Annoncé en 2011 au lendemain des Printemps arabes et présenté comme l'un
des derniers chantiers du président Abdelaziz Bouteflika, le texte
final de la nouvelle Constitution algérienne aura nécessité quatre ans.
Il a été approuvé le 11 janvier dernier en conseil des ministres, avant
d'être présenté devant le Parlement ce dimanche 7 février. Depuis
plusieurs semaines déjà, le débat fait rage dans la presse nationale sur
le contenu de la révision constitutionnelle. En jeu : les articles 51
et 73 présentés par les autorités comme majeurs dans l'accélération de
la démocratisation du pays. L'opposition voit globalement dans ce
nouveau texte un « alibi » permettant le maintien des pouvoirs entre les
mains du chef de l'État. Seule l'officialisation de la langue amazighe
reçoit l'unanimité de l'opinion publique.
Un tournant historique
« La démocratisation de la vie politique », c'est le principal argument
qui est repris par le pouvoir algérien. Le chef de l'État Bouteflika a
transmis, par la voix du président du Parlement Abdelkader Bensalah, un
message dans lequel il décrit l'adoption du texte de la Constitution
comme une avancée majeure et historique pour son pays : « L'édifice
constitutionnel que nous nous sommes engagés à rénover ensemble, sous la
dictée des exigences de notre société et des valeurs universelles, et
auquel j'avais appelé à maintes reprises et à différentes occasions,
doit être à la hauteur des ambitions de notre nation, une nation digne
et sereine, fidèle à ses racines et ouverte à la modernité », peut-on
lire dans le texte du président algérien. Pour L'Expression, l'analyse
est toute faite : « En fait, dans l'environnement géopolitique
afro-arabe, on s'attend à ce que cette Constitution fasse date et
inspire beaucoup de pays sur la voie de la démocratisation. Comme la
réconciliation nationale, la nouvelle Constitution peut être considérée
comme une autre oeuvre historique de l'Algérie indépendante. » Le
quotidien national El-Moudjahid fournit un éclairage du journaliste
Mohamed Koursi qui affirme que ce jour « historique sera consigné dans
les manuels scolaires pour que les générations futures sachent comment
leurs aînés ont gravé dans le marbre leurs choix de vie, leurs
convictions dans ce monde dans lequel ils ont décidé de vivre, leur
façon d'être acteurs et non pas sujets de l'histoire, les leçons qu'ils
ont tirées de leur origine, des épreuves qu'ils ont traversées pour être
ce qu'ils sont aujourd'hui. »
Et maintenant ?
Un avis et une analyse pas forcément partagés par d'autres médias
algériens. Pour beaucoup d'entre eux, l'heure est déjà à l'après, comme
El Watan qui pose franchement la question « Bouteflika change sa
Constitution : Et maintenant ? ». Dans ce texte, le journal fait un
rappel historique sur le fait que le président Bouteflika en est à sa
troisième Constitution en seize ans de pouvoir. Il note également que,
si le projet a été adopté à sa grande majorité, c'est grâce d'abord à un
calcul arithmétique. « En effet, sur les 606 parlementaires (462
députés et 144 sénateurs), seulement une centaine ne cautionnera pas
cette démarche. Les promoteurs de ce projet sont déjà certains d'avoir
largement les trois quarts des voix nécessaires pour avaliser et
promulguer la nouvelle Constitution. Sur le plan arithmétique, les voix
de la majorité (FLN-RND) suffisent pour faire passer ce texte »,
souligne l'article. Avant d'aligner une suite d'interrogations sur le
devenir de la nouvelle Constitution. « Que faire maintenant ? Le pouvoir
va-t-il organiser de nouvelles joutes électorales pour réduire
l'ampleur de la contestation à laquelle il fait face ? Ira-t-il jusqu'à
dissoudre l'APN dans laquelle il détient la majorité ? Le gouvernement
déposera-t-il sa démission ? » Sur Twitter, Actualité 24 rappelle le
boycott de l'opposition.
Des questions qui n'ont pas encore trouvé de réponses. Alors que la
principale inconnue reste ce que le pouvoir en place va faire maintenant
qu'il a obtenu le vote. Ainsi, le journaliste Azzeddine Bensouiah
s'interroge sur l'avenir du gouvernement « La Constitution révisée
prévoit, en effet, que le chef de l'État désigne le Premier ministre,
après avoir consulté la majorité parlementaire. Mais elle n'oblige pas
l'actuel Premier ministre à soumettre la démission de son gouvernement.
