Une nouvelle guerre de Libye se prépare dans les états-majors européens
alors qu'un rapport américain vient de révéler que le nombre des
djihadistes qui ont rejoint Daech en Libye aurait doublé. Ils seraient 5
000, dont 50 % d'étrangers. Parallèlement, le nombre des combattants en
Irak et en Syrie, estimé à 30 000 il y a 6 mois, serait retombé entre
19 000 et 25 000. Certes, les bombardements de la coalition
internationale ont fait de nombreuses victimes parmi les djihadistes au
Moyen-Orient. Mais ils les ont surtout poussés à fuir dans les pays
voisins et pour certains, à se replier dans leur nouvelle terre de
djihad : la Libye. Telle est la stratégie de l'émir de Daech, Abou Bakr
al-Baghdadi.
Le repli a commencé en 2014. Les djihadistes se sont d'abord installés
en Cyrénaïque, autour de Benghazi et de Derna, dans l'est du pays. C'est
à Derna qu'en juin 2015, des islamistes locaux les chassent par les
armes. Refluant vers l'ouest, ils font de Syrte, la région natale de
Muammar Kadhafi, sur la côte méditerranéenne, leur nouveau fief. Ils y
occupent une bande littorale d'environ 250 kilomètres de long, tentent
de s'étendre vers l'Est, en direction des sites d'exportation du
pétrole, et lancent des tentacules vers le Sud.
Un journaliste mauritanien d'Al Akbar, journal qui a sorti des scoops
sur les djihadistes du Sahel, rapporte que dans un enregistrement
récent, al-Baghdadi, l'émir de l'État islamique, aurait rappelé
l'intérêt qu'il porte à la Libye où il a envoyé un de ses chefs
militaires irakien pour superviser l'installation et la gestion de son «
émirat occidental ».
L'absence d'État, une aubaine pour l'EI !
La Libye présente trois grands avantages pour Daech. Le premier :
l'absence d'État permet à l'EI de s'installer sans rencontrer de vraie
résistance, voire de nouer des alliances dans un territoire qui compte
deux gouvernements, deux Parlements, trois régions antagonistes, de
nombreuses milices, de grandes tribus et de multiples partis. Le
deuxième : le sous-sol est riche d'un pétrole convoité par l'émir de
l'État islamique. Il lui faut reconstituer ses réserves financières qui
ont décru avec la chute des cours du brut, les bombardements en Irak et
en Syrie, de puits de pétrole, de convois de camions transportant l'or
noir et même d'une banque de l'EI à Mossoul. Un document publié par le «
Trésor » (le fisc de l'EI) révèle que Daech a divisé de moitié (de 400 à
200 dollars mensuels) les soldes des combattants.
Troisième avantage pour l'EI : en bordure du Sahel, la Libye doit
permettre à al-Bagdhadi de s'étendre en direction de l'Afrique de
l'Ouest et de tenter de faire la jonction avec Boko Haram, ce groupe de
fanatiques nigérians qui lui a fait allégeance et sème la terreur au
Nigeria, dans la région du lac Tchad, au sud du Niger et au nord du
Cameroun.
La situation est d'autant plus inquiétante, que les aspirants
djihadistes affluent vers Syrte. On y compterait entre 1 000 et 1 500
Tunisiens, des Soudanais, des Marocains, des Algériens et même une
trentaine de Sénégalais… La semaine passée, Air Algérie a interrompu la
liaison Alger-Tripoli, en constatant le nombre anormalement élevé de
jeunes Marocains en transit à Alger. Depuis, 32 Algériens, membres d'un
réseau recrutant pour la Libye dans la région de Tébessa (est de
l'Algérie), ont été arrêtés. Alger a aussi permis l'arrestation de trois
Algériens en Allemagne. Quant aux djihadistes de Syrte, ils ont même
lancé un appel aux shebab somaliens pour qu'ils abandonnent Al-Qaïda et
se rallient à l'EI.
Les côtes libyennes sont à 1 000 kilomètres de Rome
Que faire devant cette situation ? Jean-Yves Le Drian tire la sonnette
d'alarme depuis de longs mois, estimant qu'une intervention est
inévitable – et souhaitable. Les côtes libyennes sont à 1 000 kilomètres
de Rome. Le Sahel est déjà largement déstabilisé par Aqmi (Al-Qaïda au
Maghreb islamique). Et la terrible rivalité entre les deux organisations
(Daech et Al-Qaïda) présage de dures batailles entre leurs combattants
et un risque de surenchère dans la violence et les attentats.
Mais l'armée française est déjà sur de nombreux fronts en Afrique, sans
parler de sa participation active à la coalition internationale en Irak
et en Syrie. Elle n'a plus guère de marge de manœuvre. Paris ne souhaite
donc pas prendre la tête d'une intervention militaire en Libye. La
France dispose avec Barkane, son dispositif au Sahel, d'une base
militaire – à Madama – entre autres, dans le nord du Niger. Elle
pourrait servir de point d'appui, en particulier contre les djihadistes
qui songeraient à fuir la Libye ou ceux liés à Al-Qaïda qui sont
regroupés dans le Sud libyen, prés de Ghat, à la frontière algérienne.
Concrètement, quelques éléments des forces spéciales des pays
occidentaux sont sur le terrain depuis plusieurs mois pour des actions
de renseignements, des repérages, des prises de contact avec certaines
milices.
Pourtant, si les états-majors britannique, italien, américain et
français préparent une intervention militaire qui consisterait en
bombardements aériens de Daech, comme en Irak et en Syrie, celle-ci
n'est pas sans risque. Une certitude : mettre des troupes au sol
tournerait à la catastrophe.
Une intervention occidentale peut déboucher sur une guerre civile
Premier risque : dans ce pays si fractionné, une intervention
occidentale sera rapidement considérée comme une ingérence étrangère.
Elle peut accroître la violence et déboucher sur une guerre civile. Les
Européens le savent qui se souviennent que l'intervention de 2011 contre
Kadhafi a mené à la déstabilisation de la Libye et la fragilisation du
Sahel. Aussi, réunis à Rome, le 2 février, les 23 ministres des Affaires
étrangères de la coalition contre le terrorisme se sont-ils gardés
d'annoncer une décision. Leur souci : ne pas se lancer dans une
intervention unilatérale et attendre qu'un futur gouvernement libyen
légitime d'union nationale les appelle à l'aide. Ce n'est pas le plus
facile.
Deuxième risque : la dispersion des djihadistes. Les bombardements au
Moyen-Orient ont conduit au renforcement de Daech en Libye. Ceux de
Libye, déboucheront sur la dissémination des djihadistes à l'intérieur
du pays, au Maghreb, au Sahel et jusqu'en Afrique de l'Ouest. C'est le
piège tendu par al-Baghdadi. Il n'y a, dans cette affaire, que de
mauvaises solutions.
(05-02-2016 - Mireille Duteil)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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