« Dix jours après le départ forcé de la population d’al-Nahr, la Haganah
a attaqué ce joli village. Elle n’y a trouvé que 16 vieillards âgés
entre 80 et 90 ans, et deux hommes handicapés.. Mohamad Akr et Mohammad
Raghib. Elle les a tous rassemblés dans un lieu et a tiré sur eux, et
les a laissés noyés dans leur sang… Ce témoignage fut rapporté par
Tawfiq Raghib Salim, qui s’était caché dans les vergers aux alentours,
et qui est entré au village après qu’ils (les sionistes) se soient
retirés. Il a enseveli les morts.. Cet homme est resté pendant deux
mois, vivant dans les vergers pendant la journée et dormant au village
la nuit. Puis, n’ayant plus d’espoir de rester, il prit la route, de
nuit, vers Tarshiha puis au Liban, où sa famille l’avait devancée. Puis
les sionistes ont fait exploser toutes les maisons du village et
détourné l’eau des sources du village vers un lieu inconnu. Le village
et ses vergers sont restés sans eau. Ceci est un clair exemple de ce qui
s’est passé dans la région de Akka et de ce qu’a commis la Haganah ».
D’autres témoignages récemment publiés rapportent que les Palestiniens
ont d’abord fui leurs villages, lorsque ces derniers étaient attaqués
par les sionistes et l’armée britannique, mais sans quitter le pays, où
ils sont restés des mois parfois à le parcourir, vivant dans les vergers
des villages non encore attaqués, dans l’espoir de retourner chez eux.
Certains villageois sont même retournés chez eux, au cours de ces mois
de 1948, où ils ont cueilli les olives et les autres fruits, bravant les
groupes sionistes qui encerclaient les villages, avant de les envahir.
Certains villageois ont même été tués, parce qu’ils avaient refusé de se
soumettre aux ordres et ont continué à travailler dans leurs terres.
Ce genre de témoignages doit être multiplié par mille, concernant
seulement les réfugiés de la région d’al-Jalil, situé au nord de la
Palestine. L’encyclopédie « Pour ne pas oublier » (Kay lâ Nansa) publiée
il y a presque deux décennies cite 416 villages palestiniens
entièrement détruits par les hordes sionistes. Dans al-Jalil, les
régions de Safad et de Tabaraya furent entièrement vidées de leur
populations : outre les deux villes, Safad et Tabaraya dont les
pittoresques maisons furent prises d’assaut par les colons, 77 villages
de la région de Safad et 25 villages de la région de Tabaraya
disparurent de la carte sioniste. A leur place, s’installèrent des
colons venus d’ailleurs.
Ces villages étaient non seulement habités, mais en expansion et
développement, avant l’occupation britannique puis la colonisation
sioniste. Les centaines de témoignages des réfugiés sur la vie
quotidienne, les relations sociales, économiques, culturelles et
politiques, de la population palestinienne d’al-Jalil indiquent
l’ampleur du crime perpétré par les hordes sionistes et la communauté
internationale d’alors, les puissances occidentales et leurs valets dans
le monde, à l’encontre du peuple palestinien.
Les villages de Loubié et Shajara, dans la région de Tabaraya, les
villages de Taytaba, Naamé ou Khalissa, dans la région de Safad, les
villages de Bassa, Kweikat, Shaab dans la région de Akka, n’existent
plus sur la carte sioniste, mais existent toujours et de plus en plus
intensément, dans la mémoire de leur population, réfugiée dans les camps
du Liban et de Syrie, ou parmi les « réfugiés internes » vivant en
Palestine occupée. Après avoir commis des centaines de massacres, et
notamment dans les villages d’al-Jalil (al-Jish, Safsaf, Majd al-Koroum,
Salha) et expulsé les Palestiniens, l’entité coloniale sioniste a
changé les noms des lieux, transformé le paysage (en plantant parfois
des forêts), rasé tout ce qui pouvait en rappeler la vie, sans cependant
gagner la bataille car pour les réfugiés, ce qui existe aujourd’hui,
c’est ce qui existait avant 1948 : al-Jalil et ses villages, les
colonies implantées n’étant que des décors passagers d’une tragédie qui
doit prendre fin.
Si les témoignages rassemblés au cours de ces dernières années restent
ceux des Palestiniens ayant vécu en Palestine avant l’exil, même pour
quelques années, c’est-à-dire aujourd’hui des vieux et des vieilles qui
ont pris le chemin de l’exil, pourchassés par les hordes coloniales, il
n’en demeure pas moins que leur mémoire a été transmise, et que leurs
descendants savent qu’ils appartiennent à ces lieux et à cette région,
et à la Palestine. Et ils savent surtout qu’ils y retourneront, et que
ni les sionistes, ni les puissances occidentales, ni la communauté
internationale, ne les en empêcheront.
Car la Palestine vers laquelle ils tendent et celle pour laquelle ils
luttent, n’est pas celle de l’Autorité Palestinienne, où al-Jalil et
d’autres régions en sont exclues. Elle n’est pas non plus celle « d’un
seul Etat » où les colons partageraient à égalité le pays et ses
ressources avec les Palestiniens. Elle sera celle issue de la résistance
et de la libération, celle d’une Palestine retournée à son
environnement arabo-islamique, où le terme même « d’Israël »
disparaîtra. Même un siècle de colonisation ne peut effacer la
civilisation et l’histoire d’al-Jalil et des autres régions de la
Palestine occupée, d’autant plus que la tentative de les remplacer par
des mythes juifs inventés de toutes pièces a échoué.
L’éclat apparent de l’entité coloniale, les colonies implantées en
Palestine, le nombre des colons qui y vivent, l’armée sophistiquée qui
mène les guerres destructrices, l’industrie de pointe qui gagne des
marchés dans le monde, tout cela ne peut cacher ni faire oublier que
l’entité coloniale, soutenue et encouragée par les puissances impériales
dans le monde, est bâtie sur des massacres, qui se poursuivent jusqu’à
présent, sur des expulsions, des crimes, des pillages de terres et de
propriétés et sur une terrible répression militaire de toute une
société, sans oublier la nature raciste de l’idéologie sioniste,
fondatrice de l’entité, ni sa nature expansionniste visant à dominer la
région. Pendant combien de temps une telle entité peut-être survivre
dans un environnement hostile ? Ou plutôt, sa survie ne dépend-elle pas
de la destruction de cet environnement arabo-musulman ? Ce qui veut dire
que la lutte entre l’entité coloniale sioniste et son environnement
n’est pas une simple guerre de frontières à dessiner, mais une lutte
pour que le monde arabo-musulman soit libéré des chaînes de son
assujettissement. C’est en cela que la Palestine, et al-Jalil par-dessus
tout pour les réfugiés, restent au cœur de notre libération. Et c’est
parce que al-Jalil vit encore et toujours dans nos cœurs que nous avons
espoir de la libérer.
Fadwa Nassar
Jeudi, 14 mai 2015
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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