1 à 0. 1 pour les Russes, 0 pour les Occidentaux. Tel est le score –
du moins pour le moment – de ce match dangereux qui se joue en Syrie et qui pourrait, dans ce pays, mener la Russie et les Etats Unis
au bord de la confrontation. Le dernier jour de septembre, Vladimir
Poutine a pris l'offensive. C'était attendu après la mise en place, ces
dernières semaines, d'un pont aérien qui, survolant l'Iran et l'Irak, a
transporté sur un aéroport au sud de Lattaquié un impressionnant
matériel militaire lourd russe destiné à l'armée syrienne.
L'objectif de Poutine est clair : sauver Bachar el-Assad et son
régime en sécurisant la région alaouite, en bordure de la Méditerranée.
Pour bâtir cette « forteresse » autour du président syrien, les Russes
ont procédé en deux phases. La première : à partir du 30 septembre, ils
ont lancé une campagne de bombardements (plus de 100 en une semaine) sur
les sites « terroristes » du centre et du nord-ouest du pays. Pour les
Américains, 90 % de ces frappes ont visé les groupes rebelles modérés
dont certains sont armés et entraînés par la CIA et la coalition
occidentale (dont la France), et non les djihadistes de Daesh.
Deuxième phase : l'offensive terrestre. Lancée, le 7 octobre, par
l'armée syrienne, elle a été soutenue par les bombardements russes et
visait à reconquérir les régions perdues dans le centre et le nord-ouest
du pays. Le 8 octobre, des missiles étaient tirés à partir de croiseurs
russes en mer Caspienne, pour appuyer l'armée syrienne renforcée par le
Hezbollah et des milices chiites. « Les cibles étaient celles de
l'opposition modérée », a déclaré le Pentagone.
Les frappes russes sont efficaces
Très manifestement, les frappes russes semblent plus efficaces que
celles de la coalition occidentale, qui, en dépit de 2 500 sorties en un
an, ne sont pas parvenues à faire reculer Daesh. Pour les experts,
plusieurs raisons expliquent ce déséquilibre entre les deux camps. Les
Occidentaux ne visent que des cibles militaires de l'État islamique et
n'ont pas d'hommes sur le terrain (ou très peu) capables de leur fournir
des renseignements. Les avions américains, ultra-sophistiqués,
bombardent à très haute altitude. Les Russes disposent, eux, des
renseignements syriens. Basés à proximité de leurs frappes, à Lattaquié,
sur la côte méditerranéenne, leurs avions d'attaque au sol, des SU-25,
et leurs hélicoptères de combat n'hésitent pas à viser des cibles
proches de populations civiles qui fuient en masse la région nord-ouest
vers la Turquie. Ils font du mal. Ces derniers jours, ils ont bombardé
des groupes de rebelles modérés près des deux grandes villes sunnites,
Homs et Hama, et des salafistes de Ahrar el-Cham et du Front al-Nosra
(l'aile syrienne d'Al-Qaïda, ennemie de Daesh) dans les environs de
Damas.
Le deuxième objectif de Poutine est tout aussi clair : il veut
écarter les avions de la coalition occidentale, ceux des Turcs et des
Israéliens, du ciel syrien, pour créer un glacis autour du régime dans
le centre et le nord-ouest du pays. C'est fait. Le 7 octobre, le
Pentagone a déclaré avoir « re-routé » un avion américain pour éviter
des appareils russes. Le commandant des forces de l'Otan en Europe, le
général Philip Breedlove, a d'ailleurs rappelé que Moscou avait créé ce
genre de « bulle » en mer Noire après avoir conquis la Crimée. La
coalition occidentale et arabe menée par les États-Unis est, de facto,
mise sur la touche.
