Ils étaient 70, ils ne sont plus que 27. 27 candidats qui briguent le
fauteuil de président de la jeune république tunisienne. La pléthore
d'aspirants qui avaient déposé leur dossier à l'Instance supérieure de
supervision des élections avait excédé, inquiété, parfois amusé les
Tunisiens. Ceux-ci sont appelés aux urnes pour la deuxième fois depuis
octobre 2011. Jusqu'à présent ce sont les présidentielles qui ont occupé
le devant de la scène médiatique, alors que le premier tour n'aura lieu
que début décembre. Il faut dire que pour la première fois, les
électeurs choisissent leur président au suffrage universel direct. Le
scrutin a éclipsé les législatives qui pourtant se tiennent le 26
octobre et seront déterminantes
L'examen des parrainages (10 députés ou 10 000 électeurs) a permis
d'éliminer les profils qui avaient fait jaser : comme Adel Almi, ce
prêcheur autoproclamé, avide de médias et lobbyiste de la polygamie ;
Bahri Jelassi, Tunisien expatrié partisan d'abaisser l'âge du mariage
des filles à 13 ans et qui avait promis de construire un pont entre la
Tunisie ou l'Italie ; ou encore Moufida Amdouni qui se vantait d'avoir
plus d'un milliard de fans sur Internet, notamment en Russie, au Japon
et en France...
Exit donc les profils les plus controversés. La liste finale reste
conséquente avec quelques grosses pointures. Moncef Marzouki, le
président sortant ; l'ancien président de l'assemblée, Moustafa Ben
Jaafar ; Béji Caied Essebsi, leader du parti Nidaa Tounès, principal
parti d'opposition à Ennahda. Les anciens du RCD (Rassemblement
constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali) sont aussi bien
représentés : trois candidats ont été ministres plusieurs fois dans les
gouvernements de l'ancien dictateur, et croient en leurs chances. L'un
d'eux, Mondher Zenaidi, de retour d'exil après avoir obtenu un non-lieu
en justice, a été acclamé par une foule vibrante d'émotion à l'aéroport
de Carthage, sans qu'il soit possible de confirmer la spontanéité de ce
comité d'accueil.
Parmi les autres candidats, on peut citer aussi : Kalthoum Kannou, une
magistrate respectée et une des seules femmes en lice ; Mustafa Kamel
Nabli, l'ancien directeur de la banque centrale ; et Mohamed Frikha, le
fondateur de Syphax, une compagnie aérienne créée juste après la
révolution, qui se présente également aux législatives sur une liste
Ennahda.
Pour Hédi, électeur d'Ennahda rencontré à la présentation du programme
du parti islamiste pour les élections législatives, le nombre élevé des
candidatures se justifie : "Il y a une forme de soulagement après des
années de dictature, même mille candidats ne m'auraient pas dérangé,
c'est mieux que de prendre les armes. Se confronter sur les idées, cela
prouve la bonne santé du peuple tunisien." Fethi, pourtant du même bord
politique, est moins enthousiaste : "Ce n'est pas une preuve de bonne
santé, mais de naïveté. On a le droit de rêver après la révolution, mais
président, ce n'est pas donné à tout le monde ! À part Ennahda, tout le
monde cherche à aller à Carthage."
Effectivement, le parti islamiste, arrivé en tête du précédent scrutin
en octobre 2011, a décidé de ne pas présenter de candidat à la
présidentielle, misant tout sur les législatives. Les résultats des
législatives et le rapport de force au Parlement orientera les
négociations pour que le parti donne ses consignes de vote. Même si Hédi
et Fethi ont une préférence - leur coeur penche pour Marzouki le
président sortant -, ils assurent qu'ils iront voter sans hésiter pour
le candidat désigné par Ennahda.
L'afflux des candidatures à la présidentielle n'enchante pas Ibtissem,
une employée d'une trentaine d'années qui vit dans la Médina : "Où
étaient-ils tous ces gens qui se montrent aujourd'hui lorsque l'on avait
qu'un seul candidat ? Tout ce qui les intéresse, c'est le fauteuil."
Cette ancienne électrice d'Ennahda votera pour Hamma Hammami, le
candidat du Front populaire, et pour son parti. "Ennahda m'a déçue, ils
ont tout promis et on n'a rien eu. La vie est chère, l'essence a
augmenté. Pour l'aïd, on veut acheter un mouton, vu le prix, j'ai
l'impression d'acheter une Peugeot !" Son mari qui travaille au jour le
jour, comme transporteur avec son touk touk, l'a déjà prévenue : lui ne
votera pas. Trois ans après la révolution, il n'a confiance en personne.
"La hantise de l'absentéisme, c'est typique des deuxièmes élections qui
suivent une transition démocratique", estime Chafik Sarsar. Le président
de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) se dit
satisfait que près de 70 % des Tunisiens soient enregistrés. Mais il n'a
pas d'assurance sur la participation. "Pour les législatives il y a
moins de listes qu'en 2011, partis et électeurs sont susceptibles d'un
comportement qui évite l'éparpillement des voix. Les partis tentent des
coalitions, l'électeur commence à penser en terme de vote utile."
Fin octobre, l'ISIE publiera la liste définitive des candidats à
l'élection présidentielle, les candidats rejetés ayant la possibilité de
contester le refus de leur candidature devant le tribunal
administratif. Reste l'épineux problème des "parrainages falsifiés", un
phénomène qu'il juge conséquent : "Nous avons été étonnés du nombre de
personnes qui contestent avoir donné leur parrainage. On pense qu'il y a
un véritable système de falsification de parrains qui concerne
plusieurs partis." Problème : l'ISIE n'est pas compétente pour enquêter
et se prononcer sur ces litiges. Des procédures doivent être lancées
devant la justice pour faux et usage de faux. Avec la probabilité élevée
que l'issue des procès, s'ils sont entamés par les citoyens qui
prétendent que leur parrainage a été usurpé, interviennent après les
élections et n'entraîne leur invalidation.
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