Mars 2015.
Qui ment ? Daech ou l’alliance internationale censée le combattre ? Que
devons-nous croire ? Les champs de bataille livrés aux flammes et les
opérations militaires, ou les déclarations des dirigeants et des
généraux, les porte-parole des autorités ?
Neuf mois après le déclenchement de la plus récente des vagues de
conquête de Daech, et après des confrontations, des batailles et des
raids, le résultat semble sans appel : chacun fait du surplace, avec un
volume de pertes sans précédent pour toutes les parties. On ne peut
accorder aucun crédit au torrent de déclarations qui nous assourdit,
d’autant que, comme le dit le poète Abu Tammam, « les nouvelles
apportées par l’épée sont plus sincères que celles des livres ». Et
Daech, en tant que superpuissance régionale, qui passe outre les
frontières, les nations et les entités, est encore capable, malgré
toutes les pertes subies, de protéger ses positions dans les grandes
villes, au cœur des cités et dans les zones stratégiques ; il peut
toujours ranimer le flot de ses invasions, diversifier les moyens de son
terrorisme et ses méthodes d’intimidation brutale, nourrir sans fin les
racines de sa terreur et de sa lutte suicidaire.
Et ce que montrent les actes, non le gaspillage des mots, c’est qu’il n’y a pas de
guerre internationale contre le terrorisme. Pas de guerre régionale
contre Daech, les seules guerres sérieuses étant celles qui se déroulent
entre les sunnites et les chiites, entre les Houthis et les autres,
entre les régimes et leurs peuples, entre l’Amérique et ses ennemis, et
ainsi de suite.
Ils nous mentent. La guerre contre le terrorisme est associée à des guerres contre nous.
(…) Par conséquent, Daech seul demeure toujours plus fort que la somme
de ses ennemis, occupés d’abord par leurs autres guerres dévastatrices.
Ce torrent de mensonges s’arrêtera-t-il ?
Août 2016.
Quelle relation y a-t-il entre le village d’El-Kaa au Liban, Orlando
l’américaine, la banlieue sud de Beyrouth, Charlie Hebdo en France,
l’aéroport Atatürk à Istanbul, l’aéroport de Bruxelles, capitale de
l’Union européenne, Bagdad, Samarra et les autres villes d’Irak, entre
le massacre du théâtre du Bataclan à Paris, Palmyre et les cités
syriennes prises pour cibles à plusieurs reprises, entre les frontières
et les portes de l’exil en Jordanie, les rues du Caire et les rives qui
enserrent le Sinaï, la ville de Zliten en Libye, la cité de Maiduguri
aux mains de Boko Haram, la mosquée de Mahassen en Arabie Saoudite, le
musée du Bardo en Tunisie, Jakarta la capitale indonésienne et son
quartier des ambassadeurs, l’enlèvement d’un citoyen australien bientôt
égorgé ?
Quelle relation y a-t-il entre le village d’El-Kaa et ces cinq continents ?
Le lien entre ces lieux éloignés les uns des autres est Daech,
l’organisation mondiale de l’État islamique, un impérialisme religieux
mondialisé. Le sous-estimer est pathétique, et constitue une preuve de
stupidité politique. Les opérations successives ont prouvé que Daech est
un Etat tentaculaire, avec des camps militaires aux quatre coins du
monde, et qu’il est en mesure de livrer des batailles sur de véritables
fronts, de mener des guerres de conquête ainsi que des guerres de
défense au sein de la « terre du califat en Irak et au Levant », mais
aussi sur les cinq continents, et tout cela à la fois... Inégalé dans
l’utilisation de la violence, le génie de la tuerie et ses arts divers
et innovants, Daech n’a de compétiteur que l’enfer. Ce qui a frappé
El-Kaa a une spécificité libanaise, mais l’Etat de Daech le conçoit sous
l’angle de sa bataille cosmique. Daech n’a besoin de s’allier à
personne, il prétend avoir pour unique allié Allah, sa référence et son
chef.
