Soixante-sept ans après l’expulsion massive de
Palestiniens de leurs foyers et de leurs terres, le tableau en Palestine
est plus sombre que jamais. Nous observons par exemple que, après près
d’un an de réunions, les négociations, soutenues par les États-Unis,
entre l’Autorité palestinienne (AP) et Israël se sont désagrégées en
avril de l’an dernier. Il s’en est suivi pendant l’été une escalade dans
la violence et une guerre destructrice sur Gaza.
Bien qu’un accord de réconciliation ait été signé par les partis
politiques palestiniens en conflit en 2014, nous vivons toujours avec
les effets dévastateurs de la guerre sur Gaza et de la polarisation
politique – laquelle, au lieu d’aller en se résorbant est maintenant à
son maximum. La reconstruction de Gaza est en suspens ; les employés du
gouvernement de Gaza embauchés entre 2007 et 2014 n’ont toujours pas
reçu leurs salaires par le gouvernement de l’AP en dépit de la «
réconciliation » ; l’électricité et l’eau potable ne sont pas
disponibles en continu à Gaza ; et son entrée de Rafah a été bloquée
pendant plus de cent jours consécutifs. Les dirigeants de l’AP
prétendent que le Hamas a pris part à des négociations secrètes avec
Israël à propos de son projet pour transformer la bande de Gaza en une
entité palestinienne séparée. L’AP considère ce plan comme une «
conspiration scandaleuse » et promet de ne pas le laisser se réaliser.
Dans le même temps, les dirigeants à Gaza rejettent de telles
allégations comme n’étant que de « fausses polémiques » et ils précisent
qu’ils négocient simplement pour mettre fin au siège, échanger les
prisonniers, et parvenir à une trêve à long terme. Malgré toutes ces
années de négociations, l’AP n’a jamais abordé la levée du siège de la
bande de Gaza. Et, s’agissant du sort de Jérusalem-Est où l’AP espère
établir la capitale de l’État palestinien en vertu des Accords d’Oslo,
pour ses dirigeants ce ne sont guère que des paroles en l’air. Et le
pire de tout, c’est que personne n’ose intervenir sur le droit au
retour.
Au cours des récents affrontements entre l’ « État islamique » et les
combattants palestiniens au camp de réfugiés d’Al Yarmouk à Damas (où la
population assiégée et affamée s’est réduite de 150 000 à environ 16
000 au fil des quatre dernières années de violences en Syrie), il y a eu
un décret présidentiel pour que tous les employés du secteur public «
se portent volontaires pour offrir » un jour de leur salaire pour sauver
Al Yarmouk. C’était la réponse, au lieu d’utiliser cette crise comme
levier pour faire connaître la difficile situation des réfugiés
palestiniens et mobiliser pour faire appliquer le droit au retour pour
tous les réfugiés palestiniens !
Souveraineté contre État
En décembre, les dirigeants palestiniens ont soumis au Conseil de
sécurité des Nations-Unies une résolution demandant qu’il soit mis fin à
l’occupation par Israël de la Cisjordanie d’ici deux ans, une
proposition qui a été battue aux voix. Nous nous souvenons qu’en 1974,
l’Assemblée générale des Nations-Unies avait reconnu le droit du peuple
palestinien à l’autodétermination, à l’indépendance nationale, et à la
souveraineté – mais nos dirigeants se comportent comme des gestionnaires
sous-traitants impuissants, au service de l’occupation.
À la fête du Pessah il y a quelques semaines, la Cisjordanie a été
coupée en deux ; les Palestiniens n’ont pu traverser la route
Ramallah-Naplouse pour aller travailler afin que les colons israéliens
puissent courir le Marathon de la Bible. Cette action n’a rencontré
aucune opposition de la part de l’AP. Récemment, l’armée israélienne a
arrêté Khalida Jarrar, élue au Parlement palestinien, portant à seize le
nombre de députés palestiniens actuellement en détention israélienne et
paralysant notre Conseil législatif. Jarrar et bien d’autres ont été
arrêtés en « Zone A » - une zone sous l’entier contrôle de l’AP, où les
forces israéliennes coordonnent leur entrée avec celles de l’AP. Ici
comme ailleurs, l’Autorité palestinienne reste en étroite coordination
avec la sécurité israélienne, même après l’assassinat sauvage de 2200
Palestiniens à Gaza l’été dernier, et après la mort du ministre Ziad Abu
Ein en décembre dernier lors d’une violente confrontation avec les
forces d’occupation ; un acte pour lequel nul n’a été puni.
