Pont Allenby, 3 septembre. Au poste-frontière entre la Jordanie et
Israël, un véhicule avec une plaque d’immatriculation consulaire
s’arrête. Les douaniers s’approchent. Le conducteur, un homme jeune,
présente son passeport français. Pas un titre de voyage diplomatique,
mais de service. Ce qui veut dire qu’il n’est pas un diplomate, mais un
agent de l’État français travaillant à l’étranger. Jusque-là, tout va
bien. Mais par les vitres du véhicule s’échappe une très forte odeur de
tabac. Intrigués, les douaniers demandent à inspecter son véhicule. Il
refuse en arguant de son immunité consulaire et tente de repartir vers
Amman. La police des frontières l’en empêche. À partir de là, tout
s’accélère.
Malgré leur embarras et sur les conseils d’un diplomate israélien qui
passait lui aussi la frontière, les policiers israéliens téléphonent aux
Affaires étrangères à Jérusalem qui contactent l’ambassade de France à
Tel-Aviv, laquelle téléphone au consulat général de France à Jérusalem.
C’est le numéro deux qui décroche - le nouveau consul n’est pas encore
en poste. Il appelle le chauffeur et lui dit d’accepter la fouille. Son
interlocuteur embarrassé lui répond alors que la marchandise qu’il
transporte n’a rien de banal. Le diplomate comprend que l’affaire est
sérieuse. Averti, à Paris, le Quai d’Orsay confirme. Pas question pour
la diplomatie française d’être mêlée à une affaire de contrebande. Le
chauffeur a ordre de coopérer pleinement avec les Israéliens.
Et c’est bingo pour les douaniers. Un véritable trésor à peine
dissimulé : 152 kilos d’or en lingots, 500 kilos de tabac, des chèques
pour un montant de 2 millions de dollars, six cents smartphones, ainsi
qu’un certain nombre de pièces de rechange pour auto. C’est la tentative
de contrebande la plus importante jamais découverte à ce
poste-frontière, le plus surveillé de la région.
Évidemment, le véhicule est saisi, et l’employé consulaire, arrêté. De
son interrogatoire, on sait seulement qu’il a reconnu transporter une
quantité illégale de marchandises. Reste qu’à peine 24 heures plus tard,
il est mis dans le premier avion pour Paris. Une expulsion en toute
hâte dont on dit à Jérusalem qu’elle aurait été proposée par les
autorités israéliennes. Pourquoi ? Aucune déclaration officielle, ni
d’un côté ni de l’autre, ne le dit. Ce qui, dans la ville sainte, donne
lieu à diverses hypothèses. Le chauffeur - ce n’est pas un binational,
ni franco-palestinien, ni franco-israélien - était visiblement une
petite pièce, du menu fretin, au sein d’un réseau de trafiquants très
organisé et qui opérait depuis un certain temps. Les inspecteurs des
douanes lui auraient mis le marché en main : "Tu nous donnes les noms
des membres de la bande et leur modus operandi. En contrepartie, on
t’expulse."
Quoi qu’il en soit, à Paris comme à Jérusalem, on insiste sur deux
points : la bonne coopération entre Israël et la France dans cette
affaire et le fait que le 3 septembre dernier, le suspect était en
voyage privé et n’était donc pas dans l’exercice de ses fonctions.
Employé comme chauffeur par le consulat général depuis quatre ans, il
avait effectué à plusieurs reprises le trajet Jérusalem-Amman et retour.
Dans la capitale française, le porte-parole adjoint du Quai d’Orsay,
Vincent Floreani, est catégorique : "Notre politique, c’est la tolérance
zéro pour les manquements de notre personnel. Dans ce cadre, nous avons
fait ce qu’il fallait : saisir le parquet en application de l’article
40 du Code pénal et procéder au licenciement de cet employé."
Que va-t-il advenir de l’employé indélicat ? Va-t-il être jugé ? En
France, le parquet a ouvert une enquête préliminaire. Pendant ce
temps-là, en Israël, on ne sait rien sur l’éventuel démantèlement du
réseau à l’origine de ce trafic. Si l’affaire de l’arrestation de
l’agent consulaire français a fait quelques bruits dans les médias
locaux, c’est aujourd’hui silence radio. Pour ne pas porter atteinte à
des relations bilatérales parfois délicates et alors que le président
Hollande est attendu en visite officielle à la mi-novembre ? En raison
de l’enquête en cours qui aurait des ramifications au sein de l’Autorité
palestinienne ? À suivre.
(21-09-2013 - Danièle Kriegel )
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