« Comment peut-on accepter un accord de coopération militaire avec un
pays perçu par nous comme un ennemi en puissance. » Sous couvert
d'anonymat, des officiers américains de haut rang se lâchent dans les
journaux contre l'accord conclu, le 9 septembre, par le chef de la
diplomatie américaine, John Kerry et le ministre des Affaires étrangères
de Poutine, Sergei Lavrov.
L'essentiel du « deal », âprement négocié, est la promesse d'une action
militaire conjointe des forces américaines et russes contre les
djihadistes de l'État islamique et contre le Front Al-Nosra, lié, il y a
peu, à Al-Qaïda. En échange, les Russes se sont engagés à peser sur
leur allié Bashar el-Assad pour qu'il instaure le 12 septembre un
cessez-le-feu qui mette fin aux bombardements de l'aviation syrienne,
notamment contre les assiégés d'Alep. Ils ont aussi accepté que les
Sukhoi russes cessent de bombarder certaines forces rebelles, aidées par
des conseillers militaires américains, mais dont Moscou dit qu'elles
sont liées à Al-Qaïda. Ce fragile cessez-le-feu ne tient que pour ceux
qui l'ont accepté. Donc pas pour Daesh et Al-Nosra.
Il s'agit d'une coopération inédite depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale entre les états-majors de deux pays. Depuis 70 ans, ils ont
toujours été sinon ennemis, du moins adversaires. Les deux armées n'ont
jamais cessé de chercher à prendre l'avantage dans le domaine du
renseignement, de la course aux armements, de la recherche des défauts
de la cuirasse de l'autre, de la préparation de plans éventuels
d'attaque. Au cas où… Et le paradoxe est que ce rapprochement
intervienne alors que les deux pays se retrouvent directement ou
indirectement face à face en Europe de l'Est, des Balkans à l'Ukraine.
Si la trêve tient, en Syrie, on devrait assister à la création d'un «
centre de mise en œuvre conjointe ». Son but ? Non pas planifier des
attaques aériennes coordonnées – on n'en est pas encore là ! –, mais de
mettre en commun les informations de l'un et l'autre état-major sur des
cibles potentielles. Ce centre serait situé à Genève, donc loin du
terrain. Et – c'est dire si la confiance règne – le Pentagone a déjà
averti la Maison-Blanche qu'il serait particulièrement vigilant pour que
les Russes, si on leur communique une liste de cibles, ne sachent pas
par quels moyens les Américains ont obtenu leur localisation. Car ces
systèmes électroniques sont les mêmes que ceux utilisés sur d'autres
théâtres d'opérations.
Jusqu'à la fin de la négociation entre John Kerry et Serguei Lavrov,
Ashton Carter, le secrétaire à la Défense a tenté de freiner l'accord
avec les Russes. Il a alerté Obama sur l'énorme risque qu'il prend en
laissant la Russie « s'introduire » dans le système complexe de défense
américain. Mais le président, dont les initiatives sur la Syrie se sont
terminées au mieux par des reculades au pire par des échecs, avait trop
besoin du succès de ce plan. Avec un argument humain de poids : il peut
soulager le sort des milliers de civils piégés dans Alep. Dans une
guerre civile, dont on vient d'apprendre qu'elle a déjà fait plus de 300
000 morts, c'est un argument imparable. Même auprès des militaires.
(15-09-2016)
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