Sous l'immense chapiteau blanc dressé en guise de QG de campagne dans la
capitale jordanienne Amman, l'évènement s'apparente plus à une réunion
tribale qu'à un meeting électoral.
Sur fond de musique patriotique et de chants à la gloire du roi Abdallah
II, cafés et konafa (douceurs orientales) sont servis à volonté à des
dizaines d'invités venus soutenir une des listes les plus médiatisées,
en lice pour les législatives de mardi.
Hani Ajour, 55 ans et "déjà grand-père", est venu pour "soutenir" un ami
candidat, même s'il n'a "plus confiance dans les élections".
"Malheureusement les résultats sont connus d'avance. Le gouvernement
place les gens qu'il veut" au Parlement (...) et les promesses seront
vite oubliées après les élections", regrette-t-il.
Ceci ne l'empêchera pas toutefois d'aller voter mardi "juste pour rendre service à mon ami".
Selon un sondage du centre jordanien Phenix des études économiques et
informatiques, le nombre d'électeurs qui votent pour soutenir un membre
de leur tribu ou de leur famille (32,6%) est supérieur à celui de ceux
le faisant "par devoir national" (27%).
Isolé dans un coin, Mohammed qui s'exprime sous un prénom d'emprunt,
s'indigne: "Ce sont tous des hypocrites". "Après trente ans dans la
sécurité, je peux vous assurer que les élections en Jordanie sont un
gros mensonge", martèle cet ancien fonctionnaire du ministère de
l'Intérieur.
"S'ils gagnent, les députés oublient leurs femmes et enfants. Que dire alors de leurs électeurs!".
Il affirme venir tous les jours "par devoir" passer une demi-heure au QG
de campagne pour "ne pas fâcher" un candidat membre de sa tribu. Mais
il ne compte aucunement aller voter. "Même si mon père sortait de sa
tombe et se présentait aux élections, je ne voterais pas pour lui".
A l'exception des islamistes, seule force d'opposition capable de
mobiliser la foule, les autres candidats comptent notamment sur leurs
connexions tribales pour espérer gagner.
Fraudes, clientélisme et vote tribal ont toujours influencé les
législatives en Jordanie où une grande partie des électeurs disent avoir
perdu confiance dans le processus électoral.
"Je vais voter juste pour exercer mon droit de vote. La plupart des
députés n'oeuvrent que pour leur intérêt et non pas pour améliorer la
vie de notre peuple", se révolte Lotfi Habib, un électricien dans le
centre d'Amman.
Bilal Chalabi boycotte lui aussi le scrutin pour la même raison. "Les
députés (...) font passer des lois qui alourdissent le fardeau des
Jordaniens", dénonce-t-il, en allusion notamment à la hausse des taxes à
la consommation.
L'économie jordanienne a été sévèrement touchée par les conflits qui
font rage dans les pays voisins, en Irak et en Syrie, et l'accueil de
centaines de milliers de réfugiés pèse lourdement sur les finances du
royaume.
Officiellement, le chômage touche environ 14% de la population mais
certaines estimations indépendantes font état de 22 à 30% de chômeurs au
sein d'une population où 70% des personnes ont moins de 30 ans.
Dans ce contexte, certains Jordaniens gardent espoir dans une jeune
génération de politiciens capables d'oeuvrer pour un avenir meilleur.
Après avoir boycotté les derniers scrutins, Sawsan, la trentaine, est
décidée cette fois à aller voter. La jeune femme qui travaille dans une
ONG internationale dit avoir repéré de "nouveaux groupes qui émergent
avec de nouveaux programmes, nourrissant l'espoir d'un grand
changement".
Samer Qobaine, la quarantaine, se dit optimiste lui aussi. "La
démocratie ne se construit pas en un jour". "Il est vrai que les
élections chez nous sont toujours dominées par l'argent et les relations
tribales, plus que par le débat politique mais nous essayons petit à
petit de changer la donne", dit-il.
L'implication dans les élections de puissants hommes d'affaires et
d'importantes tribus, sans appartenance politique connue à l'exception
de leur loyauté envers le pouvoir, risque toutefois de laminer les
candidats et les partis politiques à petits budgets et, comme lors des
derniers scrutins, de pervertir le vote par l'argent.
D'où le slogan brandi par la commission électorale: "Votez pour votre pays, votre voix n'est pas à vendre".
(19-09-2016)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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