Un pays émietté, clanifié, une armurerie à ciel ouvert. Et des civils
qui subissent. Au nord, la Tripolitaine et la Cyrénaïque s'affrontent
par gouvernements, parlements et milices interposés. Au sud, des tribus
qui dealent, commercent avec les trafiquants du Sahel, les combattants
de toutes obédiences. Et les Touareg et les Toubou, deux des plus
importantes tribus, s'entretuent à intervalles réguliers dans la région
d'Oubari. Venu du Borno, dans le nord-est du Nigeria, Boko Haram (une
secte djihadiste qui a fait allégeance à Daech) multiplie les attentats
dans les pays voisins (Cameroun, Tchad). Sous le sable libyen, l'or noir
et le gaz devraient assurer prospérité et avenir radieux à une
population d'à peine six millions d'habitants. Malgré les plus vastes
réserves en Afrique (entre 44 et 46 milliards de barils), les neuvièmes
au monde, la Libye de 2016 frôle le dépôt de bilan. Une tragédie sociale
pour ses ressortissants.
La jeune génération privée d'éducation
Les plus jeunes sont les premières victimes des multiples conflits. La
Banque mondiale estime que deux millions d'enfants ne sont pas
scolarisés. Si ce chiffre est le même pour la Syrie, cela représente un
tiers de la population libyenne. La Syrie de 2016 compte 16,6 millions
d'habitants (contre 22 en 2013) contre six millions pour le territoire
libyen. La moyenne d'âge est de 28 ans contre 31 pour la Tunisie. Seule
l'Égypte a une population plus jeune : 25 ans d'âge médian. Kadhafi
avait usé des pétrodollars aux seuls intérêts de sa personne, de son
clan et de ses alliés, lui garantissant sa survie à la tête du pays. Le
despote ne souhaitait pas une jeunesse éduquée, ayant l'esprit critique.
Désormais, ravagé par les divisions et la violence, le pays est à
l'arrêt. Son système scolaire, également. Cela aura des conséquences à
moyen et long terme pour cette génération.
La Banque mondiale sonne le glas
Dans un rapport consacré aux « effets économiques de la guerre et de la
paix », la division MENA (Middle East, North Africa) de l'institution
issue des accords de Bretton Woods analyse le coût des conflits, l'atout
démocratique pour la croissance économique des nations. La Libye, avec
l'Irak, le Yémen et la Syrie, fait partie du « quatuor enlisé dans des
guerres civiles » sans perspectives de paix à court terme. « La Libye se
distingue avec un déficit public dépassant 55,2 % du PIB », soulignent
les experts. Les hydrocarbures représentent 95 % des exportations et des
revenus de l'État. État qui n'existe plus dans la réalité. Deux
terminaux pétroliers représentant 50 % des exportations de brut sont à
l'arrêt. Et, sans les dollars de cette matière première, le pays ne peut
plus acheter les produits de consommation courante. La contrebande
flambe. Les Nations unies estiment que 2,44 millions de Libyens ont
besoin d'une assistance humanitaire.
Hydrocarbures : 95 % des recettes de l'État
La surabondance de l'offre en pétrole voulu par les Saoudiens et que
l'Opep semble incapable de juguler a fait chuter le cours du pétrole.
L'Iran, le 15 février, effectue ses premières livraisons en Europe.
Quelque quatre millions de barils voguent vers la Roumanie, l'Espagne...
L'offre de la NOC, la compagnie nationale libyenne, monte en temps de
paix, au minimum, à 1,8 million de barils par jour. Aujourd'hui, 440 000
barils représentent la production journalière. Daech, qui a fait, avec
la complicité de certains kadhafistes, de Syrte et alentour son fief,
menace le croissant pétrolier. Depuis janvier, les attaques contre les
champs pétroliers se sont multipliées. Pour autant, la destination Libye
demeure très prisée des géants du pétrole. L'ENI a découvert en 2015
deux importants gisements off shore (Bahr Essalam South, 50 millions de
mètres cubes par jour, Bouri North, 3 000 barils par jour). 80 % du gaz
utilisé en Italie provient de la Libye.
(16-02-2016 - Benoît Delmas)
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