Un an après la volte-face américaine qui lui a permis d’échapper in
extremis à des frappes militaires, Bashar al Assad apparaît conforté
dans ses positions, tirant profit des tergiversations occidentales et de
la montée en puissance de l’Etat islamique.
"Il est clair qu’Assad est dans une dynamique de victoire et qu’il va
finir par l’emporter", souligne Fabrice Balanche, spécialiste de la
Syrie et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la
Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient. "La question
est de savoir à quelle vitesse il va rétablir son contrôle sur le
territoire, si c’est sur l’ensemble du territoire ou s’il va laisser des
zones autonomes".
Plus de trois ans après le début d’un conflit qui, selon les
dernières estimations de l’Onu, a fait plus de 190 000 morts, ses forces
ont reconquis des pans de territoire qui étaient contrôlés par les
rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL).
Considérée comme le fer de lance de l’opposition modérée par
l’Occident, l’ASL n’est plus que l’ombre d’elle-même et doit mener de
front des combats contre les forces gouvernementales et contre les
combattants de l’Etat islamique qui contrôleraient environ un tiers de
la Syrie, dans le nord et l’est du pays.
Éclipsé par la crise en Ukraine et dans la bande de Gaza, le conflit
syrien a récemment refait surface avec la montée en puissance de
l’organisation sunnite issue d’Al Qaïda, qui s’est emparée de plusieurs
pans de territoires en Syrie et en Irak et qui pourrait faire de Bashar
al Assad un interlocuteur sinon incontournable, du moins nécessaire,
selon les analystes.
"Bashar al Assad n’est plus considéré aujourd’hui de la même manière
qu’en août 2013", lorsque Paris et Washington étaient prêts à mener des
frappes contre les positions du régime, selon Didier Billion,
spécialiste Moyen-Orient et directeur-adjoint de l’Institut des
relations internationales et stratégiques (Iris).
"On est revenu à un début de jeu diplomatique, il y a eu un
changement substantiel puisque jusqu’alors personne ne voulait parler
avec Bashar sauf ses soutiens", dit le chercheur.
"Tous les va-t-en-guerre qui voulaient intervenir ou qui avaient des
velléités d’intervention contre Assad se sont retrouvés gros-jean comme
devant, la France en premier", après la volte-face américaine et
l’accord russo-américain sur le démantèlement de l’arsenal chimique
syrien.
Conforté par cet accord qualifié à l’époque par Damas "de victoire
pour la Syrie", et par l’échec des négociations de Genève en février,
Bashar al Assad est réélu en juin à l’issue d’un scrutin qualifié de
farce par l’Occident.
Le rétablissement du chef de l’Etat syrien "par rapport à une fin
annoncée qui ne s’est pas produite est spectaculaire", estime Bertrand
Badie, expert en relations internationales, qui table toutefois sur une
longue période de normalisation.
"Cela va être très difficile pour lui de reconquérir une partie de
son pays et il va lui falloir tenir compte des réalités ethniques telles
qu’elles se sont révélées. Mais par rapport à ce qu’on nous annonçait,
la potence ou la Cour pénale internationale, effectivement, on en est
loin".
La volonté des pays occidentaux d’éradiquer l’Etat islamique,
qualifié de "cancer" par Barack Obama, apparaît comme du pain bénit pour
le président syrien qui affirme que les Occidentaux partagent désormais
sa vision du conflit, lui qui a qualifié dès 2011 la contestation de
son régime de troubles produits par des "groupes terroristes armés".
"En quelque sorte, l’Etat islamique ça arrange Assad, ça sert
d’épouvantail pour ramener la population vers le régime et ça permet
d’affaiblir les autres rebelles qui sont pris en étau entre les forces
syriennes et l’Etat islamique", dit Bertrand Badie. "Au niveau
international, ça sert aussi de repoussoir, tout le monde préfère
qu’Assad reste au pouvoir plutôt qu’il tombe et que l’Etat islamique
avance jusqu’à Damas".
"Bashar al Assad est aux premières loges pour combattre l’EI dont une
partie des bases se trouvent en Syrie", renchérit Didier Billion. "Ça
va être compliqué de discuter avec Assad, c’est très déplaisant mais on
n’y coupera pas".
A Londres, le chef de la diplomatie britannique Philipp Hammond semble préparer le terrain, tout en se montrant prudent.
"Il se peut qu’à certaines occasions nous nous retrouvions à
combattre les mêmes personnes que lui mais cela ne fait pas de lui un
allié", a-t-il déclaré vendredi dernier à la BBC.
Refroidie par le revers d’août 2013, quand elle avait été lâchée en
plein vol par les Américains alors qu’elle était prête à des frappes en
commun, la France reste prudente quant à d’éventuelles actions
militaires en Syrie contre l’EI.
"Si on veut faire face à l’Etat islamique, il faut bien sûr faire
face à la menace en Irak mais on ne peut pas éliminer la question de la
Syrie", a dit Laurent Fabius vendredi sur BFM TV. "Là, ils (les
Etats-Unis) bombardent à la demande des Irakiens eux-mêmes mais en Syrie
il y a le dictateur Assad. Il faut remettre ça à plat, je n’ai pas la
solution aujourd’hui mais le problème se pose."
Pour les analystes, la France, l’un des premiers pays occidentaux à
reconnaître la Coalition nationale syrienne (CNS) comme le seul
représentant légitime du peuple syrien, s’est fourvoyée et a eu une
mauvaise appréciation des rapports de forces en Syrie.
"La France est bien embarrassée", estime Fabrice Balanche. "Laurent
Fabius est critiqué pour avoir manqué de prudence, avoir fait croire que
le régime allait tomber et qu’il n’y avait que très peu d’islamistes
dans les rangs des rebelles syriens."
"Aujourd’hui, il n’y a plus guère que la France et l’Arabie saoudite
qui sont contre le régime syrien, les Etats-Unis ont dit que c’était une
illusion de croire que l’opposition pourrait remplacer Bashar, on a
compris depuis un an que le régime allait rester en place", estime-t-il.
La marge de manoeuvre de la France, qui continue d’affirmer que Bashar al Assad n’a pas d’avenir, s’annonce donc limitée.
"Quand on continue à exiger le départ de Bashar al Assad, ça nous
rend un peu impuissant. On s’est engagés trop vite, trop loin et dans
une fausse direction", déclaré Didier Billion. "On va peut-être changer
de position, ça va être compliqué à expliquer et ça ne va peut-être pas
être très crédible."
Selon une source diplomatique française, une conférence
internationale consacrée à la lutte contre l’EI et réunissant les pays
de la région et les puissances occidentales devrait se tenir à Paris
avant l’assemblée générale de l’Onu en septembre.
"Il faut voir ce que les Américains ont en tête, ce qui est sûr,
c’est qu’on ne cédera pas à l’alternative soit Assad, soit l’Etat
islamique", indique cette source.
(25-08-2014)
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