Tantôt
qualifié de « Général de pacotille », d'« homme de la CIA », quand
d'autres voient en lui un nouveau Kadhafi ou al-Sissi, à quel point
Khalifa Haftar peut-il rassembler en Libye ?
« Dissident », « incontrôlable », « impénitent », « insoumis », «
despotique », « incontournable »… Les adjectifs associés au général
libyen Khalifa Haftar dans la presse ne font pas dans la demi-mesure, et
suggèrent d'emblée le caractère d'électron libre de cet acteur
politique. Depuis son retour en Libye en 2011, après 21 ans d'exil aux
États-Unis, celui qui fut le compagnon d'armes de Mouammar Kadhafi à la
fin des années 60 et chercha à le reverser 20 ans plus tard, semble n'en
faire qu'à sa tête. Il impose ses vues, marque son territoire,
constitue son armée, lance ses offensives. Son dernier fait d'arme : la
mainmise sur les ressources pétrolières. En trois jours, entre le 11 et
le 13 septembre, et tandis que les regards étaient braqués vers Syrte
d'où est en train d'être délogé le groupe État islamique, il s'est
emparé des principaux terminaux pétroliers du pays. Un coup de force qui
a valeur de défi vis-à-vis du gouvernement d'union nationale (GNA) de
Fayez al-Sarraj installé en avril. Ces nouvelles autorités, appuyées par
l'ONU et la communauté internationale, ambitionnaient en juillet de
relancer les exportations de brut depuis ces installations qui forment
le « croissant pétrolier ». Barrant la route aux efforts de
reconstruction du pays par ce gouvernement à qui il dénie toute
légitimité, le général Haftar, à la tête de l'Armée nationale libyenne
(ANL), incarne l'autre pouvoir. Celui que représente notamment le
Parlement de Tobrouk, à l'Est, dans cette Cyrénaïque dont il est natif
et qu'il contrôle aujourd'hui partiellement. À 73 ans, Haftar,
fraîchement promu maréchal par ces autorités rivales de Tripoli, selon
un communiqué de l'armée, continue ainsi d'afficher sa détermination à
mener son propre combat en Libye.
« Haftar, l'homme fort », titre le site d'info guinéen Le Djely. «
Turbulent et notoirement insoumis, le général Khalifa Haftar vient de
démontrer qu'il est aussi et surtout efficace. Une efficacité qui fait
que l'interminable bras de fer qui se jouait entre les deux
gouvernements rivaux pour le contrôle du pays tourne en faveur de celui
banni par la communauté internationale », peut-on lire sous la plume de
Boubacar Sanso Barry, selon qui ces « autorités parallèles » de l'Est
engrangent « une victoire symbolique ». « Dans un pays comme la Libye,
dont le pétrole est la ressource principale, s'assurer le contrôle des
quatre grands terminaux (al-Sedra, Ras-Lanouf, Zueitina et Brega) est un
atout non négligeable. Avec un argument aussi persuasif, on peut
retourner n'importe quel acteur », poursuit-il. Précisons
qu'entre-temps, la gestion des terminaux pétroliers a été confiée à la
Compagnie nationale du pétrole (NOC), mais que les forces du général
Haftar continuent d'en assurer la surveillance. Que signifie toutefois
pour Haftar ce coup de force, qui, à terme, nous dit Zine Cherfaoui dans
El Watan, risque « de faire voler en éclats l'accord politique fragile
arraché par l'ONU aux différents belligérants libyens » ? Eh bien, cela,
précisément : briser cet accord politique-là, en vue de redistribuer
les cartes d'un éventuel nouvel État. Dans un article intitulé « le
général Haftar cherche à changer les règles du jeu », il explique que
l'homme « n'a jamais caché son aversion à collaborer avec Fajr Libya,
l'actuelle force de frappe du gouvernement El Sarraj. (…) Pour lui
autant d'ailleurs que pour les membres de l'ancien Parlement de Tobrouk,
ce conglomérat de milices n'est pas digne de confiance car constitué en
majorité d'islamistes. Pas question donc, pour eux, de travailler
ensemble. C'est ce qui, officiellement, empêche d'ailleurs la Chambre
des représentants de donner son quitus au gouvernement de Fayez
al-Sarraj. Pour s'impliquer dans le processus de réconciliation
libyenne, l'Est ne demande rien moins que le contrôle de l'architecture
sécuritaire de la Libye. » Haftar se veut en effet le rempart contre
l'extrémisme islamiste en Libye. Cet objectif présidait au lancement, en
mai 2014, de son « Opération dignité ». Pour avoir gain de cause et
placer ses hommes dans l'appareil sécuritaire libyen, il cherche donc à
inverser les rapports de force, quitte à « étouffer financièrement le
gouvernement al-Sarraj ». Rappelons que le pays dispose des plus
importantes réserves pétrolières d'Afrique (environ 48 milliards de
barils), et que la production a été divisée par cinq depuis 2010.
