jeudi 2 octobre 2014

Tunisie : attention, une élection peut en cacher une autre (Stéphanie Wenger)

Ils étaient 70, ils ne sont plus que 27. 27 candidats qui briguent le fauteuil de président de la jeune république tunisienne. La pléthore d'aspirants qui avaient déposé leur dossier à l'Instance supérieure de supervision des élections avait excédé, inquiété, parfois amusé les Tunisiens. Ceux-ci sont appelés aux urnes pour la deuxième fois depuis octobre 2011. Jusqu'à présent ce sont les présidentielles qui ont occupé le devant de la scène médiatique, alors que le premier tour n'aura lieu que début décembre. Il faut dire que pour la première fois, les électeurs choisissent leur président au suffrage universel direct. Le scrutin a éclipsé les législatives qui pourtant se tiennent le 26 octobre et seront déterminantes
L'examen des parrainages (10 députés ou 10 000 électeurs) a permis d'éliminer les profils qui avaient fait jaser : comme Adel Almi, ce prêcheur autoproclamé, avide de médias et lobbyiste de la polygamie ; Bahri Jelassi, Tunisien expatrié partisan d'abaisser l'âge du mariage des filles à 13 ans et qui avait promis de construire un pont entre la Tunisie ou l'Italie ; ou encore Moufida Amdouni qui se vantait d'avoir plus d'un milliard de fans sur Internet, notamment en Russie, au Japon et en France...
Exit donc les profils les plus controversés. La liste finale reste conséquente avec quelques grosses pointures. Moncef Marzouki, le président sortant ; l'ancien président de l'assemblée, Moustafa Ben Jaafar ; Béji Caied Essebsi, leader du parti Nidaa Tounès, principal parti d'opposition à Ennahda. Les anciens du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali) sont aussi bien représentés : trois candidats ont été ministres plusieurs fois dans les gouvernements de l'ancien dictateur, et croient en leurs chances. L'un d'eux, Mondher Zenaidi, de retour d'exil après avoir obtenu un non-lieu en justice, a été acclamé par une foule vibrante d'émotion à l'aéroport de Carthage, sans qu'il soit possible de confirmer la spontanéité de ce comité d'accueil.
Parmi les autres candidats, on peut citer aussi : Kalthoum Kannou, une magistrate respectée et une des seules femmes en lice ; Mustafa Kamel Nabli, l'ancien directeur de la banque centrale ; et Mohamed Frikha, le fondateur de Syphax, une compagnie aérienne créée juste après la révolution, qui se présente également aux législatives sur une liste Ennahda. 
Pour Hédi, électeur d'Ennahda rencontré à la présentation du programme du parti islamiste pour les élections législatives, le nombre élevé des candidatures se justifie : "Il y a une forme de soulagement après des années de dictature, même mille candidats ne m'auraient pas dérangé, c'est mieux que de prendre les armes. Se confronter sur les idées, cela prouve la bonne santé du peuple tunisien." Fethi, pourtant du même bord politique, est moins enthousiaste : "Ce n'est pas une preuve de bonne santé, mais de naïveté. On a le droit de rêver après la révolution, mais président, ce n'est pas donné à tout le monde ! À part Ennahda, tout le monde cherche à aller à Carthage."
Effectivement, le parti islamiste, arrivé en tête du précédent scrutin en octobre 2011, a décidé de ne pas présenter de candidat à la présidentielle, misant tout sur les législatives. Les résultats des législatives et le rapport de force au Parlement orientera les négociations pour que le parti donne ses consignes de vote. Même si Hédi et Fethi ont une préférence - leur coeur penche pour Marzouki le président sortant -, ils assurent qu'ils iront voter sans hésiter pour le candidat désigné par Ennahda.
L'afflux des candidatures à la présidentielle n'enchante pas Ibtissem, une employée d'une trentaine d'années qui vit dans la Médina : "Où étaient-ils tous ces gens qui se montrent aujourd'hui lorsque l'on avait qu'un seul candidat ? Tout ce qui les intéresse, c'est le fauteuil." Cette ancienne électrice d'Ennahda votera pour Hamma Hammami, le candidat du Front populaire, et pour son parti. "Ennahda m'a déçue, ils ont tout promis et on n'a rien eu. La vie est chère, l'essence a augmenté. Pour l'aïd, on veut acheter un mouton, vu le prix, j'ai l'impression d'acheter une Peugeot !" Son mari qui travaille au jour le jour, comme transporteur avec son touk touk, l'a déjà prévenue : lui ne votera pas. Trois ans après la révolution, il n'a confiance en personne.
"La hantise de l'absentéisme, c'est typique des deuxièmes élections qui suivent une transition démocratique", estime Chafik Sarsar. Le président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) se dit satisfait que près de 70 % des Tunisiens soient enregistrés. Mais il n'a pas d'assurance sur la participation. "Pour les législatives il y a moins de listes qu'en 2011, partis et électeurs sont susceptibles d'un comportement qui évite l'éparpillement des voix. Les partis tentent des coalitions, l'électeur commence à penser en terme de vote utile."
Fin octobre, l'ISIE publiera la liste définitive des candidats à l'élection présidentielle, les candidats rejetés ayant la possibilité de contester le refus de leur candidature devant le tribunal administratif. Reste l'épineux problème des "parrainages falsifiés", un phénomène qu'il juge conséquent : "Nous avons été étonnés du nombre de personnes qui contestent avoir donné leur parrainage. On pense qu'il y a un véritable système de falsification de parrains qui concerne plusieurs partis." Problème : l'ISIE n'est pas compétente pour enquêter et se prononcer sur ces litiges. Des procédures doivent être lancées devant la justice pour faux et usage de faux. Avec la probabilité élevée que l'issue des procès, s'ils sont entamés par les citoyens qui prétendent que leur parrainage a été usurpé, interviennent après les élections et n'entraîne leur invalidation.
 
(01-10-2014 - )

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