Tranchées contre le trafic de carburant d’un côté, clôture pour se
protéger du "terrorisme" de l’autre : 20 ans après, la réouverture de la
frontière entre l’Algérie et le Maroc a rarement paru si lointaine,
malgré le préjudice économique.
En août 1994, Alger décidait de fermer sa longue frontière (quelque
1.500 km) avec Rabat après un attentat à Marrakech, le 24, dont le
royaume rendait responsables les services de renseignements algériens.
Depuis, l’espoir né de l’arrivée, en 1999, du président Abdelaziz
Bouteflika et du roi Mohammed VI s’est envolé.
L’Algérie dit attendre des "excuses" pour avoir été "accusée à tort"
et entend dissocier de la relation bilatérale la question du Sahara
occidental, une ex-colonie espagnole annexée par le Maroc mais
revendiquée par des indépendantistes (Polisario) avec le soutien
d’Alger.
Rabat rappelle de son côté que la fermeture n’est pas de son fait et
fustige une "mauvaise volonté" du voisin, dont le but serait de contrer
coûte que coûte l’influence régionale du royaume.
Dans ces conditions, les deux poids lourds du Maghreb —plus de 70
millions d’habitants— ne cessent de se renvoyer la balle voire de
s’invectiver.
"Nous ne sommes pas responsables de la fermeture et nous ne ferons
rien qui aille dans le sens d’une exacerbation de la tension", assure à
l’AFP un diplomate algérien de haut rang. Fin juillet, Mohammed VI a,
lui, déploré une situation "étrange" ayant atteint un seuil intolérable
pour le "citoyen maghrébin".
Outre les querelles sur le Sahara, la dernière controverse en date a
tourné autour des trafics de drogues —saisies de cannabis marocain chez
l’un contre psychotropes algériens chez l’autre.
"La nécessité d’avoir un Maghreb intégré n’a jamais été aussi forte.
Le comportement d’Alger et Rabat est totalement anachronique", fustige
Khadija Mohsen-Finan, de l’Institut de relations internationales et
stratégiques (Iris).
"La situation régionale est faite de problèmes socio-économiques, et
d’insécurité. On ne peut plus se permettre le luxe de bouder",
ajoute-t-elle, citant notamment les répercussions du conflit libyen et
le risque de "circulation des armes".
Car si la frontière algéro-marocaine est officiellement fermée, elle
reste perméable aux trafics en tous genres, du fait de l’absence totale
de coopération.
"On ne se parle pas, confirme une source ministérielle marocaine. Et
lorsqu’on se croise dans des réunions, on fait de belles déclarations,
on se tape dans le dos. Mais après 48 heures, c’est oublié."
L’an dernier, l’Algérie, pays producteur de pétrole, a décidé
unilatéralement de renforcer ses patrouilles et creuser des tranchées
contre le trafic de carburant, un coup dur pour la région marocaine
d’Oujda, où nombre d’habitants vivent du commerce transfrontalier.
Le mois dernier, le Maroc a annoncé la construction, sur une partie
de la frontière, d’une "clôture" équipée de "capteurs électroniques"
afin de se "protéger des menaces terroristes".
En plein coeur de l’été, des travaux sont effectivement en cours
entre Saïdia, sur la côte méditerranéenne, et Oujda, a constaté un
photographe de l’AFP.
Plus au sud, de rares véhicules et quelques ânes chargés de bidons
vides continuent de s’engager, à la tombée du jour, sur des pistes
menant en Algérie. Leur nombre a toutefois grandement diminué en un an.
"Plus le temps passe, plus les prix augmentent, moins nous avons de
clients", se désole Redouane, un revendeur d’essence âgé de 24 ans.
A ce jour, l’écart avec le prix des stations service ne serait plus que d’une poignée de centimes le litre.
La mésentente entre Alger et Rabat pèse aussi sur la lutte contre les
réseaux d’immigration clandestine. Impactée du fait de la forte
pression à ses frontières sud, l’Union européenne semble inapte à
favoriser un rapprochement.
Mais le plus grand gâchis reste économique, juge l’expert marocain Najib Akesbi.
L’an dernier, diverses études ont relevé que le commerce entre les
cinq pays de l’Union du Maghreb arabe (UMA, créée en 1989 mais dont la
mise en oeuvre est au point mort) ne représentait que 3% de leurs
échanges globaux, ce qui en fait la région la moins intégrée au monde.
Quant à la Banque mondiale, elle a évalué à plusieurs milliards de dollars le coût annuel du "Non-Maghreb".
"En 1994, on pensait à une simple saute d’humeur. On imaginait que la
logique économique, que les peuples seraient plus forts", commente
M. Akesbi. "Mais il n’y a aucune rationalité dans l’attitude des deux
pays", juge-t-il.
(24-08-2014)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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