Sous-estimer Daech est très dangereux. Ajourner la confrontation
mondiale, c’est manquer à un devoir élémentaire de porter secours. Daech
est seul contre tous, contre tous ceux qui ne sont pas dans ses rangs.
Le monde entier est à découvert devant lui, il constitue sa cible, là où
il vise il atteint son but. Chaque perte est encore une victoire, et un
triomphe divin. Les pertes ne comptent pas pour lui.Ceux qui, à travers
le monde, viennent rejoindre ses rangs, lui fournissent des réserves
humaines inépuisables, et une foi barbare qui ne connaît pas de limites à
la sauvagerie. Le suicide est pour lui une victoire. Ses huit
terroristes morts à El-Kaa sont des leaders célestes – et beaucoup
d’autres suivront.
Et la peur de Daech est un crime encore plus grand. Cette peur est
l’arme qu’il laisse derrière lui après chaque massacre. L’intimidation
est une doctrine de terrain qui paralyse l’ennemi. Cela est arrivé à
plusieurs reprises. Il y a pourtant des remèdes contre la peur, mais ils
sont le fruit des champs de bataille et des confrontations : Palmyre et
Fallujah en sont des modèles.
La force de Daech est qu’il constitue, pour de nombreux Etats,
gouvernements, organisations et coalitions, le dernier, et non le
premier ennemi. Sa force vient du fait que les autres ennemis sont
considérés comme prioritaires, et c’est ce qui le protège le mieux de la
défaite.
La Turquie ne le considère pas comme son premier ennemi. Ses relations
avec lui sont de fait ambiguës. Elle l’a soutenu et a facilité le
passage vers la Syrie de hordes d’adeptes arrivées du monde entier. La
Turquie est considérée comme leur passeur le plus sûr. Aujourd’hui elle
en paie le prix. Parce que le Parti des travailleurs du Kurdistan a la
priorité sur Daech, tout comme le régime syrien, que la Turquie cherche à
faire tomber en soutenant les oppositions islamistes armées. Le régime
syrien ne traite pas non plus Daech comme son premier ennemi. Les
guerres de terrain lui imposent de livrer bataille à tout ce qui lève
les armes contre lui, et surtout le reste de l’opposition, qui
n’appartient pas à Daech. Quant à l’Arabie Saoudite, elle a failli
hurler de dépit après la libération de Fallujah. Il est vrai que Daech
la considère comme son ennemie, tout comme les autres régimes, accusés
d’athéisme, mais l’Arabie Saoudite a d’autres cibles prioritaires,
l’Iran, le régime syrien et leurs alliés. Les Libanais, qui craignent
Daech, ont compris combien celui-ci est nuisible à leur patrie ; mais
s’ils se sentent menacés et savent pertinemment qu’il s’est implanté en
lisière de la Békaa du Nord, visant la mer Méditerranée à travers des
régions vulnérables du Nord, ils sont divisés face au rôle du Hezbollah
en Syrie, lequel contribue à plusieurs batailles, dont celles contre
Daech et Al-Nosra. Ainsi c’est parfois le Hezbollah qui occupe la
première position en tant qu’ennemi, avant Daech – quant à Al-Nosra, il
arrive loin derrière. Sunnites et chiites ne sont pas unis dans la
bataille contre Daech. La guerre entre les deux axes, l’iranien et le
saoudien, n’a pas cessé. Daech vit de cette discorde, qui fait rage du
Yémen au Bahreïn, de l’Irak à la Syrie. Daech n’est qu’une contingence,
laquelle ne constitue pas un élément essentiel dans ce conflit. (…)
Hier, ce fut le village d’El-Kaa, mais ce n’est probablement pas le
dernier. Eliminer Daech prendra beaucoup de retard.
(03-09-2016 - Nasri Al-Sayegh - "Assafir")
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