Tantôt qualifié de « Général de pacotille », d'« homme de la CIA »,
quand d'autres voient en lui un nouveau Kadhafi ou al-Sissi, à quel
point Khalifa Haftar peut-il rassembler en Libye ? Quels sont ses atouts
et ses alliés ? Celui « qui veut imposer son leadership dans toute la
Libye » a « désormais un plus grand contrôle du terrain que ses
adversaires, (…) en plus de contrôler les puits de pétrole du pays »,
avance encore Zine Cherfaoui dans un autre article d'El Watan, consacré à
l'appel au dialogue, ce mercredi 14 septembre, du chef du gouvernement
Fayez al-Sarraj. S'agissant des forces d'Haftar, il souligne qu'il
dispose de sa propre armée (ANL) et du soutien de la plupart des milices
de l'Est. Mais ce n'est pas tout. « Il bénéficie de l'appui d'anciens
kadhafistes « excommuniés » par le défunt CGN et qui s'emploient
actuellement à rebâtir un service de renseignement. Il n'y a pas lieu de
s'étonner aussi de voir certaines régions de l'Ouest le rejoindre »,
nous apprend le quotidien algérien. Ajoutons à ces ralliements ceux de
deux vice-Premiers ministres du gouvernement d'union, peu après
l'opération du général Haftar dans le croissant pétrolier. À l'étranger,
Khalifa Haftar peut compter sur les soutiens de l'Égypte, de la Russie,
et des Émirats arabes unis. À cet égard, le site d'info tunisien Webdo
s'intéresse aux informations divulguées par le portail d'actualités sur
le Moyen-Orient Middle East Eye. Ce dernier s'est procuré des
enregistrements sonores dans lesquels on entend notamment des échanges
entres des soldats fidèles à Haftar et des pilotes d'avions émiratis...
Mais pas seulement. Selon ces documents, rapporte Webdo, « des avions
militaires émiratis ont pris part, avec d'autres avions français,
britanniques et américains, à des opérations d'inspection et même à des
offensives » en lien avec les forces du général Haftar.
La quotidien burkinabé Le Pays, quant à lui, rend compte de la visite
rendue par l'homme fort de l'Est libyen à Idriss Déby, président du
Tchad voisin, dans un article intitulé « L'opération de charme du
général Haftar ». Les deux hommes se connaissent. Lors de la guerre
lancée par Mouammar Kadhafi contre le Tchad, en 1987, Haftar fut capturé
par les hommes d'Hissène Habré. C'est là, d'ailleurs, qu'il va préparer
avec un groupe de dissidents libyens soutenus par la CIA un putsch
contre le « Guide ». « En rendant visite à son vieil ennemi Idriss Déby,
qui avait menacé de l'extrader vers la Libye au lendemain de sa prise
du pouvoir en 1990 s'il ne quittait pas le territoire tchadien où il
avait été emprisonné avant d'être libéré et retourné contre Kadhafi par
le président tchadien d'alors Hissène Habré, le général Khalifa Haftar a
non seulement rencontré le président d'un pays voisin, mais aussi celui
de l'Union africaine, qui pourrait parier sur lui pour le retour
progressif de la paix en Libye », écrit Hamadou Gadiaga. S'il y voit une
chance pour l'Union africaine, « dont la voix a été inaudible » lors de
l'intervention militaire étrangère en Libye de 2011, de peser dans le
processus de réconciliation en Libye, il met aussi en garde sur l'option
d'un soutien au général Haftar. « Ses paroles et ses actes devront être
scrutés à la loupe, car ses récentes visites chez ses voisins Déby et
Al Sissi pourraient être une entourloupe pour se faire adouber par deux
puissants dictateurs afin de faire main basse sur la Libye et ses
immenses richesses pétrolières. Dans le contexte actuel de la Libye, ce
serait une gravissime erreur de penser qu'on peut s'imposer à toutes les
autres factions armées, quelle que soit sa puissance de feu, et l'Union
africaine devrait aider les Libyens à transcender leur ego et leurs
querelles picrocholines en invitant les chefs de guerre et les chefs de
tribus à la table de négociations », conclut-il.
