vendredi 16 septembre 2016

Syrie : Les généraux américains se rebiffent

« Comment peut-on accepter un accord de coopération militaire avec un pays perçu par nous comme un ennemi en puissance. » Sous couvert d'anonymat, des officiers américains de haut rang se lâchent dans les journaux contre l'accord conclu, le 9 septembre, par le chef de la diplomatie américaine, John Kerry et le ministre des Affaires étrangères de Poutine, Sergei Lavrov.
L'essentiel du « deal », âprement négocié, est la promesse d'une action militaire conjointe des forces américaines et russes contre les djihadistes de l'État islamique et contre le Front Al-Nosra, lié, il y a peu, à Al-Qaïda. En échange, les Russes se sont engagés à peser sur leur allié Bashar el-Assad pour qu'il instaure le 12 septembre un cessez-le-feu qui mette fin aux bombardements de l'aviation syrienne, notamment contre les assiégés d'Alep. Ils ont aussi accepté que les Sukhoi russes cessent de bombarder certaines forces rebelles, aidées par des conseillers militaires américains, mais dont Moscou dit qu'elles sont liées à Al-Qaïda. Ce fragile cessez-le-feu ne tient que pour ceux qui l'ont accepté. Donc pas pour Daesh et Al-Nosra.
Il s'agit d'une coopération inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale entre les états-majors de deux pays. Depuis 70 ans, ils ont toujours été sinon ennemis, du moins adversaires. Les deux armées n'ont jamais cessé de chercher à prendre l'avantage dans le domaine du renseignement, de la course aux armements, de la recherche des défauts de la cuirasse de l'autre, de la préparation de plans éventuels d'attaque. Au cas où… Et le paradoxe est que ce rapprochement intervienne alors que les deux pays se retrouvent directement ou indirectement face à face en Europe de l'Est, des Balkans à l'Ukraine.
Si la trêve tient, en Syrie, on devrait assister à la création d'un « centre de mise en œuvre conjointe ». Son but ? Non pas planifier des attaques aériennes coordonnées – on n'en est pas encore là ! –, mais de mettre en commun les informations de l'un et l'autre état-major sur des cibles potentielles. Ce centre serait situé à Genève, donc loin du terrain.  Et – c'est dire si la confiance règne – le Pentagone a déjà averti la Maison-Blanche qu'il serait particulièrement vigilant pour que les Russes, si on leur communique une liste de cibles, ne sachent pas par quels moyens les Américains ont obtenu leur localisation. Car ces systèmes électroniques sont les mêmes que ceux utilisés sur d'autres théâtres d'opérations.
Jusqu'à la fin de la négociation entre John Kerry et Serguei Lavrov, Ashton Carter, le secrétaire à la Défense a tenté de freiner l'accord avec les Russes. Il a alerté Obama sur l'énorme risque qu'il prend en laissant la Russie « s'introduire » dans le système complexe de défense américain. Mais le président, dont les initiatives sur la Syrie se sont terminées au mieux par des reculades au pire par des échecs, avait trop besoin du succès de ce plan. Avec un argument humain de poids : il peut soulager le sort des milliers de civils piégés dans Alep. Dans une guerre civile, dont on vient d'apprendre qu'elle a déjà fait plus de 300 000 morts, c'est un argument imparable. Même auprès des militaires.

(15-09-2016)

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