords d’Oslo sont définitivement morts, plus personne ne croit à la possibilité de deux États vivant en paix sur la base des frontières d’avant 1967. Il n’y a aucun « camp de la paix » capable d’imposer un compromis en Israël. L’opinion publique pense qu’il ne faut pas faire de concessions quel qu’en soit le prix. La Palestine reste divisée malgré une aspiration à l’unité et de nombreuses promesses de réunification.
Mais les dirigeants israéliens ont détruit leur projet historique, celui d’un État juif ethniquement pur. Il y a aujourd’hui 50% de Palestiniens entre Méditerranée et Jourdain et on se dirige vers une lutte pour l’égalité des droits sur un espace unique. Le tribunal Russell pour la Palestine a symboliquement condamné Israël pour apartheid et sociocide et une campagne internationale de boycott est lancée. Une prolongation du statu quo suppose que le rapport de force international n’évoluera jamais. Qui peut en être sûr ?

Pierre Stambul
Coprésident de l’Union Juive Française pour la Paix
Et auteur de « Israël/Palestine, du refus d’être complice à l’engagement  »

Auteurs cités :
G. Achkar : Les Arabes et la Shoah (2007)
I. Pappé : La guerre de 1948 en Palestine (2000)
T. Segev : Le septième million (1993)
B. Morris : The birth of the Palestinian Refugee problem (en anglais, 1989)
S. Mansour-Mérien : l’histoire occultée des Palestiniens

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