"Ghannouchi ? Un mal nécessaire !" Ainsi parle du Cheikh un membre
d’Ennahda. Façon de dire qu’il n’y a pas d’autre choix possible pour
fédérer la famille islamiste. À quelques encablures du congrès qui
réunira le ban et l’arrière-ban des dirigeants et militants, au creux de
l’été, le leader dirige avec fermeté son mouvement. Velours et fer,
vieille technique. Après une opération séduction menée en France via un
livre d’entretiens avec Olivier Ravanello - Au sujet de l’islam
(Editions Plon) - dans lequel il fait preuve de fermeté contre le
terrorisme, de souplesse sur les questions de mœurs, l’homme mène de
front plusieurs chantiers. Changement de nom du parti, mise à l’écart de
plusieurs membres de la Choura, attitude bienveillante à l’égard du
parti au pouvoir Nidaa Tounes, latitude accrue à l’égard des autres
partis islamistes.
Afin de comprendre les échecs des gouvernements menés par Hamadi Jebali
(2012) puis Ali Larayedh (2013), Ennahda s’est dotée d’une commission
d’évaluation. Commission qui sera dirigée par Ali Larayedh. "Difficile
alors de parler de tout", grommelle un vieux briscard de l’appareil
politique "puisque celui qui est chargé d’évaluer son action était aux
manettes…". Ça grogne chez les barons du parti mais personne ne prendra
le risque d’affronter le Cheikh ouvertement. Plusieurs ténors de la
Choura, le bureau politique, ont été évincés. Habib Ellouze et Sadok
Chourou sont les deux premiers à quitter l’instance dirigeante du parti.
Ils incarnaient l’aile "radicale" du mouvement. Deux autres piliers de
la Choura pourraient subir le même sort. Entouré d’une poignée de
fidèles dont son fils Mouadh et Lotfi Zitoun, Rached Ghannouchi procède
par touches, façon impressionniste, à un changement de cap. Une façon de
préparer l’avenir en purgeant le passé. En octobre 2011, Ennahda
emporte les législatives (89 députés sur les 217 que compte l’Assemblée
constituante). Hamadi Jebali prend ses fonctions de Premier ministre.
Puis les quitte après l’assassinat de l’homme politique Chokri Belaïd.
Ali Larayedh lui succéde à la Kasba. Janvier 2014, la deuxième
Constitution était adoptée. Ennahda quitte le pouvoir, volontairement.
Laissant un bilan économique plus que mitigé (inflation, chômage,
absence de projets de développements…). Aux législatives d’octobre 2014,
les islamistes obtiennent 69 députés contre 86 pour Nidaa Tounes. Une
relative défaite compensée par une alliance avec la Nidaa de Beji Caïd
Essebsi. Les ennemis d’hier votent désormais de concert à l’Assemblée
des représentants du peuple. Cette alliance contre-nature – sur les
estrades, BCE évoquait le "Moyen Âge" pour définir Ennahda – rend le
parti incontournable. Sans lui, difficile de faire passer une loi.
Les militants ont avalé la couleuvre Nidaa Tounes. Lors du prochain
congrès, qui se tiendra à la foire du Kram (banlieue nord de Tunis), des
milliers de fidèles afflueront pour plébisciter le leader historique.
Celui-ci se posera en rassembleur, en homme politique façonnant un parti
islamiste soft. En évoquant un changement de nom, il permettra de
proposer aux électeurs (les municipales retardées en 2017
vraisemblablement) une nouvelle vitrine. Car les Tunisiens ne sont pas
tendres avec la gestion du pays par la Troïka de 2012 à 2014. À
Ghannouchi de revivifier l’image de mauvais gestionnaire.
Entre les Frères musulmans égyptiens, le PJD marocain, les mouvances
libyennes, la guerre par pays interposés entre sunnites et chiites
(Arabie saoudite vs Iran), Rached Ghannouchi serait-il en train de
refonder un parti en phase avec la sociologie tunisienne ? À ceux qui
s’imaginent qu’au sein d’un parti islamiste on parle religion du matin
au soir, il convient d’apporter un conséquent démenti. On y fait de la
politique. Du réveil au coucher. Et on pense élections. Béji Caïd
Essebsi avait prévenu durant la campagne électorale qu’il faudrait au
moins deux ans avant d’enregistrer les premiers résultats économiques.
Les mouvements sociaux à répétition ainsi que l’effondrement du secteur
touristique (7 % du PIB) suite à l’attentat du Bardo rendent la tâche
encore plus difficile. L’occasion pour le Cheikh de Montplaisir (le QG
d’Ennahda à Tunis) de repositionner son parti plus au centre et de miser
sur une victoire lors des prochains scrutins.
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