Comment vivez-vous actuellement à Alep ?
Nous arrivons à nous ravitailler, grâce aux organisations humanitaires,
par exemple l'Unicef. Mais nous n'avons pas d'électricité, l'eau est
souvent coupée, le travail devient impossible. Il n'y a plus d'emplois.
Nous sommes terrorisés par ce qui se passe. La situation n'a jamais été
aussi préoccupante. Ce que nous espérions avec la dernière trêve
malheureusement n'a pas eu lieu. Qu'allons-nous devenir ? Depuis cinq
ans nous vivons sous les bombes. Notre ville, naguère, était prospère,
hyperactive, cosmopolite ; tout le monde pouvait y vivre ensemble, main
dans la main. Et maintenant ? Tout cela est réduit à néant. On dirait
qu'Alep subit le même sort qu'Hiroshima ou Nagasaki. Allons-nous pouvoir
un jour reconstruire tout cela ? Nous sommes terrassés, mais nous
gardons espoir.
Partagez-vous les condamnations devant l'ONU des représentants
français, américains et anglais dénonçant les bombardements russes et
syriens comme « crimes de guerre » ?
Avant d'incriminer, il faut vérifier. Beaucoup d'informations arrivent
de façon faussée. Je vois toutes ces violences, toutes ces batailles,
mais je ne sais pas quelle conclusion en tirer… Si crimes de guerre il y
a, ils sont perpétrés des deux côtés. Toute guerre est un crime. Je
condamne la guerre d'où qu'elle vienne. Je vous dis cela en toute bonne
foi. Je ne me couvre pas les yeux, je n'ai pas peur que l'on m'arrête.
Je demande qu'une seule chose : que toutes les parties s'assoient autour
d'une table, et on trouvera une solution. Mais si certains refusent le
dialogue, qu'ils sortent ! Pour vivre ensemble, il faut d'abord
respecter l'autre. Ce pays appartient à tous les Syriens. Personne ne
peut prétendre à un droit exclusif sur cette terre. Arrêtons cette folie
! Que cherchez-vous ? Vous voulez détruire ce pays et vous le partager
comme des loups ? C'est une guerre pleine de sang, d'argent, de
corruption, de mensonges. Arrêtez de jouer en dessous de la table !
Laissez-nous tranquilles ! Qu'avons-nous fait pour mériter cela ? Je
parle en homme d'Église, avec sa conscience et son cœur. Chaque jour qui
passe, je souffre comme si je perdais un frère ou une sœur.
Quand nous nous étions vus à Paris il y a quelques mois vous
imploriez les chrétiens de ne pas fuir Alep. Est-ce toujours votre état
d'esprit ?
Oui, et plus que jamais, car, sans prétention, je pense que notre
société a besoin des chrétiens parce qu'ils œuvrent pour la
convivialité, l'acceptation de l'autre, la gratuité. Ici, les chrétiens
ont souvent été à l'avant-garde, en médecine, en sciences et en
urbanisme, notamment. La Syrie, qui a vu naître le christianisme et des
centaines de millions de chrétiens qui ont contribué à son édification,
est ma terre autant que celle des autres. Nous devons rester ici parce
que nous y sommes enracinés, autant religieusement que socialement. En
moins de deux ans, nous avons restauré 250 maisons pour que leurs
habitants restent, nous avons fourni des prêts gratuits à 70 jeunes,
nous avons proposé des bourses d'études pour 1 200 élèves, nous avons
créé un centre de formation aux métiers du bâtiment, un centre de
promotion pour les femmes, une coopérative alimentaire… Nous avons lancé
un mouvement qui s'appelle Bâtir pour rester. Nous attendons avec
impatience la paix, qui sera le salut de tout le monde. Le 6 octobre,
nous rassemblerons plus de mille enfants chrétiens et musulmans de sept à
douze ans pour prier ensemble pour la réconciliation et la paix.
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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