Faut-il donc négocier avec Haftar, et est-il vraiment incontournable,
comme l'avancent de nombreux médias africains ? Oui, semble nous dire un
autre quotidien burkinabé,Aujourd'hui au Faso. Dans « cette Libye en
lambeaux », estime Joachim de Kaibo, il faut peut-être inviter Khalifa
Haftar à la table des négociations, quoi qu'il en coûte. « Qu'il ait un
passé sulfureux, qu'il soit considéré comme « l'homme des Américains »,
qu'il ait barboté dans des affaires louches au sein du Conseil national
de transition (CNT) alors qu'il en était un des chefs militaires, tout
cela est plausible. Mais un semblant de réunification de la Libye, la
sécurisation des puits de pétroles, bref, le retour à une Libye presque
normale, ne valent-ils pas de pactiser avec ce diable de Haftar ? »
interroge-t-il. Et de relever un « fléchissement de la communauté
internationale à l'égard de ce général renégat », et notamment de l'ONU.
« Lorsque l'organisation onusienne prône la création d'un Haut conseil
militaire dont pourrait faire partie Haftar comme le suggère l'envoyé
spécial en Libye Martin Kobler, c'est que de plus en plus, le général
semble incontournable dans un éventuel retour de la Libye, dans son
entièreté étatique. Reste à savoir, comment le mettre dans le circuit
sans créer d'autres désiderata », peut-on lire sur le site d'Aujourd'hui
au Faso.
« La communauté internationale doit revoir sa copie », abonde Le Pays.
Il développe deux arguments pour étayer ses propos. Le premier réside
dans le choix – contestable – de Fayez al-Sarraj pour diriger le
gouvernement d'union nationale mis sur pied au printemps. Un « mauvais
casting », déplore Le Pays, selon qui les Nations unies doivent
aujourd'hui reconnaître qu'elles ont misé sur le « mauvais cheval ».
Pour de nombreux Libyens « nourris durant plus de 40 ans au lait du
nationalisme militant de Kadhafi », al-Sarraj fait figure de « valet de
l'extérieur », d'homme imposé par l'Occident. « Ce discours fait florès
aujourd'hui dans le pays », indique le quotidien de Ouagadougou. «
Sociologiquement voire politiquement, nul ne peut gouverner la Libye
dans la sérénité, sans la caution de ces tribus. Même au temps de
Kadhafi, les institutions du pays leur devaient, en partie, leur
stabilité. Or, le moins que l'on puisse dire est que les puissantes
tribus du nord-est du pays, dans leur majorité, ont toujours boudé le
gouvernement d'union nationale basé à Tripoli. Elles lui reprochent, en
plus d'avoir été mis en place par la seule volonté de la Communauté
internationale dont il est à la solde, de n'être pas représentatif de la
Libye dans sa diversité », poursuit-il. Selon le deuxième argument, le
général Haftar serait finalement un « moindre mal » face à la menace des
nombreuses milices et autres groupes islamistes armés qui se sont
développés depuis la chute de Kadhafi. « Dans la situation actuelle de
la Libye, la seule force susceptible d'aider à extirper le pays de
l'emprise des forces négatives, pour reprendre une expression
abondamment utilisée en Afrique centrale, pourrait être les forces
fidèles à Haftar », conlut Le Pays.
(17-09-2016 - Par Agnès Faivre)
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