Il y a un an jour pour jour, Bachar el-Assad est au bord du gouffre.
Avec le massacre chimique de la Ghouta, qui a tué fin août 2013
plusieurs centaines de civils dans un quartier rebelle de la banlieue de
Damas, la "ligne rouge" définie par Barack Obama vient d’être
transgressée. Les navires-destroyers américains se positionnent en
Méditerranée. Pourtant, Barack Obama ne veut plus s’engager dans aucune
guerre au Moyen-Orient. À la faveur d’un rocambolesque accord
américano-russe de dernière minute sur le démantèlement de l’arsenal
chimique syrien, le président américain réussit à garder la face et
sauve par là même la tête de Bachar el-Assad. Un an plus tard, le
président américain pourrait finalement bombarder la Syrie. Mais pas le
régime syrien.
D’après le Wall Street Journal, les États-Unis étudieraient
sérieusement le lancement de frappes contre les positions de l’État
islamique (EI) en Syrie. À en croire le quotidien américain, Washington
serait d’ailleurs sur le point d’envoyer des avions-espions et des
drones au-dessus du pays pour y repérer les djihadistes, afin de
préparer le terrain à une attaque. Une information confirmée lundi à
l’AFP par un haut responsable américain. L’EI est "plus sophistiqué et
mieux financé que tout autre groupe que nous ayons connu. Il va au-delà
de tout autre groupe terroriste", a déclaré jeudi le secrétaire à la
Défense Chuck Hagel, deux jours après l’effroyable assassinat du
journaliste américain James Foley par un de ces djihadistes, qui a
scandalisé le monde entier. De quoi faire passer au second plan les
barils de TNT lancés quotidiennement par l’armée syrienne contre les
quartiers rebelles d’Alep, tuant nombre de civils.
Comment l’État islamique a-t-il réussi à devenir l’ennemi numéro un
des États-Unis, alors que ce groupe était encore relativement peu connu
il y a à peine un an ? Apparu sur le théâtre syrien en avril 2013,
l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL, ex-nom de l’EI),
anciennement al-Qaida en Irak, trouve un second souffle dans la lutte
contre Bachar el-Assad. Composée en majorité de milliers de djihadistes
étrangers aguerris, l’organisation se démarque rapidement du reste de la
rébellion par ses méthodes radicales.
Sur le terrain, l’EIIL - qui souhaite rétablir le califat d’Irak au
Liban - administre chaque territoire conquis. Et y exerce une stricte
application de la charia, terrorisant les populations locales avec ses
crucifixions et autres décapitations. Sa force, il la doit à la
détermination de ses combattants, n’hésitant pas à se sacrifier dans des
opérations suicides. Mais aussi à sa richesse : des fonds privés en
provenance du Golfe, les puits de pétrole qu’il a conquis dans l’est de
la Syrie, les impôts récoltés sur la population, et les trésors de
guerre pillés sur le terrain. Aujourd’hui, l’EIIL contrôlerait près d’un
tiers du pays (provinces du nord et de l’est).
Conscients du danger pesant sur leur révolution, les rebelles
islamistes modérés s’unissent en janvier 2014 contre ce nouveau
"monstre" djihadiste. Mais bien moins armés, et contraints de se battre
sur deux fronts, ils ne parviennent pas à en venir à bout. D’autant que
les djihadistes demeurent relativement épargnés par le régime syrien. Il
existe "une alliance objective entre Bachar el-Assad et les
terroristes", dira Laurent Fabius en janvier 2014. "C’est le revers et
l’avers d’une même médaille."
Depuis le début de la révolution en mars 2011, le président syrien
met tout en oeuvre pour réaliser sa prophétie selon laquelle ses
opposants - tout d’abord pacifiques - ne sont que des "terroristes". Il a
notamment libéré de prison, en mai 2011, des centaines d’islamistes,
venus alimenter les rangs djihadistes. Profitant de l’affaiblissement de
la rébellion modérée, Bachar el-Assad reprend l’avantage sur le
terrain. Aidé des combattants du Hezbollah et des milices chiites
irakiennes, il achève en mai la reconquête des principales villes de la
région montagneuse de Qalamoun, coupant l’opposition de son arrière-base
libanaise. Or, le fief de l’EIIL à Raqa (nord) reste, lui, toujours à
l’abri des bombardements.
Ultime bras d’honneur à ses détracteurs, le maître de Damas s’offre
en juin une élection triomphale à la présidence d’un pays détruit et
ensanglanté (190 000 morts en plus de trois ans selon l’ONU), face à des
candidats factices. Qu’importe, l’Occident a déjà les yeux rivés
ailleurs. Depuis son large territoire conquis à l’est de la Syrie,
l’EIIL lance le 9 juin une vaste offensive à l’ouest de l’Irak, mettant
en déroute une armée irakienne déliquescente. Surfant sur la frustration
de la minorité sunnite irakienne marginalisée par le Premier ministre
chiite Nouri al-Maliki, l’EIIL, devenu l’État islamique, proclame en
juillet un "califat" à cheval entre la Syrie et l’Irak. Infligeant de
nombreuses exactions aux minorités chrétiennes et yazidis, les
djihadistes provoquent la fuite de dizaines de milliers d’entre eux vers
la région autonome du Kurdistan.
Autrement plus ému par cette crise humanitaire que par la guerre
civile syrienne, l’Occident redoute avant tout que les nombreux
combattants étrangers de l’EI commettent des attentats de retour au
pays. Ainsi, Barack Obama ne va pas hésiter longtemps avant de bombarder
le 8 août les positions djihadistes en Irak, et de livrer des armes aux
combattants kurdes peshmergas. Au grand dam de l’opposition syrienne,
qui en réclame depuis deux ans. Celle-ci a beau rappeler que l’EI n’est
que le fruit du régime syrien, conséquence directe de l’inaction
occidentale en Syrie, il est déjà trop tard.
François Hollande l’avoue lui-même au Monde le 20 août dernier. En
Syrie, le "choix terrible" se situe désormais entre Bachar el-Assad et
les djihadistes. Or, à ce jeu-là, l’Occident préfère la dictature
sanglante au chaos terroriste. Le président syrien voit exaucée sa
volonté d’apparaître comme un rempart contre le terrorisme, d’autant
qu’au même moment, Barack Obama se félicite de l’élimination des
dernières armes chimiques syriennes livrées par Bachar el-Assad.
"Nous ne considérons pas que nous sommes du même côté simplement
parce qu’il y a un ennemi commun", a tenté d’expliquer lundi Jennifer
Psaki, porte-parole du département d’État. Mais comme un symbole, au
lendemain des bombardements américains, Bachar el-Assad a finalement
lancé ses premières frappes contre l’EI à Raqa, qui s’est emparé lundi
du dernier bastion du régime dans cette province septentrionale. Comble
de l’ironie, Damas se dit désormais "prêt à une coopération" avec la
communauté internationale pour lutter "contre le terrorisme" en Syrie.
(27-08-2014 - Armin Arefi)
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