Latifa ne comprend pas comment son frère, pieux mais "modéré", a pu
rejoindre les rangs de jihadistes en Syrie comme des centaines d'autres
Tunisiens. Un phénomène qui inquiète en Tunisie, ces vétérans aguerris
pouvant représenter une menace à leur retour au pays.
"Nous étions sous le choc quand nous avons appris le départ de mon frère
en Syrie. Il était modéré, il aimait bien la vie", raconte à l'AFP
Latifa Gasmi, la soeur de Salim, tué en avril alors qu'il combattait
dans les rangs du Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda.
Incrédule, elle explique que Salim, 29 ans, employé chez un commerçant
en Libye, a rejoint les forces du groupe État islamique (EI) dans un
camp à Deir Ezzor, à 450 km de Damas.
"Au cours de ses brefs appels, on a appris qu'il avait été arrêté en
décembre 2013 par les combattants du Front al-Nosra qui l'avaient
ensuite enrôlé", ajoute Latifa.
"Lors d'une connexion sur Skype, Salim était méconnaissable. Il avait
énormément maigri, ses yeux ne brillaient plus. Il pleurait en disant
qu'il ne pourrait plus rentrer au pays", dit-elle. Peu après, la famille
apprend sa mort au combat.
Le sort de Salim est loin d'être une exception: selon des experts, la
Tunisie fournirait le plus gros contingent d'étrangers sur le théâtre
syrien, avec de 2.400 à 3.000 combattants. Tunis assure aussi avoir
empêché le départ de 9.000 personnes, une donnée invérifiable.
Le phénomène n'est pas pour autant nouveau. Dès le début des années
2000, ils étaient en effet nombreux à rejoindre l'Afghanistan, puis
l'Irak. Le fait d'armes le plus célèbre de ces Tunisiens reste
l'assassinat, deux jours avant le 11 septembre 2001, du chef de la
résistance anti-taliban, le commandant Massoud.
Mais depuis la révolution de janvier 2011, la tendance s'est accentuée,
selon des analystes. Car les mouvements jihadistes durement réprimés
sous Ben Ali ont profité d'une situation politique chaotique et dominée
par les islamistes d'Ennahda pour prêcher librement.
Ces groupes ont alors pu recruter parmi les jeunes qui "ont perdu
confiance en l'élite politique" et "ne croient pas en une transition
démocratique", relève l'analyste Slaheddine Jourchi.
Ces
"groupes salafistes jihadistes ont fait le choix stratégique d'envoyer
des jeunes en Syrie pour les préparer et former ainsi des cadres qui
seront prêts pour un éventuel combat en Tunisie", assure-t-il.
Mohamed Iqbal Ben Rejeb, président de l'"Association de sauvetage des
Tunisiens bloqués à l'étranger", note que le phénomène est d'autant plus
inquiétant que les combattants recrutés ne sont pas uniquement des
désoeuvrés.
"L'âge des combattants tunisiens en Syrie varie entre 18 et 27 ans. La
plupart sont des élèves ou des étudiants mais il y a aussi des
fonctionnaires et ils appartiennent à toutes les classes sociales",
relève M. Ben Rejeb, dont le frère, un handicapé de 24 ans, a fait un
bref passage en Syrie aux côtés des jihadistes en 2013.
"Mon frère, étudiant en informatique, a été manipulé via internet et par
les prêches de membres d'Ansar Asharia (une organisation classée
"terroriste" par les autorités) à la mosquée. Ils lui ont fait croire
qu'il était un génie de l'informatique", explique-t-il.
"Hamza n'est pas un génie, ces terroristes voulaient juste l'attirer
pour l'exploiter dans des attentats suicide", assure-t-il encore.
Les autorités ne sont guère bavardes sur le sujet même si le
porte-parole du gouvernement tunisien, Nidhal Ouerfelli, considère le
retour de ces jihadistes en Tunisie comme "la deuxième plus grosse
menace aujourd'hui après la situation instable en Libye" voisine.
Interrogé par l'AFP, le ministère de l'Intérieur n'a pas voulu détailler
sa stratégie en la matière: "Il n'y a que le bâton pour ces gens-là. On
ne veut pas de leur retour en Tunisie", lâche simplement Mohamed Ali
Aroui, son porte-parole.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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