À la fin de toute guerre vient l’heure de compter ses morts. C’était
là toute la mission que s’était donnée la revue scientifique américaine
Plos Medecine. En partenariat avec des universitaires américains et le
soutien d’experts du ministère irakien de la Santé, elle dresse un bilan
dantesque de dix années de violences, établi en 2011.
Entre l’invasion des forces de la coalition occidentales, venues faire
tomber le régime de Saddam Hussein en 2003, et leur retrait définitif en
2011, près de 500 000 personnes ont perdu la vie sur le sol irakien. Un
chiffre qui vient bousculer les précédentes estimations, notamment
celle d’Iraq Body Count (projet de recensement des victimes) qui
estimait les pertes à 115 000, et qui pourrait être encore bien en deçà
de la vérité selon certains.
Cette nouvelle étude se démarque par sa funeste précision, 60 % des
victimes ont péri durant les combats, 40 % sont mortes des conséquences
indirectes du conflit. Un bilan auquel il faut ajouter environ 60 000
personnes décédées hors d’Irak après qu’elles eurent fui
(majoritairement en Syrie et en Jordanie). "Cette étude fera réfléchir à
deux fois (les États) sur les conséquences d’une invasion et fera
prendre un peu plus conscience de son coût en vies", estime Amy
Hagopian, experte en santé publique à l’université de Washington et
membre du projet de recensement.
Ce travail de recherche, pourtant très compliqué dans un pays toujours
en proie au chaos, a poussé la précision au point de détailler qui a tué
et par quel moyen. Ainsi, on apprend au détour d’un paragraphe que 60 %
des victimes du conflit ont été tuées par balles, environ 13 % dans des
attaques à la voiture piégée et enfin 9 % dans des explosions diverses.
Ce climat de violence permanent règne en Irak durant toute une
décennie. Le "risque de mort" pendant ces dix années est trois fois plus
important pour un homme que durant les années de dictature. Le taux de
mortalité (selon des chiffres de Médecins du monde) a, lui, bondi,
passant de 5,5 pour 1 000 avant l’invasion à 13,2 quarante mois après
l’arrivée des Américains. Qui pointer du doigt pour ce dramatique
bilan ? Les soldats de la coalition ? Les milices irakiennes ? Chacun
des deux camps serait responsable d’environ 30 % des morts.
Quant aux 40 % restants, ils correspondent aux victimes indirectes du
conflit, mortes en raison de la situation sanitaire désastreuse, du
manque de nourriture, d’infrastructures défaillantes, de chocs
post-traumatiques et d’une criminalité galopante. "L’administration
irakienne s’est effondrée à la suite de l’invasion américaine ;
l’économie, elle, est en proie à la corruption et au népotisme",
constate amèrement Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS.
Les infrastructures médicales, primordiales, font cruellement défaut.
Selon un rapport des universités de Boston et de Brown, il ne reste
aujourd’hui en Irak que 22 000 médecins (18 000 ont fui après
l’invasion) et 84 psychiatres sur l’ensemble du pays, pour une
population de 33 millions d’habitants. À cela s’ajoute un cruel manque
d’accès à l’eau potable (80 % de l’eau du pays ne serait pas traitée).
Malgré le retrait des troupes occidentales, le deuil irakien est loin de
prendre fin. Si l’enquête s’étend jusqu’en 2011, la violence, elle,
continue de gangrener l’Irak. La guerre contre la coalition a laissé
place à une nouvelle lutte fratricide entre la majorité chiite au
pouvoir (ancienne bête noire du régime de Saddam Hussein) et les
sunnites (soutiens de l’ancien dictateur). L’Irak vit depuis deux ans au
rythme des bombes et des voitures piégées. Selon Pierre-Jean Luizard,
ces attentats "ont fait plus de 10 000 morts (dont une majorité de
civils) depuis fin 2011". 2013 marque l’apogée de ces violences, plus
meurtrières qu’en 2008, en plein coeur du conflit.
(18-10-2013 - Par Quentin Raverdy)
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