Toutefois, les usages voudraient que l'actuel exécutif démissionne afin
de permettre au président de la République de désigner un gouvernement
en phase avec les nouvelles donnes. Une démission qui pourrait n'être
qu'une simple formalité pour sauver les apparences et donner
l'impression que quelque chose aurait changé, puisque le chef de l'État
pourrait reconduire le Premier ministre et même la majorité de son
équipe. C'est, d'ailleurs, le scénario le plus plausible, dans la mesure
où Abdelmalek Sellal fait convenablement ce qu'on lui demande et, qui
plus est, fait partie du FLN, dont le patron n'a eu de cesse de réclamer
le droit de son parti, majoritaire au Parlement, que le Premier
ministre soit issu de ses rangs », écrit-il pour Liberté. On comprend
donc que les changements, s'ils ont lieu dans un premier temps, le
seront essentiellement d'un point de vue formel. En attendant, ce ne
sont pas les polémiques et rumeurs qui manquent à la lecture de la
presse algérienne. Pour aller plus loin, certains médias, comme Beur tv,
ont choisi de décrypter cette période en plusieurs étapes avec des
émissions dédiées, telle Abdou sans tabou, l'émission préparée par le
rédacteur en chef d'Algérie Focus Abdou Semmar.
La diaspora monte au créneau
Si la presse interroge l'avenir, les polémiques concernant l'article 51
interdisant aux Algériens ayant une autre nationalité l'accès aux hauts
postes dans la fonction publique ne sont pas près de s'éteindre. Surtout
au regard des discussions houleuses qui ont cours en France concernant
la déchéance de la nationalité. Un débat qui fait écho en Algérie
d'autant plus qu'il y a près de sept millions de Franco-Algériens. Les
politiques sont rapidement montés au créneau. L'opposant Djamel Zenati
juge dans une tribune publiée par le quotidien El Watan qu'« avec la
présente révision la Constitution de notre pays réunit enfin les
principaux matériaux nécessaires à la construction démocratique ». Il va
même plus loin quelques lignes après en affirmant que « le viol de la
loi est devenu la loi » et que cela « n'incite guère à accorder un
soupçon de sincérité ». Plus critique, l'ancien Premier ministre Ali
Benflis, deux fois adversaire malheureux de Bouteflika, a dénoncé un «
coup de force constitutionnel » pour « régler les seuls problèmes du
régime politique en place et non ceux du pays ». Il doit publier un
livre blanc, mardi 9 février, sur les dessous de la nouvelle
Constitution, a-t-il déclaré dimanche. Pour Le Quotidien d'Orient, « si
l'article 51 du projet de révision constitutionnelle exigeant la
nationalité algérienne exclusive pour l'accès aux hautes responsabilités
de l'État continue de faire polémique sur la scène politique et au sein
des partis de l'opposition, son application est apparemment effective
avant même l'adoption du projet au Parlement, prévue aujourd'hui »,
écrit Mokhtaria Bensaâd, qui révèle des informations selon lesquelles «
certains ministres et parlementaires ayant la double nationalité ont
déjà renoncé à leur nationalité étrangère pour préserver leurs postes ».
« D'autres, et ils sont nombreux, comptent le faire dans les prochains
jours. » Selon Dine Bendjebara, ex-membre du Conseil constitutionnel et
actuellement membre de la Conférence des institutions constitutionnelles
africaines, rencontré au regroupement régional de la jeunesse organisé
au cinéma Maghreb par le RND sur le projet de la révision
constitutionnelle, « des personnalités qui occupent actuellement de
hauts postes de responsabilité comme des ministres et des parlementaires
ont renoncé à leur double nationalité pour ne préserver que la
nationalité algérienne et maintenir ainsi leur poste de responsabilité
». Le site Tout sur l'Algérie fait clairement le parallèle avec les
débats qui prévalent en France sur la déchéance de nationalité et crie à
l'injustice. Plus tôt dans la journée, c'est la députée des Algériens
de l'extérieur, Chafia Mentalecheta, qui a réagi sur son compte
Facebook, tout en étant critique vis-à-vis des partis politiques : « Ils
l'ont fait. Quant au Parti des travailleurs, comme d'hab, un pied
dedans, un pied dehors. Dans les deux cas, ils auront validé la
machinerie par leur présence. »
(08-02-2016 - Par Viviane Forson)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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