Si la lutte pour le sanctuaire d’Al-Aqsa est perçue en Occident comme
une cause alimentée par un Islam fanatique, les Palestiniens la
perçoivent comme une bataille parmi d’autres dans leur lutte contre une
occupation coloniale et ses injustices et violations incessantes des
droits humains fondamentaux.
Il est indéniable que beaucoup d’entre nous considèrent Al Aqsa comme
sainte et sacrée, même si le Président palestinien considère comme
sacrée la coordination de la sécurité avec Israël ! Mais même ces
Palestiniens qui ne voient pas en Al Aqsa un lieu saint le considèrent
comme un magnifique monument historique national, qui leur fournit des
souvenirs de ces pique-niques auxquels nous avions l’habitude de
participer avec nos grands-mères quand nous étions jeunes, et comme un
immense atout pour les enfants qui autrement seraient privés d’un
endroit pour jouer. Le sanctuaire d’Al Aqsa continue d’être un foyer, un
lieu d’attachement chaleureux, et un sanctuaire psychologique pour les
Palestiniens – qu’ils soient ou non musulmans pratiquants –, contraints
de vivre sous un système d’apartheid qui fait d’eux des étrangers dans
leur propre ville.
Au beau milieu de cette lutte pour préserver l’identité de la mosquée et
du sanctuaire comme musulmane et arabe-palestinienne, les Palestiniens
se trouvent de plus en plus isolés des régimes et institutions arabes et
musulmans défaillants de toute la région. Le Président égyptien vient
de rouvrir l’ambassade israélienne en Égypte et il a appelé, depuis la
tribune des Nations-Unies, à l’expansion de l’accord de paix égyptien
avec Israël en y intégrant les autres pays arabes.
Les modifications israéliennes du statut d’Al Aqsa incluent l’imposition
d’heures de visite séparées pour les musulmans et pour les juifs, et
l’expansion des travaux d’excavation secrets sous la mosquée. Ces
modifications interviennent en violation de l’accord de paix de 1994
entre les autorités jordaniennes et israéliennes donnant aux premières
le contrôle sur le sanctuaire, parmi d’autres sites islamiques ; la
réticence jordanienne à réagir face à ces violations n’est qu’une
invitation à Israël à s’approprier le site. Israël viole déjà, et le
droit international, et les sept résolutions du Conseil de sécurité des
Nations unies qui condamnent la tentative d’Israël d'annexer
Jérusalem-Est – notamment les Résolutions 478 et 476 qui dénoncent la
proclamation, par Israël, de Jérusalem comme sa capitale éternelle et
indivisible.
Ce ne sont plus seulement les extrémistes israéliens qui poussent à
l’appropriation du sanctuaire et de l’enceinte de la mosquée. Les
déclarations sur la démolition des sites islamiques en tant que sites
païens, et sur la reconstruction du Mont du Temple en leur lieu et
place, ne sont plus un discours chez les jusqu’au-boutistes uniquement.
Des ministres et des membres de la Knesset, tels que le ministre de la
Sécurité intérieure Gilad Erdan, le ministre de l’Agriculture Uri Ariel,
et la membre de la Knesset Miri Regev, exigent maintenant de changer le
statu quo afin de permettre aux juifs de venir prier dans le
sanctuaire. Tsypi Hotovely, autre membre de la Knesset, qui a marqué son
dernier jour de femme célibataire par une visite au sanctuaire, a pris
une photo devant le Dôme du Rocher, se référant à lui comme au « site le
plus sacré du judaïsme ». Moshe Feiglin, vice-président du parlement
israélien, du parti Likoud, a déclaré il y a un an : « Je ne demande pas
l’égalité au Mont du Temple ; il n’y a aucune égalité – il est à nous,
et à nous seuls ». En outre, le mouvement religieux qui se développe
rapidement profite du soutien israélien, gouvernemental, politique et
financier – de même que du soutien des forces militaires israéliennes.
Pendant ce temps, les autorités israéliennes font tout ce qu’elles
peuvent pour interdire aux organisations et institutions palestiniennes
musulmanes, tels le Murabiteen, le Murabitat et le mouvement islamique
en Israël, toute action juridique et pacifique pour protéger l’identité
musulmane du site.
Les craintes des Palestiniens à propos de la mosquée ne sont pas
déconnectées de la réalité. En 1967, dans les deux premiers jours de
l’occupation de Jérusalem-Est, l’armée israélienne a entrepris
précipitamment la démolition du quartier palestinien appelé Quartier
marocain, dans la Vieille Ville, et celle de la mosquée Sheikh Eid, qui
avait été construite sur l’École Afdalieh, l’une des plus anciennes
écoles islamiques. Tout cela a été détruit pour ouvrir l’espace pour la
place du Mur des Lamentations. Plus de cent familles palestiniennes ont
reçu l’ordre de quitter leurs maisons, et celles qui ont refusé ont été
ensevelies sous leurs propres maisons quand les bulldozers ont rasé le
quartier.
En 1994, la déclaration sur l’importance juive revendiquée pour la
mosquée Ibrahimi a provoqué un massacre de fidèles palestiniens et une
division spatiale de la mosquée. Peu après, les autorités israéliennes
ont fermé 520 entreprises autour de la Vieille Ville et fermé aux
Palestiniens la principale route qui traverse la ville afin de sécuriser
un passage par un usage exclusif pour la population juive.
Les craintes des Palestiniens se fondent sur l’expansion juive rapide
dans la ville, la construction de petits commerces et du « Musée de la
Tolérance » sur le cimetière islamique historique de Mamanullah,
l’appropriation de maisons à Silwan et Sheikh Jarrah, et la réalisation
du tramway et des téléphériques sur la terre palestinienne afin de
rendre plus accessible la Vieille Ville de Jérusalem aux colons. Pendant
ce temps, les Palestiniens sont traités comme des résidents temporaires
dans la ville de leurs grands-parents, et punis pour leur lien
biologique avec tous ceux qui défient l’occupation par la démolition de
leurs maisons et la privation de leurs cartes de résidence.
Les sentiments pandémiques de l’islamophobie ont fait que la communauté
internationale – qui a décriée bruyamment la destruction de ruines et de
temples antiques par les Talibans et ISIS – que cette communauté
internationale est devenue sourde et muette devant les destructions
israéliennes.
Les autorités israéliennes offrent librement leur concours aux groupes
religieux et aux bandes de colons pour qu’ils s’approprient tout
Jérusalem, en refusant aux Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande
de Gaza occupées l’accès à la ville et à ses lieux saints. Même les
habitants palestiniens de Jérusalem-Est sont séparés par des
restrictions sur le sexe et l’âge quand ils souhaitent entrer à la
mosquée et ils sont contraints de laisser leurs papiers d’identité à la
porte, pour les récupérer un moment plus tard à un poste de police.
Israël a fait tout ce qu’il a pu pour briser le lien spirituel et
émotionnel des Palestiniens avec Jérusalem. Mais leur politique a
conduit à l’effet inverse. La lutte pour la mosquée qui s’est engagée
dans chaque ville, chaque commune et chaque village de la Palestine,
démontre aujourd’hui que nous sommes conscients qu’il ne s’agit pas
seulement de culte ou de religion, mais qu’il s’agit aussi de résister à
une occupation illégale qui resserre son emprise sur Jérusalem-Est, qui
s’empare de ce qui est le plus précieux pour tous les Palestiniens,
qu'ils soient chrétiens ou musulmans.
Samah Jabr
Mardi, 13 octobre 2015
Samah Jabr est jérusalémite. Elle est psychiatre et psychothérapeute et exerce en Palestine occupée.
Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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