Dans son discours en septembre dernier aux Nations-Unies lors du 69e
Débat général annuel, le Président palestinien Abbas a déclaré qu’ « Il
est impossible, et je répète – il est impossible –, de revenir au cycle
de négociations qui ne se sont pas attaquées au cœur du problème et à la
question fondamentale ». Et pourtant, aujourd’hui, malgré le récent
désaveu flagrant du Premier ministre israélien d’une solution à deux
États, le Président annonce que « les négociations avec Israël sont
toujours sur la table », lors de l’ouverture d’une conférence en
Cisjordanie pour discuter de l’avenir de l’Autorité palestinienne.
L’AP est devenue membre officiel de la Cour pénale internationale, mais
les dirigeants de l’AP signalent que s’ils sont allés à la CPI, c’est
pour dissuader Israël de seulement commettre de futurs crimes contre les
Palestiniens. À la différence de Shurat Ha Din, une organisation
juridique aux USA proche d’Israël, qui déjà a lancé des actions contre
les Palestiniens avec l’intention affichée de pousser les institutions
palestiniennes à l’effondrement. En février, un jury new-yorkais a
imposé des dommages à hauteur de 218 millions de dollars à l’AP, à titre
de compensation pour six attaques qui se sont déroulées il y a plus
d’une décennie et dans lesquelles des Israéliens ayant la citoyenneté US
ont été tués ou blessés. Un autre procès du même genre, contre la
Banque arabe, a été engagé pour des transactions vers des comptes
appartenant à des membres du Hamas. La dernière plainte déposée contre
des Palestiniens est liée à la brève fermeture qu’imposa le Hamas à
l’aéroport Ben Gourion d’Israël pendant l’attaque d’Israël contre Gaza
l’été dernier. Où est la justice pour tous les Palestiniens tués ou
blessés par des armes parrainées par les USA ? Pour les Palestiniens
ayant la citoyenneté états-unienne tués ou torturés par Israël ? Pour
Rachel Corrie, écrasée par un bulldozer Caterpillar de l’armée
israélienne ?
En plus de ces actions, les lois anti-terrorisme aux États-Unis isolent
la plus grande partie des Palestiniens des sources de financement
potentielles, manipulent leur agenda national, et donnent le pouvoir à
la minorité politique de mettre en œuvre ses programmes en Palestine. La
participation du Hamas au gouvernement mettrait en danger les 400
millions de dollars que Washington fournit à l’Autorité palestinienne
chaque année -, conséquence qui a influencé l’AP dans sa remise en cause
de l’accord de réconciliation qu’elle avait signé un an plus tôt. Même
parmi les institutions palestiniennes non gouvernementales et les gens
ordinaires, l’argent US et les lois US ne sont pas utilisés pour faire
avancer le bien-être du peuple, mais pour promouvoir le ressentiment,
intimider, faire taire les voies dissidentes, et inciter les
Palestiniens à se boycotter les uns les autres.
L’audace face à l’intimidation
Les étudiants universitaires palestiniens votent contre le parti soutenu
par l’AP, bien que ces opposants soient souvent arrêtés et harcelés au
moment des élections. Les Palestiniens dans les territoires et dans les
camps de réfugiés pourraient aussi faire entendre leurs voix face à une
direction accaparante qui a conduit la cause palestinienne dans une
impasse, face à la stagnation politique imposée par l’occupation
violente et la politique non contraignante de ses alliés internationaux
qui nous mettent la pression pour que nous nous conformions aux normes
coloniales. C’est en osant nous exprimer que nous trouverons notre
chemin pour revenir les uns vers les autres, pour préserver notre
capacité de rapprochement et d’empathie, et pour survivre à notre
angoisse, à notre peur et à notre victimisation.
Lorsque je contemple le monde intimidé autour de moi, souvent je suis
effrayée – mais je reviens à mes espoirs intimes pour y puiser la force.
J’attends le moment où les réfugiés reviendront à la maison, où le mur
de séparation s’écroulera, où ceux qui sont considérés comme dangereux
et ont été réduits au silence pendant si longtemps seront finalement
reconnus et entendus. J’espère, également, que ceux qui ont étouffé nos
voix avec tous les outils à leur disposition seront encore capables
d’écouter et de parler aussi.
Samah Jabr est psychiatre et psychothérapeute, jérusalémite,
qui se préoccupe du bien-être de sa communauté, au-delà des questions de
maladie mentale.
26, avril 2015
(Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous)
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