Troisième objectif de Poutine : faire comprendre aux Turcs que leur
rêve de créer une zone tampon, sous leur contrôle, pour abriter les
réfugiés et contrôler les Kurdes, sur une portion du territoire syrien
en bordure de leur frontière, a fait long feu. À deux reprises, des Mig
russes ont violé l'espace aérien turc et l'un d'eux a volontairement
provoqué un avion d'Ankara à la frontière, suscitant la colère
d'Erdogan, le président turc qui a obtenu immédiatement le soutien de
l'Otan, dont son pays est membre.
La défaite de Bachar el-Assad serait aussi celle de Poutine
Pourquoi Poutine joue-t-il si gros en Syrie, prenant le risque de
provoquer un incident militaire avec les Américains ? « Il a parié sur
Bachar il y a quatre ans (au début du « Printemps syrien ») et n'a pas
changé », explique un politologue russe. Résultat : aujourd'hui, la
défaite de Bachar el-Assad serait aussi la sienne. Elle lui semble
d'autant plus impossible que la Syrie a toujours été à ses yeux « un
dossier stratégique ». Sauver le régime syrien, c'est pour la Russie
disposer d'un pion important dans un Proche-Orient en recomposition.
C'est aussi permettre à son pays de rejouer sur la scène internationale,
de faire oublier la défaite de l'Afghanistan, l'éviction de Kadhafi,
l'abrogation du Pacte de Varsovie en 1991 et la propension de l'Otan à
étendre sa zone d'influence vers l'Est (Pologne, tentative pour intégrer
l'Ukraine). C'est aussi disposer du seul port qui lui offre des
facilités en Méditerranée orientale, Tartous. Sans oublier que Poutine,
obnubilé par la menace djihadiste, espère, en maintenant une présence
russe en Syrie, circonscrire un éventuel débordement islamiste dans les
pays aux confins sud de la Russie, sans parler du risque de voir Daesh
s'installer sur la côte méditerranéenne, dans une région qui dispose de
riches gisements gaziers off-shore.
La prise de Jisr al-Choghour par les rebelles a été le déclic. Proche de
la frontière turque, la ville est le dernier verrou avant Lattaquié, le
fief alaouite. © Google Maps
C'est donc, en avril dernier, la prise de la ville de Jisr
el-Choughour par une coalition de l'opposition rebelle qui a constitué
le déclic pour Poutine. Proche de la frontière turque, à l'extrême
nord-ouest de la Syrie, l'emplacement de Jisr el-Choughour est
stratégique. Sa prise ouvrait le chemin de Lattaquié aux rebelles, et,
éventuellement, demain à Daesh. Moscou n'entendait pas laisser faire.
Officiellement, il s'agit de lutter contre le terrorisme. En fait, de
sauver la tête de Bachar el-Assad. Vladimir Poutine tente donc de
rassembler une vaste coalition sous sa houlette qui comprendrait non
seulement ses alliés iraniens et du Hezbollah, mais aussi les pays de la
coalition occidentale et les pays arabes. Il invite à Moscou, l'été
dernier, le chef d'état-major iranien, rencontre Barack Obama et les
Saoudiens. Échec. Obama refuse son offre, les Saoudiens et les pays du
Golfe ne veulent pas s'allier aux Iraniens ni sauver le président
syrien.
Poutine jouera donc avec les chiites de la région : l'Iran, le
Hezbollah et l'Irak, dont le Premier ministre est chiite. Moscou
installe une « cellule de coopération et de coordination commune » à
Bagdad, envoie des armes en Syrie et lance ses avions sur les rebelles
sans distinction, le 30 septembre. « L'offensive est prévue pour durer
trois mois », dira-t-il, devenant, de facto, le chef de file d'une
coalition chiite. En face, les Occidentaux, Américains en tête,
conduisent la coalition sunnite. Tous disent combattre les terroristes,
les uns soutiennent Bachar, les autres veulent son départ. Il ne
manquait plus qu'une guerre de religion dans cet imbroglio syrien.
(10-10-2015 - Mireille Duteil pour Le Point)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire