Un restaurant prisé des expatriés et des politiques tunisiens. La
conversation roule sur la vie du parti. La lassitude le dispute au
sentiment de « gâchis ». Coup de blues pour les élus Nidaa. La
génération triomphante de 2014 est devenue désabusée en 2016. En effet,
la vie quotidienne de Nidaa Tounes a tout d'une série télévisée. Les
rebondissements y sont légion, pimentent les flash infos et l'action ne
cède jamais le terrain à la réflexion.
Depuis octobre 2015, le parti arrivé en tête aux législatives de 2014
(85 élus sur les 217 que compte l'Assemblée) vit une crise existentielle
doublée d'une guerre de tranchées pour le contrôle de l'appareil. Crise
politique car celui qui incarnait sa ligne, BCE, est désormais
président de la République. Guérilla interminable car quelques caciques
veulent régenter la boutique dans l'espoir d'être le candidat à la
prochaine présidentielle en 2019. Voire une élection anticipée, qu'elle
soit législative ou autre. Les militants, eux, se lamentent, déçus par
l'alliance nouée avec les islamistes d'Ennahda, leur ennemi juré.
De la machine électorale politiquement pilotée par BCE, il ne reste
qu'une direction politique divisée, une absence de cap politique clair
et un combat d'égos permanent. Nidaa Tounes a déçu ses électeurs et
alimente un peu plus le désarroi des citoyens à l'égard de la politique.
Le bloc parlementaire a fondu comme neige au soleil : de 85 députés,
Nidaa n'en compte aujourd'hui que 65, laissant les islamistes d'Ennahda
les devancer avec 69 élus. Dernier départ en date : le député Ben Salem a
claqué le strapontin du bloc parlementaire cette semaine.
Dimanche 18 septembre, le comité politique de Nidaa Tounes a décidé de
se choisir pour président Youssef Chahed, l'actuel chef du gouvernement.
Vingt-quatre heures plus tard, dix députés de Nidaa menaçaient de
démissionner. Et évoquaient un complot fomenté par Hafedh Caïd Essebsi
(HCE), le fils du président de la République. Il y serait question de
faire main basse sur la machine Nidaa pour préparer une candidature de
HCE. Tout ce tohu-bohu fait le bonheur des réseaux sociaux, alors que
les problèmes s'accumulent pour la Tunisie. Départ possible du pétrolier
britannique Pétrofac, épuisé par des grèves qui paralysent le site
gazier de l'île de Kerkennah, extractions des phosphates au plus bas,
chômage en hausse (15,6 % au niveau national, plus de 30 % dans
certaines régions), colère dans la ville de Fernana après l'immolation
d'un cafetier…
Une situation qui contraste sérieusement avec le statut social de la
Tunisie au niveau international. Cette énième bisbille au sommet du
parti intervenait alors que BCE s'envolait pour l'ONU à New York. Il y
rencontrait John Kerry et Barack Obama. À deux mois de la conférence
internationale pour l'investissement qui réunira le gotha mondial
(présidents, ministres, investisseurs) à Tunis, la situation locale
diffère de l'image répercutée à l'international. On y loue la «
success-story tunisienne », selon l'expression de l'ancien président de
la République Moncef Marzouki, alors que sur « zone », selon
l'expression des militaires, la situation sociale s'aggrave.
Le tout nouveau chef du gouvernement se voit reprocher de se mêler des
affaires internes du parti alors que sa mission à la Kasbah devrait
l'accaparer 24 heures sur 24. Le report des élections municipales
devient source d'inquiétudes pour les bailleurs de fonds. Prévues pour
2015 puis 2016, elles risquent d'être décalées à fin 2017 voire 2018 si
les parlementaires ne votent pas les textes de loi nécessaires. De
nombreux partis préfèrent ce report. Et font volontairement traîner le
vote à l'ARP. Par peur d'un revers électoral ou par impréparation
(listes, programmes, militants). Depuis la révolution de 2011, les
mairies sont le seul pouvoir qui n'a pas été soumis à élections.
Des délégations spéciales gèrent dans l'attente d'un choix des
électeurs. Une situation qui gangrène le pays. L'espace public est en
proie à une saleté de plus en plus inquiétante. Si Youssef Chahed,
ancien ministre des Affaires locales, avait procédé à la création du
tissu municipal (un Tunisien sur trois ne relevait pas d'une mairie), il
lui reste à mettre toute sa nouvelle autorité dans la balance afin que
ce scrutin déterminant pour le développement du pays ait enfin lieu. La
Tunisie vit une contradiction : célébrée par le Nobel, les démocraties,
les grandes institutions, elle se débat au quotidien avec le quotidien.
Les fins de mois commencent de plus en plus tôt pour les ménages. « Et
on ne transige pas avec le quotidien », écrivait l'intellectuel Youssef
Seddik.
(23-09-2016 - Benoît Delmas)
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